Depuis quelques années, les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) investissent le marché des RH, du recrutement à la formation, la dernière initiative étant le fait de Google en juin dernier. Des grandes manœuvres qui constituent à la fois des opportunités et des menaces, tant pour les employeurs que pour les acteurs de la filière.
Nous sommes entrés dans une ère de grandes manœuvres. En juin dernier, Google a lancé sa fonctionnalité d’agrégation d’offres d’emploi en France issues de sites d’emplois tiers, comme Monster, Pôle emploi ou Figaro Classifieds. Quand vous tapez sur Google un intitulé de poste, par exemple « chargé d’études marketing Paris », le moteur de recherche plutôt qu’une liste de liens affiche directement les résultats avec les détails essentiels des offres : localisation, type de contrat, date de publication… Cette meilleure ergonomie devrait stimuler la remontée de candidatures. Depuis plus d’un an, Facebook propose par ailleurs aux entreprises de passer des petites annonces en s’appuyant sur l’outil Facebook Jobs. Grâce à cette fonctionnalité, les recruteurs postent leurs offres directement sur leur page entreprise et dialoguent avec les candidats via la messagerie instantanée Messenger. Facebook Jobs, qui cible les candidats non-cadres, les secteurs qui brassent de gros volumes comme l’hôtellerie, la restauration ou la grande distribution, a même conclu des partenariats avec des éditeurs de logiciels de gestion de recrutement pour que les candidatures puissent être plus facilement traitées par les recruteurs. Ainsi, le réseau social parachève son offensive sur le marché de l’emploi. Mais la plus grosse opération à ce jour demeure le rachat de LinkedIn en 2016 par Microsoft.
Entre le rachat de LinkedIn par Microsoft, le lancement du programme Google for Jobs, l’essor de Facebook jobs, les Gafam sont manifestement en passe de prendre le pouvoir sur ce terrain longtemps trusté par des spécialistes. Ces géants du numérique ont une mécanique bien huilée… ils proposent gratuitement un service de base ouvert à tous et une monétisation sur des services additionnels. Ce qui est étonnant, c’est qu’ils ne soient pas arrivés plus tôt dans un marché qui reste relativement ouvert, surtout si on le compare avec celui de la formation. Les nouveaux entrants peuvent acquérir en quelques années une position dominante et ils ne cessent d’élargir leur positionnement. Regardez LinkedIn qui possède le plus gros fichier professionnel avec 54 % de la population active française, même si les TPE ou la fonction publique sont moins bien représentés. Sa réussite tient à son écosystème : il propose des indicateurs pour s’étalonner, comme le Social Selling Index, et quand des lacunes de connaissances sont détectées, vous pouvez pour moins de 30 euros par mois vous former et faire référencer ces formations par son algorithme… Il faudrait être fou pour dépenser plus.
Ils ont une légitimité de par leur ancienneté mais se retrouvent finalement dans la même situation que les taxis qui voient arriver Uber… Il ne leur servira à rien de s’opposer, ils doivent se réinventer. Les mastodontes américains n’ont pas le monopole de l’innovation. Ainsi, la jeune pousse Hire, en développant un algorithme efficace de matching entre candidat et offre d’emploi pour les grands comptes, s’impose-t-elle sur le marché du recrutement des cadres. Glowbl, créé en 2011 à Lyon, propose de réinventer les projets autour de la visioconférence, avec une ergonomie attractive. La créativité vient des petits. En procédant à des rachats ou en montant des partenariats avec des jeunes pousses, les opérateurs historiques peuvent créer les synergies qui leur donneront le moyen de résister aux géants américains. Mais ils tardent pourtant à le faire, c’est le problème des grands groupes. Bien évidemment, l’intelligence artificielle sera une clé de réussite pour se réinventer. Le deep learning facilite la personnalisation de la gestion mais surtout la prédictibilité qui donnera corps à ce que Google ambitionne de faire depuis plus d’une décennie : à savoir donner aux collaborateurs ce qu’ils désirent avant qu’ils en aient conscience. Dans cette perspective, les DRH doivent devenir très créatifs, capables de développer les talents de leurs collaborateurs pour faire fructifier la relation employeur-collaborateur tout au long de la carrière…
Deux Gafam investissent ces univers. Facebook avec Workplace et Microsoft qui a créé Team en 2017 après le refus de Slack de se vendre. Le succès de ces plates-formes dépendra des usages qu’en font les communautés professionnelles. Les obstacles à l’adoption de ces outils sont en effet moins techniques que culturels car ils questionnent l’organisation de l’entreprise. En quoi une communauté intéresse-t-elle un collaborateur ? Comment définir une ligne éditoriale attractive pour inciter les salariés à la rejoindre ? Demain, les agents conversationnels qui peuvent se décliner dans chaque métier contribueront à rendre ces plates-formes plus pertinentes en apportant un soutien instantané et 24 heures sur 24 aux collaborateurs.
Comme dans le recrutement, ils disparaîtront s’ils ne se réinventent pas, d’autant que les Gafam proposent des formations de bonne qualité et gratuites… avec des options payantes. Le marché de la formation des adultes a longtemps été un marché administré, peu propice à l’innovation. Cela commence à changer. EdTech France regroupe des entrepreneurs français qui ont décidé de mettre la technologie utile au service de l’éducation et de la formation. Des start-up comme Unow, un organisme de formation digitale spécialiste des SPOC (formations digitales tutorées) ou My Mooc, spécialisée dans le référencement des Mooc, montrent qu’il y a une place pour les petits acteurs face aux grands. C’est d’autant plus vrai que l’innovation dans le secteur de la formation n’engendre pas forcément de coûts astronomiques, on le voit bien avec l’essor des communautés apprenantes. Même la monétisation peut être automatisée avec des outils de social selling… Dommage que les pouvoirs publics n’accompagnent pas davantage ces initiatives.
Tous ont des projets qui impacteront les RH. Amazon a créé Askmyclass qui permet à Alexa d’assister un formateur et contribue au développement du vox learning. Mais, moins que les Gafam, c’est davantage aux BATX qu’il faut aujourd’hui s’intéresser : les géants chinois (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi) mènent en Asie des expérimentations moins visibles mais bien réelles, notamment dans le domaine du social scoring : chaque collaborateur s’y voit attribuer un score en fonction de ses réalisations et ce score est enrichi par son réseau professionnel et même personnel. Ce score permet aux salariés jugés performants d’obtenir toute une série d’avantages. Ce système révolutionne l’évaluation du travail de chacun par tous.
Votre question est anxiogène mais on peut voir les choses différemment. Au début du XXe siècle, chaque entreprise disposait de sa propre infrastructure de téléphonie. Aujourd’hui, les entreprises externalisent la téléphonie à des prestataires capables de réaliser des économies d’agglomération provenant de la densité et diversité du tissu économique. Cela leur permet de proposer un service qu’aucune entreprise ne pourrait fournir seule en interne. C’est la même chose pour les RH : une partie sera externalisée pour le meilleur, et le pire serait de penser que la fonction RH est en danger. Elle va se réinventer autour de compétences comme la motivation des collaborateurs, la gestion de projets, le marketing social. Et là, seule une entité interne dispose de la légitimité nécessaire pour le faire, avec ou sans les outils des Gafam. Il n’en est pas moins vrai que l’essor des géants du numérique pose un défi à la souveraineté des États. L’avenir du numérique se fera selon Eric Schmidt, cofondateur de Google, autour de deux écosystèmes, américain et chinois. L’Union européenne en sera réduite à faire jouer la concurrence entre les deux, à moins de faire émerger ses propres champions.
Après un doctorat d’économie à l’université d’Aix-Marseille, Stéphane Diebold commence une carrière dans l’enseignement supérieur comme directeur de la formation de Kedge Business School puis de l’IPAG. Il s’oriente ensuite vers l’entreprise en devenant responsable de la formation de Midas France, puis de BNP Personal Finance, avant de créer une société de conseil. Il assure de nombreuses formations en matière d’ingénierie et d’innovations pédagogiques et s’investit en parallèle dans les médias et organismes intéressant les professionnels de la formation : le Garf, l’European Training and Development Federation, le Comité mondial des apprentissages, Forma Radio, la radio des professionnels de la formation, sans oublier l’Affen (Association française pour la formation en entreprise et les usages numériques) qu’il a fondée.