Une vingtaine de professeurs derrière l’étal de la poissonnerie, au rayon fromage ou à la caisse d’un hypermarché Cora… Ces scènes peu banales qui se sont déroulées en mars dans le point de vente de Vendenheim (Bas-Rhin) puis en octobre dans l’hypermarché de Forbach (Moselle) traduisent le souci, partagé par la Carsat Alsace-Moselle et par l’Éducation nationale, de développer en amont la prévention des risques professionnels en grande distribution. « Nos référentiels prennent en compte le risque dans les gestes et les postures. Tous volontaires, les enseignants ont été confrontés à la réalité de terrain et ont pu construire leur cours à partir d’exemples concrets », indique Cathy Loyzance, inspectrice à l’académie de Strasbourg, qui a lancé la démarche auprès de professeurs de CAP et de bac pro commerce et vente.

L’enseigne Cora a ouvert ses salles de réunion et ses rayons à la délégation, mais n’est pas intervenue dans le contenu de la formation dispensée par six experts de la Carsat. Les enseignants ont suivi une matinée théorique et une après-midi en situation dans les rayons, en caisse ou en drive. Ils sont repartis avec un kit pédagogique sous forme de brochures et une clé USB permettant non seulement de nourrir leurs propres cours, mais aussi de commencer un travail transdisciplinaire entre collègues enseignant en français, en droit, en prévention sécurité-emploi ou en économie-gestion.

Avec 60 accidents du travail pour 1 000 salariés contre une moyenne nationale de 30 et des pics à 136 accidents du travail pour 1 000 salariés, la grande distribution fait figure de mauvais élève en matière de prévention. La mise en rayon, la manutention et le travail en caisse entraînent par ailleurs bon nombre de tendinites et de névralgies. Pour améliorer la situation, la Carsat Alsace-Moselle a élaboré un plan d’action régional multidisciplinaire dont l’envoi d’enseignants sur le terrain ne constitue qu’une facette. « Nous voulons délivrer un message clair et complet en matière de prévention et de sécurité en emploi. Nous travaillons depuis cinq ans à élaborer un langage commun intelligible par tous et apportant le même regard, le même conseil et les mêmes prescriptions à tous les partenaires de la grande distribution », expose Pierre-Yves Adam, ingénieur conseil au pôle formation de la Carsat Alsace-Moselle, en charge de la grande distribution et de l’alimentaire.

Un comité de pilotage constitué de techniciens, d’ergonomes, de contrôleurs de sécurité, de médecins du travail et d’ingénieurs conseils se réunit chaque mois pour mettre en commun un corpus de documentation scientifique, de témoignages et d’actes de colloques et en extraire des recommandations claires et des actions simplifiées. La Carsat a ainsi conçu une sorte de calque placé sur la caisse pour visualiser les zones de confort en fonction de la gestuelle de la caissière et mieux positionner les éléments de travail. Des abaques permettent de standardiser la masse unitaire et la forme des charges manutentionnées dans les rayons. « Cette homogénéisation permet de contrer l’argument des employeurs selon lequel les différents interlocuteurs ne leur demanderaient pas la même chose », explique Jean-Yves Adam. La Carsat Alsace-Moselle s’est même lancée dans un projet de supermarché modélisé en 3D où le « joueur » équipé de lunettes virtuelles déambulera dans les allées pour identifier les situations à risque.

Ces initiatives visent pour l’essentiel à faire admettre et respecter des mesures-socles élaborées de longue date. Ainsi, les charges manutentionnées en caisse sont limitées à 8 kg, l’usage de transpalettes à levée auxiliaire est obligatoire au rayon boissons et les services logistiques et achats du rayon fromagerie se doivent de commander par quart des meules qui, entières, peuvent peser 45 kg. Mais les 670 hypers et supermarchés d’Alsace-Moselle – et, a fortiori, l’ensemble des grandes surfaces du territoire – sont loin de respecter à la lettre l’intégralité de ces consignes. La venue d’enseignants dans les rayons a permis de sensibiliser en amont les futurs salariés. En 2020, la Carsat Alsace-Moselle se propose de reconduire cette initiative avec des représentants de syndicats d’employeurs et de salariés pour réitérer inlassablement les messages.