Couplé à l’intelligence artificielle, le big data peut devenir un levier de performances dans de nombreux domaines RH. Pour conquérir les spécialistes de cette fonction, il lui faudra devenir plus accessible et sans risque.
Le big data n’est pas accessible à tout le monde. En tout cas pas tout de suite. Pour espérer en tirer un bénéfice, il faut d’emblée un large périmètre, avertit David Bellaïche, directeur du cabinet Althéa : « Le big data ne peut fonctionner qu’à condition de disposer d’une quantité très importante de données, aussi bien internes qu’externes, à travers des bases de données sur les secteurs d’activité, les réseaux sociaux ou à travers l’analyse sémantique des sites. » Si le big data est donc encore réservé aux grandes entreprises, ses perspectives sont immenses grâce aux développements de l’intelligence artificielle (IA). « L’IA est capable de structurer la donnée pour la rendre intelligente et comparable, explique Yves Loiseau, business manager de TextKernel, société spécialisée dans les technologies de recrutement sémantique. L’IA lève les ambiguïtés, permettant de comprendre un mot dans son contexte, tout en apportant de l’exhaustivité, c’est-à-dire que des termes similaires peuvent être reliés. Si dans le processus est impliqué un être humain, alors il est possible d’obtenir une qualité d’information statistique et de raccrocher tous les cas possibles à un référentiel existant. »
Un tel inventaire peut descendre jusqu’aux compétences mises en œuvre par chaque profil au sein d’une entreprise mais aussi à l’extérieur. « La RH déborde ainsi largement sur le knowledge management et se met en condition de jouer un rôle clef dans la digitalisation et la transformation de l’entreprise, indique ce spécialiste. Il devient alors possible de faire des raisonnements incluant l’ERP puisque les données sont structurées. » Une entreprise peut alors confronter différentes options lorsqu’elle veut mettre en œuvre un projet : « Si vous voulez ouvrir un magasin de mode, il devient possible de comparer différents canevas faisant appel soit à des intérimaires, soit à des gens en préparation opérationnelle à l’emploi, soit en faisant jouer la mobilité avec les magasins déjà en activité. »
Chez Horoquartz, spécialiste de la gestion des plannings et de l’accès, l’IA est mobilisée pour prendre en charge les processus répétitifs comme la gestion des absences. « Pour valider une demande, le manager évalue la charge de travail afin de voir si l’absence peut être absorbée par le reste de l’équipe, résume Thierry Bobineau, directeur marketing de Horoquartz. Les moteurs d’IA peuvent comprendre un tel raisonnement, à condition de disposer d’un volume important de données. Dans 80 % des cas, un tel système permettra de valider automatiquement les demandes d’absence. Ne resteront que 20 % des cas qui exigeront un examen plus poussé par le manager. » En gestation dans le laboratoire d’innovation de Horoquartz, ce projet devrait franchir une première étape en 2020 avec la mise au point des mécanismes de collecte des données qui seront ensuite intégrés dans les applications mises à la disposition des clients.
Autre sujet en ligne de mire : l’amélioration des systèmes de planification des équipes. « Pour l’instant, ils sont basés sur des modèles mathématiques, explique Thierry Bobineau. Ils peuvent générer automatiquement un planning correct à 80 % ou 90 %, mais ils ne peuvent pas prendre en compte des événements tels que la possibilité d’une épidémie de grippe à certaines périodes de l’année, l’impact des intempéries ou les conséquences du trafic routier. » En enrichissant ses données avec des sources externes, Horoquartz compte ainsi améliorer à terme l’efficacité des systèmes de planification de nos clients. En parallèle de ces objectifs internes, les entreprises souhaitent aussi comparer leurs performances avec celles de leurs concurrentes. Elles se montrent cependant très réticentes à l’idée de transmettre leurs données, même anonymisées, à des tiers. Thierry Bobineau invoque la notion de risque pour expliquer ce paradoxe : « Dans une entreprise, personne ne vous reprochera de ne pas avoir communiqué des données à l’extérieur. »
Souhaitant diffuser en France un système de benchmark de rémunérations (Compensation Benchmark) déjà commercialisé aux USA depuis 2016, ADP se trouve confronté au même obstacle. Pour le contourner, le spécialiste de la gestion de paie compte sur deux atouts. D’abord l’étendue des données qu’il gère déjà : avec 12 000 clients en France, il édite 3 millions de bulletins de paie. Ensuite la confiance qu’il inspire. « Selon une enquête menée récemment, 84 % de nos clients se sont dit intéressés par notre solution et 94 % déclarent avoir confiance dans notre capacité à assurer la confidentialité et la protection des données », indique Dominique Rodier, vice-président en charge du développement d’ADP. Pour réduire les risques, le projet a été soumis aux spécialistes de la Cnil afin de vérifier sa conformité aux exigences du RGPD.
Compensation Benchmark devrait reposer sur les données issues d’un million de bulletins de paie. Disponible à partir de janvier 2020, il va, selon ADP, permettre aux fonctions RH de disposer d’une vision globale des rémunérations du marché. « Les utilisateurs pourront faire des analyses à partir des différents critères : métier, secteur d’activité, taille de l’entreprise, bassin d’emploi, niveau d’ancienneté des salariés, explique Dominique Rodier. Le moteur de recherche permet de retrouver les différents emplois liés à un libellé spécifique à partir d’un dictionnaire comprenant 2 500 entrées. » Les données anonymisées seront actualisées chaque trimestre afin de prendre en compte l’évolution des rémunérations au fil du temps.
Malgré toutes ces possibilités, le big data n’est pas encore une priorité dans les RH. « Cette fonction a d’autres priorités structurantes et tous ses membres ne maîtrisent pas ce type de technologies, ce qui les pousse à reporter ce genre d’investissement », indique David Bellaïche d’Althéa, qui pointe aussi le nombre réduit de cabinets capables d’accompagner cette évolution. Confier ses données à une entreprise extérieure reste un autre obstacle majeur. Le surmonter implique de réunir plusieurs conditions. Les services concernés doivent être convaincus de l’intérêt de mutualiser les données et obtenir l’aval des décideurs. Pour David Bellaïche, un volontarisme déterminé peut changer le « mind-set » actuel : « Les DRH doivent avoir confiance en leur capacité et celles de leurs équipes à adopter ces nouvelles technologies au service d’une plus grande efficience de l’entreprise. » La connaissance réduite de ces technologies parmi les équipes RH et l’attitude frileuse des entreprises vis-à-vis de la mutualisation des données risque cependant de freiner encore l’adoption du big data.