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Le fait de la semaine

Jurisprudence : Lanceur d’alerte, un statut aux contours encore flous

Le fait de la semaine | publié le : 21.10.2019 | Nathalie Tran

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Jurisprudence : Lanceur d’alerte, un statut aux contours encore flous

Crédit photo Nathalie Tran

Une décision de la cour d’appel de Lyon devrait apporter des précisions sur les conditions d’éligibilité au statut de lanceur d’alerte, défini par la loi Sapin II. Le point sur une jurisprudence très attendue.

L’inspectrice du travail, Laura Pfeiffer, peut-elle être considérée comme une lanceuse d’alerte ? La réponse va être donnée par la cour d’appel de Lyon ce jeudi 24 octobre. « Cette décision va permettre de clarifier le périmètre du statut de lanceur d’alerte et de savoir si une personne peut l’utiliser pour dénoncer une infraction dont elle est elle-même victime, comme c’est le cas dans cette affaire », explique Jean-Marc Albiol, avocat associé au cabinet Ogletree Deakins.

Les faits remontent à 2013. À l’époque, après avoir effectué plusieurs contrôles sur le site de Tefal à Rumilly (Haute-Savoie), la fonctionnaire avait dénoncé un accord sur le temps de travail qui présentait des anomalies. Elle avait alors été convoquée par son supérieur hiérarchique qui lui avait demandé de lever le pied. Quelques mois après cet échange, elle reçoit dans sa boîte e-mail, de la part d’un salarié de Tefal et de façon anonyme, des documents confidentiels prouvant que la direction avait fait pression sur sa hiérarchie. Laura Pfeiffer transmet ces courriers à des syndicats de l’inspection du travail qui révèlent l’affaire dans la presse. Elle est condamnée à 3 500 euros d’amende avec sursis pour « recel » et « violation du secret professionnel ». Décision confirmée par la cour d’appel de Chambéry en novembre 2016. Arrivée en cassation, le 17 octobre 2018, l’affaire est renvoyée devant la cour d’appel de Lyon, afin d’être réexaminée au regard de la loi du 9 décembre 2016, dite « loi Sapin II », instituant un régime de protection des lanceurs d’alerte, promulguée au moment où se tenait le procès en appel. Par cette décision, la Haute juridiction reconnaît implicitement qu’un inspecteur du travail dans le cadre de ses fonctions peut, en théorie, se revendiquer lanceur d’alerte. Aux juges du fond, à présent, d’apprécier si Laura Pfeiffer répond ou non aux conditions prévues par le texte.

Procédure en trois temps

Selon la définition donnée par l’article 6 de la loi Sapin II, le lanceur d’alerte est une personne physique – citoyen, agent public ou salarié – qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, une grave atteinte à l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Si le statut de lanceur d’alerte est accordé, la personne bénéficie alors d’une irresponsabilité pénale pour la divulgation de « secrets protégés par la loi », comme le secret professionnel notamment. La protection repose alors sur un juste équilibre entre l’intérêt général et le dommage causé à l’organisation ou à la personne mise en cause mais, également, sur le respect d’une procédure de signalement graduée en trois temps. Le lanceur d’alerte doit d’abord prévenir son supérieur hiérarchique qui a l’obligation d’ouvrir une enquête interne pour vérifier la véracité de l’information et déterminer si les conditions sont réunies. Si l’alerte n’a pas été traitée dans un délai « raisonnable », il peut saisir l’autorité judiciaire, l’autorité administrative ou les ordres professionnels. Enfin, si rien n’a avancé dans un délai de trois mois, il peut alors rendre l’information publique dans les médias, ou frapper à la porte des associations, des ONG ou des organisations syndicales. Ce n’est qu’en cas de « danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles », que la personne est autorisée à sauter les étapes.

Un verdict attendu

Plutôt que s’adresser à son supérieur, Laura Pfeiffer a directement saisi les organisations syndicales et diffusé l’information dans la presse. La situation méritait-elle de bousculer la procédure ? Dans un arrêt rendu le 27 février 2018, la cour d’appel de Versailles a reconnu le statut de lanceur d’alerte à un salarié qui avait informé les médias de propos tenus par son supérieur, laissant supposer une violation de la liberté syndicale dans une entreprise où il intervenait en tant que consultant. Comme dans l’affaire actuellement en délibéré à Lyon, les faits étaient antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 9 décembre 2016. Le non-respect de la procédure de signalement était alors justifié par le fait que le salarié n’était pas encore tenu de s’y conformer. L’arrêt qui sera rendu par la cour d’appel de Lyon suivra-t-il cette même ligne ? Ce verdict est d’autant plus attendu que la jurisprudence en la matière est encore assez peu fournie. « Il y a peu de décisions car l’entreprise transige la plupart du temps. Mais, en pratique, il ne se passe pas un mois sans qu’un salarié ne revendique le statut de lanceur d’alerte pour dénoncer un acte de harcèlement moral ou sexuel », remarque Jean-Marc Albiol.

Si les contours du statut de lanceur d’alerte méritent encore d’être précisés, la loi Sapin II aura néanmoins permis de toucher son but : permettre à des salariés de dénoncer des faits répréhensibles dont ils ont connaissance, dans le cadre de leurs fonctions, sans peur de représailles…

Auteur

  • Nathalie Tran