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Le grand entretien

« Il y a un prix à payer lorsqu’un dépendant affectif se surinvestit »

Le grand entretien | publié le : 15.07.2019 | Frédéric Brillet

Dans ses ouvrages Dépendance affective : six étapes pour se prendre en main et agir et La dépendance affective au travail, publiés chez Eyrolles, Geneviève Krebs analyse ce phénomène qui touche nombre de salariés et livre les clés pour en sortir.

Pourquoi avoir choisi ce thème de la dépendance affective ?

En tant que consultante en management, j’ai audité de nombreuses organisations et j’ai réalisé combien le besoin d’être reconnu, considéré et apprécié pouvait peser sur les décisions et les comportements de nombre de salariés. Nous sommes tous plus ou moins dépendants des autres mais à des degrés différents. Là où cela commence à poser problème, c’est lorsque le comportement dans la relation à l’autre devient pesant ou suscite une pression psychologique tant sur l’entourage que sur le dépendant affectif lui-même.

Comment se manifestent concrètement les symptômes de la dépendance affective ?

Certains salariés se montrent incapables d’évaluer par eux-mêmes la qualité de leur travail ou de s’autogérer. D’autres restent bloqués dans l’ambivalence, tétanisés à l’idée de devoir faire un choix ou de poser une décision sans laisser place au doute. Il y a ceux qui demeurent accros aux autres dans la gestion des émotions et dans le besoin d’être rassuré pour se dire qu’ils sont sur le bon chemin. Tout cela contribue à faire du dépendant affectif un obsédé du travail. Il a tendance à s’en mettre beaucoup sur le dos, à se surmener et se sentir submergé par le quotidien, débordé par les responsabilités. Mais pour rien au monde il ne confierait l’once d’une miette d’un dossier à traiter, pour garder l’avantage de la reconnaissance, de l’admiration et des louanges venant des clients et des équipes.

A-t-on chiffré le nombre ou le pourcentage de salariés atteints ?

À ma connaissance, il n’existe pas d’études à ce niveau. Je peux simplement préciser que 70 % des demandes qui me parviennent dans le monde de l’entreprise, comme de démarches individuelles, ont un lien direct ou indirect avec la dépendance affective. Là où les dégâts sont les plus importants, c’est lorsque le dépendant affectif, avec sa fragilité et ses besoins jamais rassasiés, tombe dans les griffes d’un manipulateur dont on parle beaucoup sous l’appellation de « pervers narcissique ». Chacun des deux schémas répond à l’autre, et contribue à conforter et programmer la descente aux enfers par la pression émotionnelle, le chantage affectif, le harcèlement et la violence, tandis que la réponse à ces attaques se joue entre supplication, quémandage, culpabilité, honte et perte d’estime de soi. Il serait intéressant de croiser les données des études menées par rapport aux pervers narcissiques, pour mettre en lumière le nombre de harcèlements en entreprise, de situations de mal-être et de souffrance au travail. Les premières victimes des pervers narcissiques sont souvent des dépendants affectifs.

Y a-t-il des secteurs et/ou des métiers plus exposés que d’autres ?

Le phénomène est présent dans tous les secteurs d’activité et à tous les niveaux de l’entreprise. Depuis l’opérateur qui ne sait pas dire non et donne de son temps au-delà de la norme jusqu’à mettre sa santé en danger, au manager qui compose tous les jours avec l’incapacité à prendre une décision, à dire les choses, par peur de se tromper, d’être jugé ou qu’un conflit n’éclate. On pourrait croire que les métiers de la relation d’aide (liés à la santé, au social, au conseil, à l’accompagnement, etc.) sont plus concernés puisque le dépendant affectif avance avec l’idée de sauver l’autre et de résoudre les problèmes afin d’être apprécié. Ce serait se priver de voir toutes les personnes présentes dans d’autres métiers ou espaces de vie et qui adoptent le même schéma. Le trouble de la dépendance affective se constate aussi à la maison, en famille et dans la vie sociale.

Quels sont les différents types de dépendants affectifs ?

En vingt ans d’expérience, j’en ai identifié trois. Le premier est celui qui fuit, peine à se positionner. L’affirmation lui fait peur car il craint de se tromper, de déplaire, d’être jugé, et donc de perdre l’approbation des autres. Choisir, décider, gérer, manager, oser, expérimenter, se positionner, affirmer, sont des verbes d’action pour lesquels il ne saura œuvrer. Le second est celui qui se surinvestit, a besoin de prouver et d’en faire largement plus que tout le monde pour dompter sa peur de ne pas être à la hauteur et répondre à son besoin d’être le préféré. Pourquoi ? Tout simplement pour exister et ainsi se sentir en sécurité affective. Tout ce qu’il fait est conditionné à une attente en retour. Rien n’est gratuit. Le troisième est celui qui contrôle et manipule, qui a peur de l’abandon. Son besoin d’être rassuré est si démesuré qu’il est convaincu que la meilleure façon d’échapper à tous les risques reste de contrôler et d’avoir le pouvoir sur les « choses ». Pour éviter certaines situations à risques, il va orchestrer pour empêcher. Pour obtenir et sécuriser, il va contrôler, mentir, omettre… Jusqu’à ressentir un mal-être puissant découlant de sa culpabilité. Cette manipulation ne vise pas à détruire les autres.

Quelles sont les causes de la dépendance affective au travail ?

Le dépendant affectif est une personne qui se sent en perpétuelle insécurité. Son parcours fait qu’il n’a pas confiance en lui. Il ne parvient pas à admettre qu’il puisse avoir l’once d’une compétence et encore moins de la valeur. La solution à ses besoins vient alors forcément des autres puisque lui s’est imaginé être définitivement incapable, pas à la hauteur, et comparaison faite, pas appréciable. Ses peurs sont immenses, jusqu’à le pousser vers l’angoisse et l’attaque de panique. Les causes ne sont pas du fait de l’entreprise mais de la personne elle-même prise dans ce trouble. C’est donc à elle de se reconnaître et de s’autoévaluer. Reste que l’entreprise en fait les frais au niveau de l’ambiance, de l’absentéisme, de la qualité des relations interpersonnelles, de la maîtrise des risques.

Quelles conséquences, la dépendance affective a-t-elle sur le travail des personnes concernées ?

Il serait aisé de croire que le surinvestissement soit un élément apprécié par l’entreprise. La présence, l’engagement, l’attention, l’implication, la motivation, la parole donnée, le dévouement et l’entraide sont des qualités attendues et recherchées. Mais il y a toujours un prix à payer lorsqu’un dépendant affectif se surinvestit ; celui de la reconnaissance à tout-va, de la considération, de la mise en lumière de ses actions, en comparaison d’avec le comportement des autres. Et quand bien même l’acte de remerciement et de félicitation se produit, il ne suffit jamais à combler le besoin de gratification, ni même à prouver sa valeur. Le dépendant affectif fonctionne comme un puits sans fond : rien ne suffit à le sécuriser. De ses qualités, il est vite retenu des défauts et une façon d’être pesante et agaçante, sans compter qu’en termes de performance, faire de la surqualité a un coût. Se figer dans l’ambivalence par peur de se tromper ralentit les projets. Bloquer la communication d’une donnée importante par peur du regard des autres peut mettre toute l’entreprise à l’arrêt. Heureusement, le trouble de la dépendance affective peut être géré.

À quelles conséquences s’exposent les employeurs qui comptent des dépendants affectifs dans leur effectif ? Et comment y remédier ?

Toutes les entreprises comptent des dépendants affectifs dans leur effectif, car toute personne l’est plus ou moins et à des degrés différents. Les risques et dangers viennent des peurs irraisonnées qui conditionnent notre façon de penser, de décider et d’agir. À partir de là, des déviances et des dysfonctionnements sont possibles. L’obligation pour l’entreprise de veiller au bien-être et à la santé des travailleurs lui donne l’avantage de pouvoir observer ce type de comportements et de proposer une aide qui peut se concrétiser par des sessions de coaching ou de formation.

L’auteur

Geneviève Krebs exerce depuis plus de vingt ans dans le domaine du coaching et de la thérapie brève. Elle accompagne aussi bien les individus que les entreprises dans la prise de conscience et le déverrouillage de leurs systèmes de blocage. Ses recherches et expériences ont fait l’objet d’une douzaine d’ouvrages. Elle a aussi fondé la Chaîne du bien-être qui diffuse sur YouTube et site, vidéos, podcasts et articles de sensibilisation dans le domaine du développement personnel, des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail.

Auteur

  • Frédéric Brillet