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Trajets domicile-travail : Plans de mobilité : pourquoi les entreprises peinent à s’y mettre

Le point sur | publié le : 09.09.2019 | Judith Chétrit

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Trajets domicile-travail : Plans de mobilité : pourquoi les entreprises peinent à s’y mettre

Crédit photo Judith Chétrit

Si la mobilité durable est devenue un sujet très tendance dans les entreprises, celles-ci se sont très rarement dotées d’un plan de mobilité, rendu obligatoire au 1er janvier 2018 dans les sociétés de plus de cent salariés, par la loi sur la transition énergétique de… 2014. Applications de covoiturage, flottes d’autopartage, vélos, transports en commun, télétravail : les entreprises sont pourtant au premier plan.

Et si vous avanciez ou décaliez votre heure d’arrivée au travail ? Plusieurs grands sièges sociaux de la Plaine Saint-Denis, en proche banlieue parisienne, comme ceux de la SNCF et Orange, s’y sont lancés il y a déjà plusieurs années, dans le cadre d’une opération pilote baptisée « challenge décalé ». Arriver avant 8 h 15 ou après 9 h 15 au bureau, avec l’accord de la hiérarchie, a fait ses preuves : selon l’Ademe, cela a eu un impact sensible dans le désengorgement du trafic. Cette action qui reposait sur le volontariat a été dupliquée au quartier d’affaires de La Défense au printemps dernier. Seulement, en dépit des obligations introduites en 2018 par la loi relative à la transition énergétique de 2014, le thème de la mobilité fait vraiment figure de gadget dans beaucoup de directions des ressources humaines. Faute de sanctions financières, seulement un dixième d’entre elles (sur 17 000 concernées) ont mis en œuvre un plan de réduction des émissions polluantes et du trafic routier en favorisant le développement de transports alternatifs. Celles qui sont passées outre s’exposent à ne plus bénéficier des subventions de l’Ademe et à ne pas pouvoir obtenir la certification ISO 14001.

Alors que la loi d’orientation sur les mobilités, de retour au Parlement après l’échec en commission paritaire en juillet, peine à susciter un consensus, le ticket mobilité de 400 euros maximum remboursé par l’employeur sur le modèle du ticket restaurant est considéré par le gouvernement comme une nouvelle arme fatale. « Il y a un effet rebond issu de la crise des Gilets jaunes qui a donné lieu à beaucoup d’échanges sur les déplacements des Français. Mais autant il est facile d’informer sur les modes de transport, autant il reste difficile pour les entreprises d’évaluer l’efficacité des mesures déjà mises en œuvre », estime Haude Courtier, consultante spécialisée dans le transport pour le cabinet de conseil Wavestone.

Réduction des coûts

Hormis la participation financière obligatoire de 50 % aux abonnements aux réseaux de transports en commun, rares sont ainsi les initiatives qui se démarquent. L’indemnité kilométrique pour l’usage d’un vélo ? À peine une centaine d’entreprises ont décidé de verser cette somme de 200 euros par salarié, exonérée de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu, a-t-il été rappelé au cours des débats parlementaires au printemps sur la loi Lom. Inutile de parler des flottes d’entreprise : la courbe d’immatriculations reste plutôt stable ces dernières années et se caractérise par une timide bascule du diesel vers les véhicules électriques qui restent encore très minoritaires en parts de marché. Avec un parc de 4 000 voitures disponibles en autopartage en France, Orange tente de réduire l’usage des voitures de fonction. Dans ce groupe qui a harmonisé il y a un an ses neuf accords régionaux en un plan de mobilité national, ces véhicules peuvent être même utilisés pour des déplacements personnels en échange d’une contrepartie financière.

Incitations et contraintes

Au-delà de la réduction des coûts liés à la mobilité, les sociétés « de mobilité douce » cherchent à convaincre leurs interlocuteurs en interne qu’il s’agit aussi d’une question de qualité de vie au travail, d’attractivité et de productivité et pas seulement d’environnement. « Longtemps, les entreprises ont été considérées comme des ressources de financement, la mobilité étant vue comme un enjeu au niveau de l’État, des collectivités et des individus. Aujourd’hui, l’entreprise est considérée comme l’un des endroits névralgiques où s’opèrent les choix individuels de mobilité », estime Antoine Beyer, professeur de géographie à l’université de Cergy-Pontoise.

Les entreprises les plus sensibilisées par le sujet reconnaissent qu’elles balancent entre incitations et contraintes auprès de leurs salariés. Par exemple, une participation aux frais de covoiturage est instaurée parallèlement à une mesure de réduction des places de parking pour les véhicules individuels, sommés d’aller se garer parfois beaucoup plus loin. Aujourd’hui, alors que quasiment 60 % des trajets domicile-travail de moins d’un kilomètre se font en voiture, seulement 4 % des personnes qui parcourent cette distance le font à vélo. Malgré les trois plans en faveur de l’usage du vélo qui se sont succédé, les freins sont connus : cet usage est dépendant d’un bon réseau de pistes cyclables, des reliefs de territoires qui ne s’y prêtent pas ou encore d’un maillage insuffisant de stationnements sécurisés pour les bicyclettes, notamment près des gares.

Avant de mettre en place un plan de mobilité, les entreprises entament un travail de cartographie recensant l’offre, les pratiques et fréquences de déplacement de leurs salariés afin de mieux identifier les leviers d’amélioration, en prenant en compte également la totalité de l’organisation du travail. « C’est un élément qui est remonté des enquêtes menées auprès des salariés et qui nous a conduits à ne pas prêter uniquement attention aux transports mais aussi au développement du télétravail et des visioconférences. Car, quel que soit le mode de trajet retenu, le premier critère reste la rapidité avec un lien entre la distance du domicile et le niveau de satisfaction », souligne Nathalie Devulder, directrice RSE de RTE (Réseau de transport d’électricité) qui s’est doté d’un plan de déplacement appelé “démarche Trajectoires” en 2011 pour les quelque 8 500 salariés.

Mutualisation des solutions et des coûts

Parfois élargi à un plan interentreprises, un diagnostic accompagné d’un calendrier de réalisation des actions doit ainsi figurer dans le plan de mobilité soumis ensuite aux autorités organisatrices, essentiellement les communautés d’agglomération. « Ces dernières ne savent pas toutes combien d’entreprises sont assujetties aux plans de mobilité sur leur territoire. Certaines autorités se sont pleinement saisies du sujet et vérifient la pertinence des plans reçus, d’autres en font beaucoup moins. Les entreprises ont surtout besoin d’identifier des contacts et des services locaux », avance Daphné Chamard-Teirlinck, consultante associée au cabinet de conseil Ekodev. L’effet de taille joue : sur les quelque 17 000 entreprises concernées par l’obligation en France, plus de 55 % d’entre elles emploient entre 100 et 200 salariés. Pour elles, la solution d’évidence est souvent le covoiturage. À la pratique, elles se rendent compte que ce genre de mesures est très difficile à impulser et à administrer et cela se termine souvent par un simple lien sur l’intranet. « Souvent, les entreprises ne font pas de plan de mobilité car elles ne savent par où commencer », avance Thomas Côte, fondateur de Wever, une ancienne start-up spécialisée dans le covoiturage qui réalise désormais des diagnostics de mobilité à l’aide de rapides questionnaires adressés aux salariés récompensés en goodies et bons d’achats. Il sensibilise le plus souvent ses interlocuteurs à l’intérêt de faire un plan de mobilité à l’échelle de plusieurs PME : « Elles peuvent ainsi mutualiser les solutions et les coûts en optimisant un système de navettes ». Transdev a récemment pris 10 % du capital de Wever pour accélérer le développement commercial de cette offre.

Il ne suffit pas d’avoir mis au point un plan de mobilité. Encore faut-il ensuite assurer une animation, une diffusion et un suivi à moyen terme de ces mesures avec des référents identifiés par les collaborateurs qui puissent expliquer le bien-fondé des options proposées. Dans un rapport de 2018, le cabinet Ekodev alertait également sur les plans qui prévoient une multitude de dispositifs sans penser à la cohérence du périmètre d’action et à la gouvernance : « Une politique de mobilité durable ne peut être pertinente et pérenne que si elle est formalisée, c’est-à-dire gérée par un pilote décisionnaire impliquant les principales directions de l’organisation et mettant en œuvre un plan d’actions évalué, revu et réorienté tous les ans », insiste Ekodev. Chez RTE, « le sujet s’est professionnalisé », reconnaît Nathalie Devulder. L’animation de la politique mobilité ne dépend plus seulement de la direction des ressources humaines et de la communication mais également de la direction informatique, immobilière et logistique ainsi que des conseillers aux affaires internes à l’échelle des implantations régionales.

Moralité, plus la mobilité est un sujet partagé, plus les résultats sont positifs.

Auteur

  • Judith Chétrit