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Marché du travail : Flexibilité : une tendance lourde depuis dix ans

Le point sur | publié le : 02.09.2019 | Benjamin d’Alguerre, Laetitia Latriche Muller

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Marché du travail : Flexibilité : une tendance lourde depuis dix ans

Crédit photo Benjamin d’Alguerre, Laetitia Latriche Muller

Les ordonnances Travail vont fêter leurs deux ans fin septembre. Elles ferment un cycle de flexibilisation du travail qui s’était ouvert en 2008 avec la mise en place de la rupture conventionnelle. Le volet « sécurisation », en revanche, n’est pas au rendez-vous.

« Après les ordonnances, on ne veut plus entendre de chefs d’entreprise nous parler de peur d’embaucher ! » C’était le 14 décembre 2017. Antoine Foucher, directeur de cabinet de Muriel Pénicaud au ministère du Travail, ouvrait les douzièmes rencontres de l’Observatoire social de l’entreprise (OSE). Dans sa besace, un beau cadeau pour les dirigeants : les ordonnances Travail dont son ministère avait achevé la rédaction un peu moins de trois mois auparavant, le 22 septembre. Cinq textes chamboulant le Code du travail et le dialogue social, censés rendre la vie plus facile aux entreprises. Inversion partielle de la hiérarchie des normes entre accord de branche et accord d’entreprise ; possibilité ouverte aux TPE de négocier et signer des accords même en l’absence de représentants du personnel ; fusion des IRP existantes dans une instance unique (le CSE) et simplification de la rupture du contrat de travail : une refonte du droit du travail de grande ampleur à laquelle l’exécutif “Macron” s’était attelé à peine arrivé aux affaires, porté par l’état de grâce post-électoral qui avait paralysé les premières contestations syndicales.

Montée en puissance de la rupture conventionnelle

Une petite révolution ? Plutôt la continuité d’un processus de flexibilisation accru entamé près d’une dizaine d’années auparavant par la loi de modernisation du marché du travail du 25 juin 2008 qui créait la rupture conventionnelle. « Si l’on voulait ergoter, on pourrait faire remonter cette tendance vers plus de flexibilité à la réforme de 1998 sur les 35 heures qui a apporté beaucoup de souplesse aux négociations sur le temps de travail, mais la tendance lourde a réellement débuté en 2008 avec la mise en place de la rupture conventionnelle qui instaurait une nouvelle façon de mettre fin à un contrat de travail sans passer par le licenciement », explique Bertrand Martinot, senior fellow de l’Institut Montaigne et, à l’époque, conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée. Il s’agissait alors de remplacer l’ancien « départ négocié » – une procédure de rupture à l’amiable du contrat de travail qui n’avait jamais vraiment rencontré le succès – par un nouveau dispositif plus sécurisant juridiquement pour les employeurs. Dix ans plus tard, la rupture conventionnelle séduit toujours : 3 millions d’entre elles ont été homologuées depuis 2008 dont près de 437 000 pour la seule année 2018 selon les chiffres de la Dares de février 2019. Le dispositif s’est d’ailleurs vu décliner en 2017 sous forme collective et devrait s’appliquer à la fonction publique dès 2020.

Une réussite ? Pas forcément sur le long terme, juge Christian Pellet, directeur du cabinet RH Sextant Expertise : « Durant la séquence de crise 2008-2010, les Français ont fait des PSE et utilisé la rupture conventionnelle pour faire partir davantage de salariés. Les Allemands, eux, ont signé des accords de compétitivité qui réduisaient temporairement les salaires tout en augmentant le temps de travail. Mais une fois la situation rétablie, eux avaient conservé leurs compétences. Pas nous », regrette-t-il.

Tops et flops

N’empêche. Une fois cette première brèche ouverte, les négociations interprofessionnelles et les textes législatifs portant sur la révision du droit du travail se sont multipliés pendant le quinquennat de François Hollande. Loi sur la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 instaurant les accords de maintien dans l’emploi (AME). Loi « Macron » du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques instaurant, notamment, des dérogations aux règles relatives au travail le dimanche. Loi « Rebsamen » du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi offrant la possibilité aux entreprises de fusionner leurs IRP au sein d’une délégation unique du personnel (DUP) et assouplissant les règles des négociations annuelles obligatoires (NAO). Loi « El Khomri » du 8 août 2016 sur la modernisation du dialogue social et la sécurisation des parcours professionnels ouvrant la voie à de nouveaux types de licenciements économiques en fonction de la situation financière de l’entreprise et instaurant de nouvelles règles de négociations permettant aux employeurs de déroger, notamment, aux règles sur le temps de travail et à la rémunération des heures supplémentaires.

« Toutes ces réformes inspirées par les modèles flexisécuritaires nordiques se sont traduites par une plus grande flexibilité pour les travailleurs… mais une plus grande sécurisation pour les employeurs », grince Christian Pellet. Pour autant, ce grand bond en avant vers la flexibilisation a connu quelques ratés. Parmi les couacs notables : les DUP, dans lesquelles peu d’entreprises se sont engagées, et les AME qui n’ont jamais vraiment pris. De leur mise en place en 2013 à leur suppression graduelle et leur remplacement par les accords de performance collective (APC) en 2016, le nombre d’accords effectivement signés se compte à peine sur les doigts des deux mains (lire p. 15). « A contrario, les accords de performance collective ont pris. Le taux de signatures syndicales est très élevé, même chez la CGT et Sud ! », se félicite Bertrand Martinot.

Les entreprises y gagnent… les salariés moins

S’il existe des perdants de ce processus de flexibilisation, ce sont en premier lieu les syndicats. « Aucune réforme substantielle du travail n’est née d’une négociation interprofessionnelle », rappelle l’ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy. Sauf celle de 2008 sur la rupture conventionnelle, mais encore avaient-ils négocié « avec un revolver sur la tempe », comme l’explique un cadre de la CFDT. Ce recul du poids des organisations syndicales et patronales dans la construction de la norme n’est d’ailleurs pas sans conséquences, explique Christian Pellet. « Le patronat a compris qu’il était plus payant de faire du lobbying auprès du gouvernement que de discuter avec les syndicats », soupire-t-il.

Et quid des salariés ? Dans l’histoire, ces derniers ont gagné quelques dispositifs à leur main pour faciliter leur progression ou reconversion professionnelle (CPF, CEP, entretiens professionnels obligatoires tous les six ans), mais cela suffit-il à constituer le volet « sécurité » indissociable de la flexibilité selon le modèle danois ? « La meilleure protection contre le chômage et la précarité reste la création d’emplois, or les mesures en faveur de la flexibilité vont dans ce sens ! Non seulement nous recréons de l’emploi malgré la faible croissance, mais en outre les enquêtes de conjoncture de l’Insee montrent que, désormais, le principal frein à l’embauche, c’est la question des compétences, la peur d’embaucher du fait du droit du licenciement vient très loin derrière. », observe Bertrand Martinot. Pour Christian Pellet, les gains concrets pour les salariés se font encore attendre : « L’impact de ces réformes fait partager aux salariés les risques de l’entreprise, mais à quel moment les associe-t-on à ses décisions ? La loi Pacte ne va pas assez loin sur la présence d’administrateurs salariés dans les instances de direction ». Peut-être pour une prochaine réforme ? Le directeur de Sextant Expertise n’est pas si optimiste. « Les débats en cours portent moins sur un renforcement de la sécurisation que sur la suppression du monopole syndical au premier tour des élections professionnelles. Ça pourrait être ça, la prochaine évolution attendue vers 2020… » A suivre.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre, Laetitia Latriche Muller