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Le fait de la semaine

Égalité professionnelle : Près de la moitié des syndiqués s’estiment discriminés

Le fait de la semaine | publié le : 23.09.2019 | Sophie Massieu

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Égalité professionnelle : Près de la moitié des syndiqués s’estiment discriminés

Crédit photo Sophie Massieu

La 12e édition du baromètre des discriminations perçues dans l’emploi réalisé par le Défenseur des droits se penche sur les discriminations imputées à des engagements syndicaux.Un constat sans appel qui n’étonne personne. Mais des solutions pour y remédier existent…

Près d’une sur deux. C’est la part des personnes engagées dans une activité syndicale, qui estiment avoir été victimes d’une discrimination en raison de cette implication (46 % précisément) ; 51 % d’entre elles voient dans leur activité syndicale un frein à leur propre évolution professionnelle, et 43 % y détectent la cause d’une dégradation de leurs relations avec leur hiérarchie. Le sentiment que l’activité syndicale représente un risque pour l’emploi et l’évolution personnelle est, plus largement, partagé dans l’ensemble de la population active, par 42 % des personnes interrogées.

Ce sont là quelques-uns des résultats du 12e baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, présenté le 19 septembre dernier par le Défenseur des droits, en partenariat avec l’Organisation internationale du travail. Cette édition 2019 est consacrée aux discriminations syndicales et comprend deux enquêtes. L’une a été réalisée auprès de la population active générale, par Ipsos en avril dernier auprès d’un échantillon représentatif de 1 001 personnes. Dans le même temps, l’autre a été adressée aux adhérents de huit organisations syndicales représentatives et ce questionnaire auto-administré a reçu 33 483 réponses.

Pour le sociologue et professeur à Paris I, Jean-François Amadieu : « Il aura fallu attendre la 12e édition pour s’intéresser à cette forme de discrimination, qui est moins présente dans l’agenda des entreprises ou des institutions comme le Défenseur des droits que d’autres motifs de discrimination, moins embarrassants pour les entreprises. Les discriminations syndicales représentent des enjeux particuliers, pour les employeurs, de pouvoir, d’impact économique au travers des revendications salariales… »

Un phénomène d’ampleur

Mais le fait qu’une personne syndiquée sur deux se sente discriminée est, pour lui, un « résultat attendu ». Même s’il invite à prendre le pourcentage avec précaution, arguant qu’il est parfois difficile d’établir l’ordre entre cause et effet, entre engagement syndical et discrimination, ou entre difficulté rencontrée au préalable et choix de devenir représentant du personnel. Céline Verzeletti, secrétaire confédérale CGT notamment en charge des libertés syndicales, voit dans ce chiffre la confirmation que « la discrimination, la répression et l’entrave à l’activité syndicale ne sont pas le seul fait de patrons voyous mais représentent un phénomène d’importance ».

En présentant le contexte de son baromètre, le Défenseur des droits partage cette idée. Il ne s’agit pas d’un épiphénomène, encore mal documenté, peu visible, et peu évalué. D’autant que les personnes qui se sentent discriminées n’enclenchent pas toujours les procédures visant à faire reconnaître ce phénomène, faute de pouvoir réunir des preuves ou par peur de représailles supplémentaires. Ainsi 44 % des personnes ayant intenté une action pour que cesse leur discrimination estiment-elles avoir fait l’objet, ensuite, de mesures de rétorsion. Logique donc, que pour l’ensemble des personnes interrogées (42 % des militants syndicaux et 35 % de la population active en général), la peur des représailles constitue la première cause du non-engagement.

Une quadruple inégalité

Mais ces chiffres globaux dissimulent des inégalités. D’abord, ceux qui exercent des mandats de délégués syndicaux sont, de loin, les plus discriminés (69 % contre 57 % de ceux exerçant un autre type de mandat ou 20 % pour les militants non élus). Six délégués syndicaux sur dix (61 %) estiment avoir été retardés dans leur évolution professionnelle et plus d’un sur deux (53 %) en matière de rémunération. Autre inégalité : les ouvriers et ouvrières, les personnes handicapées ou celles qui sont aidantes d’une personne dépendante se disent, aussi, plus souvent discriminées que les militants syndicaux dans leur ensemble. Le baromètre pointe, par ailleurs, des secteurs d’activité plus discriminants que d’autres, l’industrie en tête (57 % de victimes de discrimination), suivie des transports, logistique et manutention (54 %). Pour la CGT, Céline Verzeletti s’interroge sur ces différences sectorielles : certains, comme l’hôtellerie-restauration, lui semblent discriminants, aussi est-elle surprise de ne pas les voir dans le tiercé de tête. Cela lui laisse à penser que le chiffre reflète moins la réalité que la faible représentation des syndicats dans un secteur donné.

Enfin, dernière inégalité reconnue par tous, quoique non documentée dans le baromètre paru ce 19 septembre, la discrimination des militants dépend, aussi, largement, de leur syndicat d’appartenance. Pour dépasser le constat, et lutter contre les discriminations, diverses propositions se font jour. D’abord, la volonté de mieux les connaître et les rendre plus visibles. La CGT planche sur son propre baromètre, qu’elle espère lancer début 2020. Pour prévenir, le syndicat se dit aussi favorable à la mise en place d’indicateurs, en matière d’évolution des rémunérations par exemple, à l’image du récent index de l’égalité femmes-hommes. Et pour punir, Céline Verzeletti en appelle à davantage de contrôles des inspecteurs du travail.

Jean-François Amadieu verrait, lui, d’un bon œil l’intégration de la représentation des élus au sein des politiques de diversité, dont elles lui semblent être la grande absente.

Le délégué confédéral CFE-CGC à la formation et à l’égalité professionnelle, Éric Freyburger, en appelle pour sa part à un réel aménagement de la charge de travail des élus. Aujourd’hui, seuls 15 % d’entre eux, selon le baromètre du Défenseur des droits, en ont bénéficié. Pour lui, il faudrait aller jusqu’à envisager des recrutements, d’une personne à temps partiel ou d’un alternant, par exemple. Autre piste : que les élus travaillent, en accord avec l’entreprise, à la valorisation des acquis de cette expérience syndicale, quitte à les compléter par une formation, pour, ensuite, mettre ces nouvelles compétences au service de l’employeur. Des pistes qui vont dans le sens des recommandations faites en février 2018 par Gilles Gateau, alors directeur général des RH d’Air France, et Jean-Dominique Simonpoli, directeur général de l’association Dialogues. Et pour éviter les écarts de rémunération, la CFE-CGC recommande que les élus perçoivent durant leur mandat les augmentations moyennes des autres salariés, afin que les écarts ne se creusent. « Puisque le nombre d’élus va diminuer, cela ne coûtera pas cher aux entreprises ! », souligne Éric Freyburger.

Un avenir incertain

La naissance des comités sociaux et économiques, qui regroupent trois anciennes instances représentatives du personnel (CHSCT, CE et DP), vont en effet mécaniquement diminuer le nombre d’élus. Mais il semble difficile pour l’heure d’évaluer précisément l’impact de ce nouveau mode de représentation sur les discriminations. Autre source d’interrogation : la progression des syndicats réformistes au détriment d’autres, plus contestataires, va-t-elle avoir un impact sur les formes de discriminations exercées à l’encontre des salariés syndiqués ?

Deux nouveaux outils de lutte

Le Défenseur des droits publie un mémento à l’intention des victimes de discriminations syndicales dans l’emploi privé, qui rappelle les textes applicables, les modes de preuve… Et en collaboration avec l’ANDRH, Pôle emploi ou encore l’Apec, il édite un guide pratique pour prévenir les discriminations à l’embauche, intitulé « Pour un recrutement sans discrimination ».

Auteur

  • Sophie Massieu