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Sur le terrain

Pour en finir avec un système de formation inefficace

Sur le terrain | publié le : 14.10.2019 | Laurence Estival

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Pour en finir avec un système de formation inefficace

Crédit photo Laurence Estival

Dans leur ouvrage Former1, Olivier Faron, administrateur général du Cnam, et Thibaut Duchêne, son adjoint en charge de la stratégie et du développement, plaident pour une refonte du système de formation, seule capable de répondre aux enjeux de développement des compétences.

Le titre de votre ouvrage, Former, claque comme un programme électoral…

Olivier Faron : Former, c’est dans notre esprit un impératif catégorique, une vraie obligation vers laquelle toutes les actions doivent converger. Il nous faut remettre la formation au centre du jeu !

Ce n’est donc pas le cas ?

O.F. : Aucun des grands pays qui ont déjà pris cette question à bras-le-corps ne raisonne en termes de diplômes mais en termes de compétences, comme cela devrait être le cas en France. Certes, la situation commence à évoluer et la réforme de la formation professionnelle va dans ce sens, mais elle ne peut pas à elle seule permettre de rattraper notre retard, compte tenu des enjeux et de l’évolution du marché du travail : on dénombre dans notre pays 1,3 million de jeunes qui ne sont ni en formation ni en emploi et qui ont quitté le système scolaire en situation d’échec, selon la ministre de l’Enseignement supérieur. Plus d’un bachelier professionnel sur deux est au chômage et, si le sommet de la pyramide scolaire s’en sort bien, la base, elle, est terriblement menacée. Le constat n’est pas différent en formation continue. Ce sont toujours les salariés les mieux formés qui bénéficient de la formation continue. Nous devons trouver une réponse à ces fractures qui s’accroissent face aux mutations technologiques. Les gilets jaunes ont été un des révélateurs de cette crise.

Dans Former, vous donnez quelques pistes d’actions…

Thibaut Duchêne : Une telle mutation suppose de former tous les publics et pas seulement les élites et de les former autrement en utilisant certes les nouvelles technologies mais aussi d’autres méthodes. Il faudra également former sur les territoires et en dehors des métropoles. Nous devons aussi remettre les formateurs qui souffrent d’un manque de reconnaissance au cœur du système car il n’y a pas de fatalité à ce que les meilleurs étudiants n’envisagent plus de devenir enseignants, comme le montrent les exemples allemand, italien ou britannique. Les établissements doivent quant à eux avoir davantage d’autonomie et plus de moyens pour mettre en place des projets innovants. Tous ces chantiers sont complémentaires et dessinent l’objectif à atteindre : donner les bonnes compétences aux bonnes personnes, au bon endroit et au bon moment.

Vos propositions sur la création d’antennes universitaires, les moyens supplémentaires pour les établissements ou la rémunération des enseignants ont un coût, dans un contexte de faibles marges budgétaires…

O.F. : Qu’on ne nous parle pas de la question du financement. Est-il normal que, chaque année, 3 500 étudiants issus des classes prépas littéraires qui ont coûté très cher à former passent le concours de l’ENS où il n’y a que 200 places ! Tout est fait dans certains milieux pour exfiltrer par le biais de ces classes préparatoires ceux qui ont déjà le plus de cartes en mains de l’université alors que celle-ci devrait jouer son rôle de brassage. Cet argent aurait sans doute mieux été utilisé pour former les plus fragiles. Nous nous prononçons d’ailleurs pour la création d’un service universitaire universel qui serait ouvert et s’adresserait à tous.

C’est-à-dire ?

T.D. : Notre idée est simple. Notre proposition est de refonder l’ensemble du système autour de l’université. Il s’agit de donner à chacun, quelle que soit sa situation, la possibilité d’avoir accès à l’université, à sa majorité, pendant un an pour s’y cultiver, se mêler à d’autres, s’ouvrir, être curieux afin de créer un socle commun de confiance et de partage pour en finir avec les ségrégations. Une façon aussi de nous inscrire dans la perspective de devoir se former tout au long de la vie.

C’est généreux et ambitieux mais est-ce réaliste pour raccrocher les décrocheurs et répondre aux aspirations du monde du travail tout en permettant à chacun, selon l’intitulé de la loi, de choisir son avenir professionnel ?

O.F. : Inscrire la formation tout au long de la vie dans la réalité passe, outre les points que nous avons évoqués, par un rapprochement entre la formation universitaire et professionnelle. Mais nous devons aussi remettre les gens en mouvement. Nous sommes à un moment historique : le gouvernement a élaboré trois lois votées par les parlementaires qui s’adressent aux trois âges de la vie et dessinent un continuum : c’est la loi pour l’école de la confiance qui intéresse l’école, celle sur l’enseignement supérieur et celles portant sur la formation continue. Profitons-en pour travailler encore plus sur la continuité. Il faut une réforme systémique.

Quelle place pour le Cnam dans vos propositions ?

T.D. : Au Cnam, nous travaillons sur la manière de renforcer les passerelles entre les trois âges de la vie. Preuve de notre engagement, nous avons le public le plus diversifié du monde. Notre modèle ne vient pas de quelques idées tirées des nombreux rapports. Il repose sur les milliers d’expérimentations que nous avons mises en place. La création de l’école Vaucanson nous a permis de mesurer le succès de modèles d’apprentissage différents. Nous sommes un des premiers établissements à avoir misé sur la VAE et un des « pères » de ce dispositif, Vincent Merle, avait rejoint le Cnam pour nous aider à la développer. Nous sommes par ailleurs au plus près des territoires grâce à nos 150 antennes et une cinquantaine de nouveaux centres vont bientôt voir le jour afin de couvrir tout le pays.

L’École 42 fait également bouger les lignes…

O.F. : Son modèle nous a interrogés. Si nous saluons cette initiative, trois principales différences nous opposent : nous pensons que le numérique ne peut pas être la seule manière de former. Nous savons, par notre expérience, que le modèle le plus efficace est celui qui repose à la fois sur des contenus à distance et en présentiel car le numérique ne correspond pas à tous les publics. Aujourd’hui, on ne parle plus que d’intelligence artificielle sans qu’on puisse la définir car si on regarde de près, il n’est question que de datas et d’algorithmes. Il est temps de remettre l’humain au cœur de la formation. C’est notre deuxième différence : nous pensons que l’enseignant est indispensable pour échanger avec les apprenants. L’accompagnement joue un rôle indispensable. Enfin, nous veillons aussi à ce que les femmes soient aussi représentées que les hommes, ce qui n’est pas le cas à l’école 42.

Qu’attendez-vous de votre ouvrage ?

O.F. : Susciter la réflexion et participer au débat public. Un grand nombre de gens s’expriment sur ces sujets mais peu sont des responsables d’institutions comme nous. Et nous avons toute notre légitimité sur la formation tout au long de la vie. L’environnement est de plus bousculé avec des modèles privés qui tendent à prendre de plus en plus de place et qui, à en écouter certains, sont plus efficaces que le public. Nous ne partageons pas cette vision. Quand nous proposons de refaire de l’université ce lieu de brassage social qu’elle a cessé d’être ou de réorienter les financements pour répondre aux besoins du plus grand nombre, nous défendons aussi des valeurs républicaines. Comme quand nous rappelons la nécessité de former partout, c’est-à-dire dans tous les territoires. En rédigeant cet ouvrage, nous nous sommes rendu compte combien l’abbé Grégoire avait raison !

Parcours

Olivier Faron, professeur des universités et chercheur en histoire a dirigé, notamment, l’École normale supérieure de Lyon avant d’être nommé en 2013 à la tête du Cnam. Il a également fait partie du cabinet de François Fillon et Laurent Wauquiez au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Thibaut Duchêne, ancien élève de l’ENS Paris-Saclay, ce titulaire d’un master d’affaires publiques et de recherche en sciences économiques de Sciences Po a rejoint le Cnam en 2013 comme chargé de mission. Il est également directeur du réseau de la réussite Vincent Merle du Cnam depuis 2015.

1. Former, préface de Jean Arthuis, éditions de l’Aube, collection Paroles d’acteurs.

Auteur

  • Laurence Estival