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Le grand entretien

« On constate un recul des sanctions sur les fautes mineures »

Le grand entretien | publié le : 26.08.2019 | Frédéric Brillet

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« On constate un recul des sanctions sur les fautes mineures »

Crédit photo Frédéric Brillet

L’exercice du pouvoir disciplinaire par l’employeur est complexe et souvent contesté, comme en attestent les quelque 175 000 affaires portées chaque année devant les Prud’hommes. Dans l’ouvrage Le Pouvoir disciplinaire de l’employeur, publié aux éditions Gereso, Henri Grego donne à celui-ci les clés pour sécuriser les procédures en rappelant les dispositions légales et réglementaires qui y sont liées.

Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire ce livre ?

En qualité d’ancien conseiller prud’homal, j’ai souvent constaté des procédures disciplinaires mal faites qui engendraient de la confusion sur le fond de la procédure. Ainsi, l’absence de gradation ou une proportionnalité excessive dans l’application des sanctions profitent bien souvent au salarié. En rédigeant cet ouvrage, j’ai souhaité rappeler les règles relatives à la procédure disciplinaire, en y apportant un peu de mon expérience.

Comment a évolué le pouvoir de sanction de l’employeur ces dernières décennies ?

Je n’ai pas de chiffres sérieux en ce qui concerne la volumétrie ou la typologie des faits fautifs constatés. Mais les lois Auroux de 1982 marquent un tournant important dans l’exercice du pouvoir disciplinaire. Ainsi, avec le contrôle du règlement intérieur par les services de l’inspection du travail, la loi a permis l’encadrement du pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, en introduisant l’interdiction de toute discrimination en matière d’opinions politiques, d’activités syndicales ou de convictions religieuses. Un sujet qui demeure d’actualité, en particulier en ce qui concerne l’expression des convictions religieuses.

Je note aussi que le développement de certaines pratiques organisationnelles, comme le forfait-jours ou très récemment le télétravail, ont modifié l’approche disciplinaire par l’employeur. Impossible par exemple de sanctionner un salarié au forfait-jours pour des retards. L’application d’une telle sanction serait d’ailleurs contre-productive, voire dangereuse, puisque le salarié pourrait remettre en cause sa convention et réclamer le paiement de ses heures supplémentaires. Aujourd’hui, ce système concerne plus 1,5 million de salariés. On assiste aussi ces dernières années à un recul en matière d’application de sanctions disciplinaires, étroitement lié à la difficulté croissante pour les entreprises à recruter. Cela concerne des fautes mineures commises par des salariés performants ou très qualifiés difficiles à remplacer. S’agissant de ces profils, certains employeurs préfèrent fermer les yeux mais cette option peut se révéler dangereuse à moyen terme. Imaginez en effet qu’au sein d’une équipe commerciale, un employeur se montre indulgent pour les retards répétés d’un vendeur hors pair mais sanctionne sur le même motif ceux qui obtiennent des résultats médiocres. Ces derniers pourront alors contester la sanction devant les prud’hommes qui exigent de l’employeur qu’il fasse preuve d’équité dans l’exercice du pouvoir disciplinaire.

Pourquoi les employeurs tendent-ils selon vous à « complexifier » et à « intellectualiser » inutilement ce pouvoir disciplinaire ?

La peur du conseil de prud’hommes dans son interprétation du dossier disciplinaire en est souvent la cause et a pour conséquence d’entraîner une intellectualisation de la procédure en oubliant les principes fondamentaux qui régissent celle-ci. Le meilleur exemple reste pour moi la notion de la gradation des sanctions. J’entends encore trop souvent : « Trois avertissements avant de licencier ». Et pourquoi donc ? Où cette règle est-elle écrite ? Cela peut-il garantir d’obtenir une décision favorable devant le juge ? La vérité est qu’il n’y a pas de règles magiques, mais des principes souvent simples à respecter. Une faute suffisamment grave, comme la tentative d’escroquerie dans une compagnie d’assurances, entraînera à coup sûr le licenciement pour faute grave et cela sans avoir l’obligation d’avoir un dossier disciplinaire. Par contre, un salarié ayant plusieurs retards doit se faire sanctionner de façon graduelle, pour finalement être lui aussi licencié pour une faute grave.

Comment la notion de faute, sur laquelle repose le pouvoir disciplinaire, a-t-elle évolué ?

Certaines fautes sont apparues avec le progrès technologique, comme l’utilisation inappropriée des réseaux sociaux et du téléphone. Beaucoup de salariés pensent que l’on peut tout dire, tout écrire, tout montrer sur internet. Le non-respect de la confidentialité ou le dénigrement de l’entreprise constituent des faits fautifs pouvant entraîner des sanctions importantes. Dans le registre des relations humaines, je note aussi un regard plus attentif des employeurs en ce qui concerne les comportements inadaptés à caractère sexuel. Ce qui pouvait souvent être qualifié comme étant de l’humour n’est aujourd’hui plus admissible et est d’ailleurs sanctionné dans le cadre de la loi Rebsamen de 2015 qui réprime les propos sexistes.

La faute est-elle aujourd’hui plus facile à prouver qu’hier ?

Le développement des nouvelles technologies comme la géolocalisation, ou l’utilisation massive des outils informatiques, permet à l’employeur d’avoir une meilleure traçabilité des salariés. Bien entendu, ces preuves ne pourront être utilisées que si ces moyens de preuve ont fait l’objet d’une stricte procédure d’enregistrement. À cette exception, il est rappelé que la preuve du fait fautif n’a pas changé et demeure celle fixée par le code de procédure civile.

Comment évolue l’utilisation du règlement intérieur comme outil de sanction ?

Obligatoire dans les entreprises de plus de 20 salariés, le règlement intérieur peut aussi être institué dans les TPE. La vraie question est de savoir si cette mise en place est perçue comme une contrainte, ou si l’employeur a pris conscience de l’intérêt de cet outil. En entreprise, je vois encore des règlements intérieurs élaborés sur la base de modèle pris sur internet et inadaptés au secteur d’activité ou aux spécificités de l’entreprise. Je ne compte plus les règlements intérieurs qui comportent comme seule disposition « Le salarié veillera à avoir une tenue correcte ». Autant dire que cet article est inapplicable, car subjectif et ne permettant pas à l’employeur de déterminer précisément le contour du fait qu’il estimerait être fautif. Mieux vaut que l’employeur s’adresse à son conseil pour établir un outil juridiquement performant.

Le pouvoir de sanction en France est-il plus encadré que chez nos voisins ?

Il ne fait aucun doute que le droit français est globalement un droit protecteur du salarié. En Europe, la Charte sociale européenne fixe en son article 24 « le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; », mais nombreux sont les pays qui ont une procédure allégée, au contraire de ce que peut pratiquer la France. C’est pour cette raison que les ordonnances dites « Macron » allègent quelque peu les obligations en matière de motivation, désormais l’insuffisance de motivation ouvre droit à une indemnité qui ne peut excéder un mois de salaire. Pour ma part, je crois que la procédure disciplinaire telle qu’elle est aujourd’hui fixée par le Code du travail demeure équitable.

Que disent les employeurs et les syndicats à propos de ce pouvoir de sanction ?

Les employeurs aimeraient plus de souplesse et les syndicats de salariés plus de contrôle. L’ancien président du Medef Pierre Gattaz avait écrit avec d’autres organisations patronales – Afep, Croissance Plus, EDC et Ethic – au Président de la République pour demander de « clarifier les causes réelles et sérieuses de licenciement » en les intégrant dans le contrat de travail. Il a été entendu partiellement et les ordonnances « Macron » apportent pour l’employeur des éléments permettant de mieux sécuriser la rupture du contrat. Du côté salarié, les organisations syndicales parlent d’une même voix. La loi doit effectivement pouvoir protéger le salarié contre d’éventuels excès de la part de l’employeur. Même si beaucoup d’entreprises n’intègrent pas forcément le pouvoir disciplinaire dans leur code génétique, d’autres n’hésitent pas à en user, voire à en abuser.

Parcours

Dirigeant et fondateur du cabinet Sinca, spécialisé dans le conseil en relations sociales, et ancien président d’audience au conseil des prud’hommes de Paris, Henri Grego enseigne le droit social au Cnam de Paris. Il intervient aussi auprès de nombreuses entreprises et de groupes internationaux sur les thématiques applicables en droit social. Justifiant d’un parcours syndical de 2001 à 2012, il a occupé entre autres les fonctions de vice-président du syndicat national de la presse CFTC, puis de délégué syndical et de secrétaire du CHSCT au sein d’une filiale du groupe Vivendi Universal Publishing.

Auteur

  • Frédéric Brillet