Dans son livre Les Nouveaux Cobayes, le journaliste américain Dan Lyons dénonce les modes managériales « ridicules » et stressantes inventées par la Silicon Valley, qui gagnent d’autres entreprises. Une satire à la fois jubilatoire et inquiétante.
Avis aux DRH adeptes des méthodes dites « agiles » et autres modes d’organisation du travail issus des start-up. Dans ce livre d’enquête drôle et féroce, le journaliste économique américain Dan Lyons poursuit sa critique des conditions de travail des entreprises de la Silicon Valley, entamé dans Dispured, non traduit en France. Avec un humour caustique, il s’en prend ici aux « gourous du management » et aux théories « ridicules » inventées dans ce berceau de l’économie numérique : Legos Play (ou « comment fabriquer un canard » pour s’extérioriser), méthodes agiles (réunions débout, mêlées), déclinées dans tant de versions en entreprise que tout le monde y perd son latin, lean-start-up… Ou encore invention du concept de l’holocratie, objet d’un chapitre hilarant où l’auteur relate un stage suivi avec l’un de ces pontes, Brian Robertson, un ancien de Pay-Pal. Avec une plume bien trempée, l’auteur dénonce non seulement la vacuité de ces modes managériales, mais aussi le stress de « l’auto-organisation » de l’holocratie ou de l’entreprise libérée, illustré par le cas du vendeur de e-commerce Zappos aux États-Unis. De quoi vous transformer « en rat de laboratoire », selon lui. La critique pourra sembler caricaturale, mais l’enquête, plus fournie, donne à réfléchir.
Derrière les modes, le journaliste pointe les dangers de la frénésie du changement des entreprises du numérique qui gagne d’autres groupes classiques, jusqu’à l’absence de bureaux attitrés… Tout « ce jargon » managérial de la Silicon Valley « génère des environnements de travail toxiques et profondément déshumanisants », insiste-t-il. Sur ce point, son livre brasse très large, avec des exemples qui ne prêtent plus à rire : culture du stress érigé en modèle chez Uber (cas de suicide d’un salarié), flicage ou contrôle des salariés chez Facebook… À travers de nombreux exemples, on y apprend beaucoup sur les pratiques douteuses des start-up, des Gafa et le mal-être des salariés.
Sur le fond, pourquoi les « oligarques de la Silicon Valley », technopole dévorée par le capital-risque, offriraient-ils de bonnes conditions de travail et des emplois stables alors « qu’une cinquantaine de ces entreprises cotées en bourse » perd de l’argent ? s’interroge Dan Lyons. Ce modèle déficitaire expliquerait en partie, selon lui, la raison « d’un nouveau pacte social » promu par un ancien de Pay-Pal. « Ce pacte stipule, pour l’essentiel, que les entreprises ne doivent aucune loyauté envers leurs employés et que ces derniers ne doivent espérer aucune sécurité de l’emploi », explique-t-il.
Des salariés jetables, qui ne doivent rien attendre des RH ? Si cette critique des start-up ne date pas d’hier, le journaliste s’inquiète de l’influence de ce nouveau « code », qui recevrait selon lui des échos très positifs dans la Silicon Valley. Dans des pages glaçantes, il montre notamment qu’une grande entreprise comme Netflix l’aurait adopté noir sur blanc dans sa charte RH, banalisant les licenciements au nom de la performance. Un ouvrage bien documenté, instructif sur cet univers impitoyable.