Au cœur de la métropole de Lyon, le quartier Saint-Jean de Villeurbanne est l’un des dix territoires à expérimenter depuis deux ans le dispositif « zéro chômeur de longue durée ». Neuf mois après l’ouverture, Emerjean a créé 80 CDI ex nihilo pour former et proposer des activités qui ne seraient pas couvertes par des entreprises traditionnelles.
Dans le sillage de la politique de la ville, un nouveau type d’établissement prend forme. Emerjean, entreprise à but d’emploi (EBE), s’est fixé l’objectif de réduire le chômage de longue durée (30 %) qui affecte le quartier Saint-Jean de Villeurbanne. Le but du dispositif est de créer des emplois destinés aux personnes au chômage depuis plus d’un an. « Nous en avons identifié 400 et en avons rencontré 220. Plus de la moitié n’était pas connue de Pôle emploi ou des services du RSA, relève le directeur, Bertrand Foucher. Le but est aussi d’aller chercher ces invisibles. » En parallèle, l’entreprise doit veiller à ne pas détruire, par ses activités, des emplois dans les TPE-PME, les services publics ou les associations environnantes. Il s’agit alors de « se glisser dans les interstices » en répondant aux besoins non satisfaits car peu rentables.
Expérience et diplôme ne sont pas exigés pour intégrer l’entreprise. « Le contexte d’emploi est adapté et se fait sans sélection, mais dans l’ordre d’arrivée. On ne recrute pas, on embauche », poursuit Bertrand Foucher. À la clé, un CDI au Smic. Les salaires sont financés pour les trois quarts par la réinjection des indemnisations chômage via un fonds de l’État, le quart restant par le chiffre d’affaires de prestations à prix réduit aux entreprises et aux habitants. Les 80 salariés n’ont pas de postes définis, mais une polyvalence assumée où chacun participe à la construction des projets et à la vingtaine d’activités créées en fonction des besoins et des compétences.
Chez Emerjean, 65 % des salariés sont des femmes. Elles témoignent des difficultés à concilier leur condition de mères de famille avec un emploi et des entraves à la mobilité propres au quartier. « J’avais travaillé dans la sécurité pour des structures sportives, mais je ne voyais plus mes enfants avec les déplacements », explique Julles. Les contrats sont à temps choisi – entre 15, 20 et 35 heures hebdomadaires – pour prendre en compte les contraintes personnelles. Salariée depuis deux ans, elle a pu suivre une formation dans la sécurité incendie pour développer ses compétences.
Selon le directeur d’Emerjean, 10 % du temps de travail de l’année 2018 a été consacré à la formation grâce au soutien de la région. Une commission est animée par des salariés et propose d’acquérir des compétences d’entreprises – comme la maîtrise d’outils digitaux – ou des formations professionnelles dans le domaine de l’esthétique, du maraîchage, de la cuisine ou du bâtiment.
Samir aussi a saisi l’opportunité. « J’ai travaillé dans la comptabilité et la finance à l’étranger, mais je n’avais pas d’équivalence et je n’ai rien trouvé en France. » Avec 240 euros de retraite, il ne s’en sortait pas. Il se charge aujourd’hui de la trésorerie de la caisse des repas et du local commercial. Au cœur de la cité, le bureau de poste s’est ainsi transformé en « comptoir » où les salariés proposent des services de proximité : retouche et couture, onglerie, petits travaux dans les logements ou soutien scolaire. « Le concept est intéressant car c’est à nous de créer de l’activité. J’ai toujours voulu créer une recyclerie pour donner une seconde vie aux objets et le projet va débuter », se réjouit Rasni, qui s’occupe de l’accueil, aide à la cuisine, aux activités de nettoyage ou à la blanchisserie qui se situe au siège. Sur un troisième site, une parcelle de 3 700 m2 mise à disposition par la métropole, des activités de compost de déchets verts, de tri des plastiques et de maraîchage se développent en collaboration avec Veolia et une association.
« Nous avons repéré des difficultés auprès des jeunes de moins de 26 ans, qui sont parfois d’anciens décrocheurs scolaires et n’ont ni diplôme ni expérience. Pour les 12 que nous avons embauchés, le CDI était la bonne proposition. Mais il y en a encore beaucoup dehors. Est-ce vraiment un CDI qu’ils veulent ? », s’interroge Bertrand Foucher. L’enjeu est central pour un quartier où près de la moitié de la population a moins de 30 ans. Pensé par ATD Quart-Monde, le projet se poursuivra jusqu’en 2021 et pourrait être étendu par une seconde loi. Attendu prochainement, un rapport de l’inspection générale des affaires sociales devrait orienter les décisions des pouvoirs publics à l’heure où 177 territoires ont marqué leur intérêt pour rejoindre l’expérimentation.