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Temps de travail : La semaine de quatre jours fait doucement son chemin

Le point sur | publié le : 07.10.2019 | Lys Zohin

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Temps de travail : La semaine de quatre jours fait doucement son chemin

Crédit photo Lys Zohin

Les expérimentations en vue de réduire le temps de travail se multiplient un peu partout dans le monde. D’autant que les études font ressortir un bilan positif, en termes d’augmentation de la productivité et de meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle. En France, les salariés sont demandeurs. À condition de percevoir le même salaire…

« Faire plus – ou autant – avec moins » : l’adage n’est pas nouveau et il s’applique aussi bien à l’organisation qu’à la durée du travail. Dans l’Hexagone, avant les 35 heures, la semaine de quatre jours a connu son heure de gloire dans les années quatre-vingt-dix, lorsque l’économiste Pierre Larrouturou, qui avait rencontré l’oreille attentive d’un ancien ministre du Travail, Gilles de Robien, en faisait l’apologie. Les 32 heures figurent toujours dans l’inventaire à la Prévert des revendications cégétistes. Mais il n’empêche que la semaine de quatre jours – voire moins – fait l’objet de nombreuses expérimentations dans le monde du travail, souvent le fait de petites structures de type start-up, du Royaume-Uni à la Nouvelle-Zélande en passant par le Japon, les États-Unis et l’Allemagne, et touchent désormais quelques grandes entreprises. Ainsi, en 2018, outre-Rhin, par le biais d’un accord de branche inédit dans le Bade-Wurtemberg, de nature à s’étendre au reste de l’industrie, IG Metall a obtenu – de haute lutte – que la semaine des salariés (près d’un million au total) du secteur de la métallurgie de cette région puisse être réduite à 28 heures (avec toutefois un salaire en ligne avec les heures travaillées), pendant une période expérimentale de deux ans, les employeurs ne pouvant s’opposer au choix des salariés. Le puissant syndicat se serait même satisfait d’une augmentation des salaires de 4,3 % au lieu de 6,8 % comme le proposait le patronat afin de faire aboutir sa demande en matière de réduction du temps de travail…

À travers la planète

Aux États-Unis, les expériences ont souvent lieu dans le secteur de la tech. Ainsi, à Chicago, la société Basecamp, spécialisée dans les logiciels de gestion de projet, organise une semaine de 32 heures sur quatre jours pendant tout l’été, entre le 1er mai et le 31 août. Reusser Design, un cabinet de web design basé dans l’Indiana, offre à ses collaborateurs la possibilité de « compresser » leur travail sur quatre jours toute l’année. De quoi, selon son dirigeant, « les inciter à avoir moins de réunions »… Quant à PDQ.com, une société de logiciels de Salt Lake City, elle a basculé dans la semaine de 36 heures, sur quatre jours, il y a environ trois ans. Peu de grandes entreprises se sont toutefois converties. Selon un sondage d’avril 2018, mené par la Society for Human Resource Management, en 2018, 15 % seulement des entreprises américaines proposaient une semaine (de 32 heures) sur quatre jours au moins à une partie de leurs effectifs (contre 13 % en 2017).

Au Japon, pays pourtant connu pour ses semaines de travail interminables, c’est l’actuel gouvernement qui veut inciter les entreprises à changer les habitudes. Avec un certain succès, puisque d’après une étude du ministère du Travail nippon, en 2018, 6,9 % des entreprises privées de plus de 30 salariés avaient opté pour une formule de ce type. Dix ans plus tôt, elles n’étaient que de 3,1 %. Parmi les plus célèbres, Fast Retailing Co, maison mère d’Uniqlo, a ainsi introduit la semaine de quatre jours depuis octobre 2015 pour 10 000 de ses salariés japonais.

Enfin, l’une des expériences qui a fait le plus de bruit a eu lieu l’an dernier en Nouvelle-Zélande, chez Perpetual Guardian. Les 240 salariés de cette société de services financiers sont passés de 40 heures à 32 heures – sans réduction de salaire. Satisfaite de l’expérience, la direction de Perpetual Guardian a depuis annoncé que cette réduction du temps de travail serait permanente. En effet, selon un bilan dressé par des chercheurs de deux universités d’Auckland, la productivité des salariés de Perpetual Guardian a, au cours de la période d’expérimentation, augmenté de 20 %, tandis que le niveau de stress a baissé de 45 % à 38 % et que la satisfaction, en matière d’équilibre entre vies professionnelle et personnelle, a progressé de 54 % à 78 %.

Si, au Royaume-Uni, la fondation Wellcome Trust a abandonné l’idée de tester cet automne la semaine de quatre jours pour les 800 salariés du siège, en raison de sa « complexité de mise en œuvre », la TUC (Trades Union Congress), la fédération des syndicats britanniques, plaidait lors de son congrès annuel, en septembre 2018, pour la semaine de quatre jours, estimant que les nouvelles technologies devaient favoriser une réduction du temps de travail.

Forum de Davos

L’appel des syndicats britanniques a même été relayé, d’une certaine façon, par le Forum économique mondial, en janvier dernier, puisqu’au programme figurait la fameuse semaine de quatre jours. Deux experts, Adam Grant, un psychologue de l’université de Pennsylvanie, et Rutger Bregman, un historien néerlandais (qui a par ailleurs contribué à populariser le concept de revenu universel aux Pays-Bas), ont vanté les mérites d’une semaine de travail plus courte. Rappelant qu’Henry Ford avait découvert que « s’il passait le nombre d’heures de 60 à 40, ses salariés allaient être plus productifs, parce qu’ils seraient moins fatigués », Rutger Bregman assurait aux puissants de ce monde que cette idée était tout sauf radicale : « Pendant des décennies et jusque dans les années soixante-dix, tous les grands économistes, philosophes et sociologues ont pensé que nous allions travailler de moins en moins », a-t-il déclaré.

Cela avait été le cas du célèbre économiste britannique John Maynard Keynes, qui prédisait en son temps qu’à l’avenir, les salariés ne travailleraient que 15 heures par semaine, grâce aux technologies libératrices… Quant à Adam Grant, il a mis en avant à Davos le fait qu’il existait désormais « de bons exemples, prouvant que si l’on réduit les heures de travail, les salariés sont à même de se concentrer avec plus d’efficacité pour produire tout autant, et souvent avec une meilleure qualité et une plus grande créativité. Et ils sont en outre plus loyaux envers les organisations qui leur offrent davantage de flexibilité pour s’occuper de leur vie en dehors du travail ». Et ces deux experts de conclure que non seulement plusieurs études vont dans leur sens mais qu’en plus, les données de l’OCDE montrent que les pays aux semaines de travail à rallonge ont tendance à afficher des résultats médiocres en termes de productivité et de richesse produite par heure travaillée…

Si toutes les directions d’entreprises ne se sont pas encore ralliées à l’idée, tant s’en faut, les salariés semblent l’apprécier, notamment en Europe. Selon le rapport d’ADP Workforce View in Europe 2019, « plus de la moitié (56 %) des individus composant la main-d’œuvre européenne sont d’accord pour dire que, s’ils avaient le choix, ils préféreraient travailler quatre jours par semaine ». Ils sont 63 % en Espagne et 50 % en France. La plupart des salariés (78 %), dont les Français, qui sont favorables à la semaine de quatre jours préféreraient prolonger leur journée de travail pour travailler un jour de moins, bien entendu à salaire égal, même si 13 % préféreraient travailler quatre jours pendant les heures habituelles en gagnant moins, dont 16 % des salariés au Royaume-Uni. En revanche, 62 % des Polonais affirment être heureux de continuer à travailler comme ils le font actuellement… En outre, le rapport d’ADP met en lumière un écart entre les différentes tranches d’âge. Les salariés en milieu de carrière (ceux qui sont âgés de 25 à 44 ans) sont les plus grands partisans (59 % d’entre eux) de la semaine de quatre jours, sans doute en raison de leur volonté de concilier vie professionnelle et vie personnelle ou familiale. De même, les jeunes de la génération Y penchent pour cette solution, quitte, même, à gagner moins. Malgré cet appétit des salariés pour une semaine de travail réduite, les entreprises qui l’ont adoptée ne sont pas légion en France. Pas de données spécifiques dans l’Hexagone, mais selon l’économiste et désormais député européen Pierre Larrouturou, elles seraient environ 400. Parmi lesquelles on trouve Mamie Nova, ainsi qu’une série de PME et TPE, dont le vendeur de porte-bébés Love Radius.

Auteur

  • Lys Zohin