logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

Apprentissage : Les CFA hors les murs font tomber les barrières

Le point sur | publié le : 23.09.2019 | Benjamin d’Alguerre

Image

Apprentissage : Les CFA hors les murs font tomber les barrières

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

On compte environ 30 % de CFA « hors les murs ». Ces structures pas comme les autres appuient leur action formative sur un réseau de partenaires externes conventionnés et jouent les interfaces entre financeurs de l’apprentissage, jeunes et entreprises. Le modèle a le vent en poupe depuis les années 1990, mais la réforme « Avenir professionnel » pourrait rebattre les cartes.

C’est un petit bâtiment de briques rouges situé au centre-ville d’Amiens à quelques pas du Cirque Jules-Verne. À peine un étage de hauteur et quelques centaines de mètres carrés de superficie au sol. Difficile de le différencier des immeubles voisins dans ce quartier résidentiel. Et pourtant, le CFA de l’enseignement catholique Jean-Bosco accueille chaque année quelque 1 800 apprentis. De quoi susciter de sérieux problèmes de voisinage ? Même pas. L’immense majorité des jeunes accueillis au sein de ce centre de formation pour préparer leur diplôme (du CAP au bac + 4) n’ont jamais mis les pieds au 43, rue Laurendeau, siège du CFA. Normal. Ils sont dispersés dans les 26 unités de formation d’apprentis (UFA) réparties sur le territoire des Hauts-de-France. Le siège amiénois n’est que celui de l’organisme gestionnaire de ce centre de formation d’apprentis, dit « hors les murs ».

Montée en puissance depuis les années 1990

Selon les calculs de la Fnadir, la fédération des directeurs de CFA, près de 30 % des quelque 1 200 centres de formation d’apprentis répartis sur le territoire seraient dans le même cas. « Les CFA hors les murs sont constitués d’une entité administrative qui délègue la réalisation des actions de formation à des structures externes qui peuvent être des établissements éducatifs (lycées professionnels ou universités), mais aussi d’autres CFA ou organismes de formation, voire d’entreprises disposant des plateaux techniques et des capacités d’accueil permettant la formation théorique des apprentis », explique Jean-Luc Peuvrier, directeur du cabinet Stratice. De fait : tous les CFA du sport et la plupart des CFA universitaires (Formasup) ou consulaires sont « hors murs », tout comme certains centres de formation relevant de « grands comptes » comme la SNCF (dont les technicentres peuvent constituer autant d’UFA) ou le futur centre de formation qu’Aéroports de Paris doit bientôt mettre en chantier. Historiquement, seuls les centres appartenant aux maisons familiales et rurales (MFR) correspondaient à ce modèle, mais celui-ci « s’est démocratisé à partir des années 1990 lorsque les politiques publiques ont entériné le fait que l’apprentissage pouvait se révéler une arme contre le chômage des jeunes. Les CFA académiques s’y sont mis un peu plus tard, dans les années 2000 », se souvient Jean-François Desbonnet, vice-président de la Fnadir et directeur du CFA Jean-Bosco.

« On fait le liant »

Les dirigeants de CFA « hors les murs » vantent la souplesse de leurs structures par rapport aux CFA « classiques » ou « en dur » qui relèvent le plus souvent des secteurs de l’artisanat ou du compagnonnage. Ils permettraient de mieux mailler les territoires, via l’implantation de leurs UFA, et ils constituent aussi une interface pratique pour des conglomérats d’établissements ou d’entreprises souhaitant développer la formation en apprentissage en échappant à la charge bureaucratique liée à la création et à la gestion d’un centre de formation d’apprentis. « Nous sommes facilitateurs. Non seulement on soulage les entités fondatrices du CFA de toute la partie administrative et financière de l’apprentissage comme la gestion des contrats ou la recherche de la taxe, mais, en outre, on fait le liant entre les entreprises accueillantes, les jeunes et les pilotes financiers de l’apprentissage que sont les régions aujourd’hui et que seront les Opco demain », observe Christine Lavocat, directrice de l’Irfa-Apisup, un CFA picard de l’enseignement supérieur fondé en 1995 par un conglomérat de sept grandes écoles (Cnam, UTC, Escom,…). Ce rôle d’interface facilitatrice que joue le CFA « hors les murs » est également évoqué par Emmanuelle Maufrais, dirigeante du CFA Sacef, un établissement francilien développé par une alliance de grandes entreprises et dont le réseau d’UFA comprend aujourd’hui aussi bien des grandes écoles comme l’Inseec que l’IUT de Saint-Denis-Villetaneuse ou une demi-douzaine de lycées publics et privés d’Ile-de-France. « On sait parler d’argent aux entreprises, ce qu’un établissement d’enseignement ne parvient pas toujours à faire, résume-t-elle. Mais nous savons aussi intervenir sur un cursus pédagogique pour l’adapter à la réalité d’un parcours en apprentissage, accompagner les jeunes durant ce parcours ou encore prévenir les ruptures de contrats. Bref, toutes ces “nouvelles missions” que la loi “Avenir professionnel” confie aux CFA… et qui ne sont pas si nouvelles que ça en réalité. »

La réforme, justement, pourrait venir bousculer le fonctionnement de ces CFA d’un genre particulier puisqu’elle supprime la tutelle régionale sur l’apprentissage et ouvre grand le champ des possibles à toute entité qui souhaiterait ouvrir son propre établissement.

Risque de concurrence ?

Selon le dernier comptage du ministère du Travail, réalisé début septembre, 61 entreprises se sont déclarées prêtes à franchir le pas et quatre d’entre elles (Adecco, Accor, Korian et Sodexo) ont même annoncé leur volonté de s’associer pour faire émerger un centre de formation commun consacré aux métiers de la cuisine. Pour Jean-Luc Peuvrier, il y a danger pour les CFA installés, particulièrement ceux fonctionnant hors murs. « Sur le plan légal, rien n’empêche désormais une UFA de se constituer en CFA autonome. Les écoles départementales de la Croix-Rouge, actuellement UFA, auraient toute légitimité pour se constituer en centre de formation. » « Il existe des projets de ce type, mais rien ne dit qu’ils se traduiront concrètement », tempère Gérard Cherpion, député des Vosges et ancien porteur de la loi du 28 juillet 2011 sur le développement de l’alternance. « Il n’est pas si simple de s’engager dans la création d’un CFA. Cela exige l’inscription de l’établissement formateur dans une démarche qualité, nécessite une bonne connaissance du tissu entrepreneurial local et demande une gestion administrative lourde. Il y a l’euphorie du début, mais attendons la suite. » N’empêche : tout risque n’est pas écarté. La qualité du maillage territorial dont se prévalent les centres de formation hors les murs pourrait se voir sérieusement rognée par l’apparition de structures indépendantes installées au plus près des bassins d’emploi. Une problématique à prendre d’autant plus en considération qu’au 1er janvier prochain, les conseils régionaux, dégagés de leur compétence sur l’apprentissage, pourraient mettre fin aux systèmes d’aides au logement ou à la mobilité des apprentis afin de redéployer ces crédits vers d’autres budgets. La loi « Avenir professionnel » prévoit que les opérateurs de compétences pourront se substituer aux régions, mais reste à savoir dans quelle mesure et dans combien de temps.

La tentation du Low Cost

Les candidats à la création de CFA ex nihilo pourraient aussi se voir motivés par la carotte des tarifs au contrat fixés annuellement par France Compétences qui entreront en vigueur au 1er janvier prochain. Souvent plus avantageux financièrement que les « coûts préfectoraux » calculés régionalement, notamment pour les niveaux post-bac. D’autant que la nouvelle configuration née de la loi du 5 septembre 2018 exonérera les établissements de toute course à la taxe d’apprentissage. Un exercice aussi pénible que chronophage auquel les établissements de « l’ancien monde » étaient parfois soumis. Plusieurs UFA Formasup de l’ouest de la France ont ainsi signifié leur intention de voler de leurs propres ailes. À l’Association nationale des apprentis de France (Anaf), on redoute de voir sortir de terre des CFA low cost, aux prestations pédagogiques réduites au minimum minimorum sur des titres professionnels avec l’ambition affichée de marger au maximum sur les coûts-contrats. « Heureusement, le référentiel qualité exigé par le ministère du Travail avant toute ouverture de nouveau CFA devrait dissuader les moins sérieux. Mais il faudra tout de même se montrer vigilant », prévient Aurélien Cadiou, le président de l’Association. « Il y aura sans doute des opportunistes. Des organismes de formation présents sur le marché du contrat de professionnalisation qui se lanceront sur l’apprentissage pour profiter des coûts-contrats. D’autres qui lanceront sur le marché des formules pédagogiques numériques à faible valeur ajoutée », annonce Emmanuelle Maufrais. Et de s’interroger : « Y aura-t-il des contrôles des nouveaux CFA en amont de leur ouverture ? Pour l’instant, la loi ne le dit pas. »

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre