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Arnaud Testu, Jean Pralong : L’expertise du Lab RH

Chroniques | publié le : 04.11.2019 | Arnaud Testu, Jean Pralong

La volonté de faire Science

Les entreprises désireuses de se crédibiliser auprès de leurs prospects évoquent souvent leur antériorité sur un marché et la large gamme de clients satisfaits par leurs produits. Que peut faire une jeune start-up quand elle ne dispose d’aucune de ces références rassurantes ? Dans un contexte technologique fort, où l’IA, la data et les algorithmes sont les nouvelles vaches sacrées, l’argument de la science constitue une alternative possible. Car le chercheur incarne la fiabilité et le progrès ; il colle bien aux discours startupiens sur la volonté de « changer le monde ». C’est pourquoi les jeunes pousses de la tech mettent souvent en avant les équipes de R & D, à défaut de success stories ou de clients. Mais reste à distinguer ce qui « est science » de ce qui « fait science », c’est-à-dire comprendre la différence entre une solution issue d’une réelle démarche scientifique et celles qui n’en ont que l’apparence.

La question est d’importance pour les entreprises clientes : il n’est pas rare de lire que les praticiens devraient renoncer à comprendre le fonctionnement des applications. Voilà comment éviter de rendre des comptes : « Contentez-vous de savoir que ça marche, c’est une blouse blanche qui vous le dit ». Comme au catéchisme, la foi devrait venir en se disant que la cathédrale est belle et que le prêtre est sûr de lui. Ce qui est science se voit pourtant de l’extérieur, même pour qui n’est pas chercheur. Au XVIIIe siècle, en pleine gloire des Lumières et de la raison scientifique, débarque à Paris un médecin allemand, Anton Messmer, qui prétend pouvoir guérir ses patients grâce à une méthode de magnétisation. Et il peut montrer qu’une large majorité de ses patients ont guéri. Messmer n’a évidemment guéri personne : son influence s’appellerait aujourd’hui placebo. Mais son histoire permet de comprendre que les chiffres et la performance ne prouvent rien. Mille patients guéris, mille recrutements réussis ou mille clients satisfaits ne prouvent rien. L’effet placebo existe aussi dans le monde des RH : des recrutements réussissent malgré des outils peu fiables ; des paies sont justes malgré des logiciels mal paramétrés. Mais ici, à défaut de miracle, c’est la compétence des utilisateurs qui « rattrape » les défaillances des algorithmes.

Si la pertinence scientifique ne se mesure pas à la quantité des données, elle se juge à la qualité du modèle théorique utilisé. Vérifier qu’un modèle est valide est à la portée de n’importe qui : il suffit de vérifier qu’il a été publié dans l’une des revues dont la qualité est garantie par sa présence sur les listes de la FNEGE (Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises) ou du CNRS. On vérifiera qu’il s’agit d’une publication récente (après 2005 par exemple) pour éviter de confondre science et histoire des sciences. Car les théories vieillissent mal en général : 80 % des modèles théoriques de 1990 ont été réfutés plutôt qu’enrichis : ils font la fausse science d’aujourd’hui et feront l’histoire des sciences de demain. La pertinence scientifique se mesure aussi par la compétence de ceux qui en ont la charge. Le doctorat est à la recherche ce que le permis de conduire est à la conduite : un minimum nécessaire. Un service de R & D crédible comprend un ou plusieurs docteurs.

Finalement, une bonne promesse commerciale se mesure par les coûts à investir pour la tenir. L’argument scientifique, quand il n’est qu’énoncé, n’en a aucun. Il n’a donc aucune valeur. Il devient pertinent quand il s’associe à des coûts : ceux des travaux scientifiques publiés (c’est long et compliqué), ceux des salaires des docteurs et, pire encore, ceux de la prudence. Question de crédibilité et de responsabilité, finalement.

Auteur

  • Arnaud Testu, Jean Pralong