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Professeur de gestion des ressources humaines

Chroniques | publié le : 08.07.2019 |

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Professeur de gestion des ressources humaines

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Employabilité partout, emploi nulle part

L’idée d’employabilité a progressivement remplacé les pratiques de mobilité interne des entreprises. À un engagement d’emploi et de développement des compétences liés aux besoins internes s’est substituée une nouvelle règle : permettre aux individus de faire face aux insécurités du marché externe. Et cette nouvelle donne a fourni le cadre général à toutes les politiques publiques en faveur de l’emploi déployées depuis la seconde moitié des années 1990.

« Mobilis in Mobili », le livre blanc de la mobilité professionnelle rendu public par le Lab RH en mai 2019, montre qu’une nouvelle règle du jeu émerge depuis 2015. La menace n’est plus incarnée par les restructurations et le chômage de masse, mais par les transformations des besoins en compétences induits par la digitalisation ou l’intelligence artificielle. L’employabilité n’est plus seulement le moyen pour adapter les actifs aux mutations quantitatives de l’emploi, mais aussi le levier pour les adapter à des évolutions qualitatives. Les soft skills sont présentées comme le moyen de développer cette adaptabilité. En conséquence, les efforts d’innovation des startups RH se concentrent sur trois piliers : le développement des soft skills, la dynamisation des marchés internes et la fidélisation.

Or l’idée d’employabilité fait partie des concepts d’autant plus banals qu’ils sont ambigus. Elle navigue entre sens commun, débat public, pratiques RH et démarche scientifique. Que sait-on réellement, de la nature et des processus de l’employabilité ?

L’employabilité est d’abord la capacité à retrouver rapidement un emploi satisfaisant. C’est donc la possession d’un stock de compétences adaptées aux besoins des marchés dans le bassin d’emploi qui convient à l’individu. Cette métaphore du stock n’est pas suffisante. L’employabilité n’est pas seulement la possession des compétences requises par les marchés externes actuels. C’est aussi la capacité à acquérir des compétences nouvelles liées aux évolutions des organisations. En conséquence, l’idée d’employabilité devrait d’abord inciter à explorer les besoins en compétences des entreprises et à formuler des scénarios prospectifs. Pourtant, c’est plutôt aux individus qu’il est demandé de porter le poids de l’adaptation. L’employabilité est régulièrement présentée comme une caractéristique individuelle et comme la capacité à s’adapter en continu, dans le présent et le futur, aux évolutions des besoins.

Ces deux propositions (employabilité-stock ou employabilité-flux) partagent une même erreur fondamentale : elles laissent dans l’ombre les pratiques effectives de recrutement des entreprises. L’évaluation de recrutement se joue dans une grande ambiguïté. C’est pourquoi elle tend vers l’estimation et le jugement plutôt que vers l’évaluation objective.

L’existence de biais dans le recrutement n’est guère une nouveauté. Mais il n’est pas inutile de rappeler que l’employabilité est, aussi, une pratique sociale. Elle est donc triple : un stock de compétences, un flux et, aussi, une perception : le jugement que porte un recruteur sur les compétences d’un candidat.

Il n’est donc pas inutile de rappeler la nécessité de munir les équipes de recrutement d’outils d’évaluation fiables, bien au-delà des tests de personnalité dont on connaît les limites à la fois scientifiques et déontologiques.