Peut-on tout dire en entreprise ? Blagues sexistes subies au quotidien, remarques homophobes, travail sans intérêt… Certains thèmes demeurent tabous. Our Company a lancé une application afin que les salariés puissent échanger dans l’anonymat.
« Des claques sur les fesses, des allusions salaces d’un collègue senior. Des faits rapportés à la direction qui me répond que je n’avais qu’à pas me laisser faire », « Les missions confiées ne m’emballent plus. Mon travail me paraît répétitif », « Mon manager m’annonce par téléphone que mon CDD prend fin alors que je suis avec des clients »… Sexisme, perte de sens, relations tendues avec un manager…
Autant de situations difficiles à aborder en entreprise et qui pourtant peuvent rendre la vie professionnelle insupportable. Le cabinet Our Company, qui mesure le bien-être au travail des salariés, s’est posé cette question en juin dernier : peut-on aborder tous les sujets en entreprise ?
« 40 000 personnes ont répondu à notre sondage, 90 % d’entre elles ont affirmé que non, explique Stéphane Bourbier, PDG et cofondateur de Our Company. Forts de ce constat, nous avons mis en place une application gratuite afin que les employés puissent converser dans l’anonymat sur toutes les thématiques sensibles. » En l’espace d’un mois, 15 000 salariés ont rejoint les 40 communautés différentes développées sur le site d’Our Company. Les 23-35 ans sont ceux qui se sont le plus emparés de la plateforme. « Nous constatons qu’environ 15 % de personnes en plus se connectent chaque semaine », poursuit Stéphane Bourbier. C’est dire le besoin urgent de communiquer, d’échanger et de libérer la parole en entreprise.
Les managers ne sont pas en reste. Ces derniers peuvent se retrouver perdus face à la complexité de leur poste et au poids de leurs responsabilités. « Je manage aujourd’hui deux personnes et d’ici décembre ce nombre devrait passer à dix. Je suis juriste de formation et pas spécialement formé pour manager une équipe (…) auriez-vous des conseils pour que je puisse être un bon manager ? », demande l’un d’eux.
Car sur la toile, les salariés viennent aussi chercher des conseils. « Ils viennent avant tout pour trouver l’empathie de leurs pairs, constate Stéphane Bourbier. Pour constater aussi qu’ils ne sont pas seuls dans cette situation qui est la leur. Pour pousser un coup de gueule également. Et trouver des réponses à leurs problèmes spécifiques. » Quels sont leurs droits concernant des dates de congés imposées, qu’en est-il lorsque le contrat stipule un certain nombre d’heures au final largement dépassées sans être rémunérées dans les faits… « Nous avons remarqué que, quel que soit le secteur d’activité, les problématiques restent les mêmes. Malgré le mouvement #metoo, le sexisme sévit et perdure au quotidien dans la plupart des entreprises. Il existe un véritable enjeu de sensibilisation, de conscientisation de certains sujets », estime Élodie Brisset, psychologue et cofondatrice de Our Company.
L’anonymat permet d’aborder certains thèmes mais pas tous. « Certaines difficultés ne sont pas faciles à aborder. Le sexisme, le racisme, l’orientation sexuelle, les difficultés des aidants familiaux peuvent nécessiter une aide extérieure et un avis d’expert », poursuit Élodie Brisset. Pour ceux qui le souhaitent, d’autres échanges pourront, dès la fin du mois de septembre, se mettre en place auprès de véritables professionnels. Des psychologues, médecins du travail, assistantes sociales, coachs, syndicats et associations spécialisées ont d’ores et déjà proposé leurs services pour écouter les employés qui en ressentent le besoin. « Cet accompagnement par chat peut s’avérer complémentaire pour le salarié qui aurait besoin d’aller plus loin dans l’échange concernant sa situation. Ces experts pourront également orienter les interlocuteurs vers une vraie consultation auprès d’un spécialiste si le chat ne suffisait pas face à des problématiques plus sérieuses », insiste Élodie Brisset.
De leur côté, face au besoin d’écoute des salariés, les entreprises ont commencé à réagir sur l’espace entreprises d’Our Company. « La plateforme est plutôt bien perçue par les employeurs. C’est un complément d’écoute et de solutions pour mettre en place les bonnes pratiques. Lorsque des salariés dénoncent le manque d’intérêt pour leurs missions et sont en quête de sens au niveau de leur travail, les entreprises ont tout intérêt à s’y intéresser pour remotiver les collaborateurs », conclut Élodie Brisset.
