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Le fait de la semaine

CSE : L’effacement progressif du dialogue social

Le fait de la semaine | publié le : 07.10.2019 | Gilmar Sequeira Martins

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CSE : L’effacement progressif du dialogue social

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Porté sur les fonts baptismaux par les ordonnances du 22 septembre 2017, le CSE se met progressivement en place. À l’instigation du comité d’évaluation des ordonnances, un rapport réalisé par l’Orseu et Amnyos pour la Dares fait le point sur les avancées et les reculs de ce processus qui doit être achevé au 1er janvier 2020.

Mené auprès d’une quarantaine d’entreprises de toute taille, le rapport élaboré par l’Orseu, un cabinet de conseil dédié aux représentants du personnel, et Amnyos, un cabinet de conseil RH, constate d’emblée que les négociations ont eu un caractère « asymétrique ». Les employeurs disposaient en effet de la possibilité d’appliquer unilatéralement les mesures supplétives du Code du travail, synonymes de réduction drastique du nombre d’élus et des moyens alloués aux IRP. Selon Nicolas Farvaque, directeur du pôle recherche et études de l’Orseu, chargé de coordonner les contributions du rapport, cette « menace assez forte n’était pas la meilleure façon d’engager le dialogue et de négocier ». Il note cependant que « le mouvement des gilets jaunes en 2019 a tempéré la tendance dans certaines entreprises, qui se sont retenues de supprimer tous les niveaux intermédiaires ».

Le résultat est pourtant sans nuances : les négociations autour du CSE se concentrent sur les moyens (nombre de sièges, nombre et composition des heures des élus) et le rapport précise que « très peu d’outils permettant d’établir une méthode partagée de négociation ont été utilisés (accord de méthode, diagnostics communs, formations) ». Pour Thomas Capelier, directeur associé d’Amnyos, « les négociations ont porté sur les contraintes de calendrier, les moyens et l’architecture du nouveau dispositif autour du CSE », ajoutant qu’elles « se sont souvent focalisées sur la dimension technique au détriment d’une réflexion de fond sur les finalités du dialogue social dans l’entreprise et les voies par lesquelles l’améliorer ». Les directions et les représentants du personnel « ont rarement saisi l’opportunité de repenser ensemble le dialogue social, ses finalités et ses conditions de réussite ». Au final, « les temps de diagnostic partagés sur l’existant ont été rares et les représentants du personnel ont globalement regretté des négociations asymétriques, à l’avantage de l’employeur ». Dans les entreprises où les négociations ont déjà abouti, les résultats sont très contrastés. « C’est dans les plus grandes que le nombre d’élus et d’heures a le plus baissé et que l’architecture des instances a été le plus impactée alors que dans les petites entreprises, surtout celles où la DUP était déjà en vigueur, les changements ont été mineurs », indique Thomas Capelier.

Proximité, santé, parcours…

Dans le détail, le rapport identifie plusieurs enjeux clefs pour les futurs CSE. D’abord celui de la proximité puisque la fusion de l’ensemble des instances pose la question de la représentation sur le terrain. Les auteurs du rapport constatent que les négociateurs ont développé plusieurs solutions : dans certaines entreprises ont été créés des représentants de proximité reproduisant plus ou moins les fonctions des DP ; dans d’autres, ils ont été sacrifiés au profit d’un autre point de la négociation ; dans d’autres encore ont été créées des missions hybrides entre DP et délégué syndical de proximité. « Globalement, les représentants de proximité n’étaient pas une priorité de la négociation, note Thomas Capelier. Maintenant il faut attendre pour voir comment cette fonction nouvelle va s’inventer. »

La santé est l’autre problématique dont la gestion est complètement revue avec l’invention du CSE. Les lois Auroux avaient créé en 1982 le CHSCT, une instance dédiée qui se consacrait à la prévention et à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Cette mission est désormais du ressort du CSE ou d’une commission spécifique (CSSCT) pour les entreprises de plus de 300 salariés ou celles présentant des risques spécifiques comme celles classées Seveso. Le rapport constate que les CSSCT prennent forme à travers les dispositions découlant des négociations : « Celles-ci vont d’accords a minima, avec des moyens de la commission rarement précisés et peu ou pas de propositions extra-légales, à des accords plus inventifs. Contrairement aux anciens CHSCT, les nouvelles CSSCT doivent fonctionner selon un nouveau modèle de délégation, propre au travail en commission. De nombreuses prérogatives relatives à la santé-sécurité au travail, autrefois confiées au CHSCT, de même que l’articulation entre le CSE et cette commission, restent encore imprécises : réalisation des enquêtes, des inspections, etc. En l’absence de cette commission, il revient aux élus du CSE de développer un savoir-faire et une compétence sur les sujets de santé et prévention. »

Professionnalisation des IRP

Enfin, les parcours des élus et leur travail concret, dernier enjeu clef soulevé par le rapport, n’a guère mobilisé les négociateurs. « Peu de choses favorisent le renforcement des carrières syndicales », constate Nicolas Farvaque. Ces élus sont pourtant très sollicités or la majorité d’entre eux ont un travail dans l’entreprise, auquel vient s’ajouter leur fonction d’élu. « Cette double charge n’est pas assez prise en compte, déplore le spécialiste. La formation, notamment, est restée ce qu’elle était dans « l’ancien monde ». Les élus suivent quelques heures de formation en début de mandat et puis plus rien ensuite. Comme si l’élection suffisait à les doter de pouvoirs nouveaux pour traiter les sujets qu’ils vont aborder, ce qui n’est évidemment pas le cas. » Il en conclut que « la question des compétences nécessaires pour faire fonctionner le dialogue social n’a pas été suffisamment explorée ».

Toujours tenue en lisière du dialogue social, elle risque pourtant de devenir une pierre d’achoppement majeure. En concentrant le traitement d’un très grand nombre de sujets, le CSE va confronter les élus à une variété inédite de thématiques, allant de la politique économique jusqu’à la santé au travail. Nicolas Farvaque sonne l’alarme : « Il y a un risque de submersion des élus. » D’autant plus élevé que les suppléants ne pourront pas assister aux réunions du CSE. Pour l’éviter, il suggère d’entrer dans une logique de commission et d’ingénierie, avec « un chef d’orchestre et une spécialisation des élus ». Au final, il semble acquis que les ordonnances ont manqué leur cible. Au lieu de réduire le phénomène de professionnalisation des IRP, elles en font au contraire la condition sine qua non du fonctionnement des CSE. Compte tenu des difficultés manifestes des élus et du peu d’empressement des employeurs à les soulager, l’amélioration de la qualité du dialogue social risque de rester un vœu pieux.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins