logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le point sur

« Il n’y a pas de formule unique ni de recettes simples »

Le point sur | publié le : 08.07.2019 | Nathalie Tran

Image

« Il n’y a pas de formule unique ni de recettes simples »

Crédit photo Nathalie Tran

François Cochet a témoigné récemment à la barre dans le cadre du procès France Télécom. À la demande d’un CHSCT, il avait conduit en 2007 une mission d’expertise au sein de l’entreprise et avait spécifiquement alerté la direction sur le risque de suicides. Sa mise en garde n’avait pas été entendue à l’époque par Olivier Barberot, directeur exécutif chargé des ressources humaines, jugé aujourd’hui par le tribunal correctionnel de Paris pour harcèlement moral, aux côtés de six autres dirigeants du groupe, dont l’ex-PDG, Didier Lombard.

Comment savoir si un suicide est d’origine professionnelle ou non ?

Il y a toujours plusieurs facteurs qui peuvent amener à se suicider. Certains peuvent être liés au travail, d’autres à la vie personnelle mais la distinction entre les deux est toujours complexe. Prenons l’exemple d’une personne qui a été mutée à 200 kilomètres de chez elle et qui ne voit plus sa famille que les week-ends. On pourra faire valoir que des problèmes familiaux l’ont amenée au suicide. Mais qui peut mesurer la part de l’éloignement dans la dégradation de ses relations avec son conjoint et ses enfants ? La vie professionnelle et la vie personnelle sont interdépendantes.

Quelle est l’attitude des entreprises quand un salarié se suicide ?

Il existe encore des entreprises qui mettent la tête dans le sable et ne veulent pas admettre qu’un éventuel facteur professionnel aurait pu contribuer au suicide d’un de leurs collaborateurs. Mais je suis aussi parfois étonné de la maturité de la réaction de certaines d’entre elles qui considèrent, au contraire, indispensable de rechercher d’éventuels facteurs professionnels susceptibles d’avoir mis la personne en difficulté. En outre, l’accompagnement des équipes affectées par un tel drame est souvent mieux pris en compte. Même s’il n’y a qu’un seul facteur qui ramène à l’entreprise, elles estiment déterminant de l’identifier pour faire en sorte que cela ne se reproduise pas. La demande d’expertise des représentants du personnel est alors acceptée et la direction favorise sa réalisation. Il faut noter que les préconisations utiles pour prévenir les actes suicidaires participent de la prévention générale des risques psychosociaux.

Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Je pense au cas d’un pompier professionnel qui, à deux mois de la retraite, s’était pendu en ayant revêtu sa tenue de travail. Dans ce cas précis, ce qui avait conduit la personne à son geste était la perspective, très difficile pour elle, de ne plus exercer son métier. Un métier à l’identité professionnelle particulièrement forte. Nous avons proposé de mieux accompagner la fin de carrière des agents et de favoriser tout ce qui pouvait maintenir le lien avec le travail et les anciens collègues, à l’instar des associations d’anciens pompiers. Dans d’autres cas, les difficultés du travail sont en cause dans le processus suicidaire. Ce n’est pas la même chose de dire que le travail est la cause du suicide.

Que préconisez-vous généralement après un suicide ?

J’ai analysé des dizaines de cas de suicides en entreprise, mais je n’en ai jamais rencontré deux similaires même s’il y a des thématiques que l’on retrouve régulièrement. Il n’y a pas de formule unique, ni de recettes simples. Ce sont plutôt des mesures de long terme qui demandent de la patience, et malheureusement sans garantie absolue d’éviter un autre suicide. Une expertise nécessite toujours de passer du temps avec toutes les parties, de clarifier les enjeux, non en recherche de responsabilité, mais pour comprendre ce qui est en jeu pour améliorer la prévention. Le suicide d’un salarié, a fortiori s’il se produit sur le lieu de travail, génère une onde de choc qui affecte l’ensemble des collaborateurs, et tout particulièrement les représentants du personnel et l’équipe dirigeante. C’est aussi pour cela que l’aide d’un tiers spécialisé est indispensable. Nous proposons un séminaire de formation réunissant les représentants du personnel, la DRH ainsi que les acteurs de la prévention, pour parler du suicide en général, sortir du tabou et des idées reçues, avant d’évoquer la situation précise du salarié. Un suicide a des répercussions sur chacun et ce n’est que lorsque l’on a compris et analysé ce qui s’était passé que l’on peut en tirer des enseignements et créer les conditions d’une meilleure prévention.

Auteur

  • Nathalie Tran