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Indemnisation : La justice embarrassée

Le point sur | publié le : 08.07.2019 | Judith Chétrit

La question du lien entre un acte suicidaire et les conditions de travail n’est pas chose simple à juger.

Pour les ayants droit, la première étape est d’abord de faire reconnaître le suicide par l’Assurance maladie en accident du travail. S’il s’est déroulé sur le lieu de travail et pendant les horaires de travail, la loi accorde une « présomption d’imputabilité » en vue d’une indemnisation forfaitaire et plafonnée sans avoir besoin de faire statuer sur la responsabilité de l’employeur. Pour l’entreprise ou la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui contesterait cette causalité, il lui faut prouver le contraire. Si le suicide n’a pas eu lieu au travail, c’est à la famille d’assumer la charge de la preuve, à savoir démontrer que le suicide a bien eu lieu du fait d’une conséquence directe de son activité professionnelle. « Il ne faut pas renoncer au premier refus de la CPAM », conseille l’avocate Françoise Maréchal-Thieullent. Ainsi, dans un arrêt du 18 janvier dernier, la cour d’appel de Paris a reconnu comme accident de travail le suicide d’une salariée sur un parking alors qu’elle avait été recrutée plusieurs mois auparavant par une société qui lui avait confié un travail important sans fiche de poste et sans formation préalable, tout en souffrant d’un manque de considération de son supérieur qui ne l’avait pas, par exemple, invitée à la fête de l’entreprise.

Faute inexcusable

Ensuite, les proches peuvent décider de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur qui ouvrira un droit à une majoration de la rente auprès du tribunal des affaires de Sécurité sociale dont les magistrats s’appuient en partie sur des rapports de l’Inspection du travail. Répondant à une obligation de sécurité de résultat qui lui incombe, deux conditions doivent être réunies pour obtenir une condamnation : la conscience d’un danger auquel le salarié était exposé et l’insuffisance de moyens mis en œuvre pour préserver la santé et la sécurité de ce dernier. « C’est souvent plus facile quand la victime avait déjà dénoncé une situation de danger qui s’est par la suite passée », estime l’avocat en droit du travail Christophe Noël. Ce qui a été le cas par exemple de l’entreprise Renault dans le suicide remontant à 2006 d’un ingénieur du site de Guyancourt au regard du « maintien sur une longue durée des contraintes de plus en plus importantes qu’il subissait pour parvenir à la réalisation des objectifs fixés » selon la décision de la cour d’appel de Versailles en mai 2011. « On ne répare le préjudice que s’il est établi, prouvé et quantifiable », précise Françoise Maréchal-Thieullent.

Action judiciaire

Pour ce qui est des juridictions civiles comme les Prud’hommes ou le pénal après une plainte en tant que partie civile, plus rares sont les familles à entamer une action judiciaire, du fait de l’émotion provoquée par un suicide ou encore la lenteur et la complexité d’une telle démarche. Christophe Noël y voit un parallèle avec les affaires de harcèlement, pouvant conduire à un suicide ou à une tentative de suicide. « Ce sont souvent des affaires classées sans suite car les parquetiers sont peu disposés à faire des enquêtes pénales sur les délits au travail. Je ne vais devant le tribunal correctionnel que si le procureur de la République a poursuivi.

Cela reste très compliqué pour les victimes de harcèlement moral qui doivent rapporter des éléments de preuve matériels et prouver une intention coupable », décrit l’avocat Christophe Noël.

Si la décision concernant France Télécom reste très attendue, une autre jurisprudence rendue quelques jours après le début du procès en mai est passée plus inaperçue. L’agence Groupama d’Oc a été reconnue coupable en tant que personne morale d’homicide involontaire par le tribunal de Mende en Lozère pour le suicide d’un employé en 2012. Ayant décidé de faire appel, la banque a été condamnée en première instance à une amende de 50 000 euros.

Auteur

  • Judith Chétrit