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Sur le terrain

« Avec l’intelligence artificielle, les RH vont devoir intégrer de nouveaux profils »

Sur le terrain | publié le : 24.06.2019 | Frédéric Brillet

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« Avec l’intelligence artificielle, les RH vont devoir intégrer de nouveaux profils »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans L’Intelligence artificielle et le management, publié aux éditions Fabert, Dominique Monera constate que les dirigeants d’entreprise ne disposent pas forcément du savoir permettant d’affronter le tsunami technologique qu’est l’intelligence artificielle (IA). Cet ouvrage entend justement y remédier en expliquant aux managers les enjeux de l’IA en entreprise pour leur permettre de s’impliquer dans les projets qui en découlent.

En quoi consistent le machine et le deep learning évoqués dans votre livre, qui révolutionnent l’IA et lui ouvrent de nouvelles perspectives en entreprise ?

À la base se trouvent les algorithmes qui peuvent prédire soit une quantité, comme un niveau de revenu ou un montant de perte, soit la probabilité d’appartenance à un groupe comme celui des crédits défaillants ou celui des personnes touchées par une maladie. Ces algorithmes existent pour la plupart depuis une trentaine d’années mais n’évoluaient pas tout seuls. Le « machine learning », mot à mot machine apprenante, leur permet aujourd’hui de s’améliorer en apprenant de leurs erreurs. Cet apprentissage automatique nécessite l’approvisionnement régulier d’un grand nombre de données, rendu possible aujourd’hui grâce à la vitesse de calcul des ordinateurs qui traitent plus de 120 millions de milliards d’opérations par seconde contre 1 000 milliards il y a vingt ans. Le machine learning rend ainsi les algorithmes autonomes face à un changement dans leur environnement. DeepMind a battu le champion du jeu de go en suivant automatiquement le jeu de son adversaire « humain », sans aide extérieure. Les banques utilisent le machine learning pour la gestion des risques, les assurances pour accélérer les souscriptions et simplifier l’indemnisation, la grande distribution pour fluidifier les achats. Le machine learning améliore aussi les performances des chatbots (robots virtuels qui répondent aux questions de la clientèle) et donc la relation client, tout en allégeant le travail des conseillers.

Et le deep learning ?

Le deep learning est un cas particulier du machine learning qui s’inspire du fonctionnement de nos neurones biologiques. Il s’organise en grands réseaux composés de nombreuses couches de neurones artificiels. Il comprend une couche d’entrée regroupant des données connues et une couche de sortie qui fournit des prévisions. Entre ces deux couches, des couches cachées sont optimisées afin d’obtenir les meilleures prévisions en traitant régulièrement de nouveaux jeux de données. Le deep learning a permis de faire des progrès fulgurants en traitant des données non structurées comme des textes, sons ou images dans des délais extrêmement réduits. La voiture autonome, par exemple, ne pourrait pas fonctionner sans ce type de réseaux.

Dans quel ordre l’IA pénètre-t-elle les différents métiers de l’entreprise ?

Il n’y a pas d’ordre prédéfini ni de barrière technologique. Cela dépend de la stratégie des organisations. Deux entreprises d’un même secteur d’activité peuvent présenter aujourd’hui de grandes différences dans leur maturité en IA. En B to C, par exemple, l’une peut avoir développé des chatbots afin d’améliorer l’expérience client et l’autre pas. L’IA peut pénétrer tous les métiers mais uniquement sur les tâches qui peuvent être décrites sous la forme d’un process. Par exemple, la gestion des stocks, la maintenance industrielle, le marketing opérationnel, la comptabilité…

Qu’en est-il de la fonction RH ? Que recèle l’IA pour cette fonction ?

Les écoles d’ingénieurs et les universités ont multiplié les options et les masters en IA. Les RH vont devoir intégrer et faire évoluer de nouveaux profils comme les data scientists, les data analysts ou les data engineer. Des algorithmes peuvent détecter dans un CV des « soft skills » permettant d’identifier des cadres à fort potentiel. Des algorithmes de machine learning peuvent également anticiper l’attrition, c’est-à-dire le départ de cadres performants à partir de leur profil et de données comportementales, ce qui permet à l’entreprise d’intervenir à temps pour les retenir. Enfin, les RH peuvent utiliser des outils génériques de l’IA qui ne sont pas spécifiques à leur activité. C’est le cas des chatbots dans leur gestion des candidats ou des employés pour soulager les collaborateurs de tâches sans valeur ajoutée. Cela concerne les demandes de pièces justificatives pour les nouveaux embauchés ou les demandes des salariés relatives aux congés et aux assurances. Pour la prospective, notons que l’IA permet déjà la reconnaissance faciale, l’étude des gestes, des mimiques, etc. Des logiciels bâtis sur des critères visuels existent déjà et fournissent des prédictions sur les risques de démissions, les potentiels d’évolution, les niveaux de satisfaction. Ils peuvent même intervenir en support d’entretiens d’embauche.

Qu’est-ce qui freine le plus l’essor de l’IA en entreprise ? Et à quoi s’exposent les entreprises qui ignorent l’apport de l’IA ?

L’essor de l’IA en entreprise passe par son insertion au sein de processus existants, souvent très complexes, ce qui peut effrayer des équipes d’intégration. Le coût élevé des technologies et de l’expertise peut également constituer un frein important. Enfin, l’incompréhension par les décideurs des technologies cognitives et de leur fonctionnement débouche souvent sur un refus d’intégrer l’IA dans les projets. Ce dernier point n’est pas indépendant des deux premiers. Sans une connaissance suffisante de l’IA, il est impossible d’intégrer facilement ses composantes dans les process existants et d’acheter à moindre coût la technologie et l’expertise nécessaires. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’IA Académie a pour objectif de former ces managers et décideurs non spécialistes afin de les faire monter en compétence.

Quel est, selon vous, l’impact de l’IA sur l’emploi ?

On peut s’accorder sur le fait que l’emploi va probablement évoluer dans des proportions significatives. Le développement des chatbots, des conseillers virtuels et dans un proche avenir de la voiture autonome peut bouleverser de nombreux secteurs d’activité, soit directement comme les transports, soit par ricochet comme les assurances. Il est donc urgent de travailler sur le repositionnement des personnes dont la fonction serait reprise par l’IA. Plus les employeurs s’occuperont rapidement de définir ces nouveaux métiers et d’assurer la transition, mieux cela vaudra. Il ne s’agit pas seulement de postes techniques mais d’un autre type d’emplois construits autour de l’affect, l’empathie, la créativité, qui sont la source d’activités professionnelles comme la coordination entre équipes, la vente de produits et de services, l’enseignement, le conseil, le coaching, la communication, la publicité, le design, l’architecture, la mode, le sport, l’art… La liste est longue.

Vous évoquez les lois de la robotique inventées par le romancier Asimov pour protéger les humains des dangers de l’IA. Quelles pourraient être les nouvelles lois d’Asimov pour protéger les salariés des dérives de l’IA ?

Les lois d’Asimov appartiennent à la science-fiction. Elles supposent que le robot peut être conscient de ce qu’il fait (ce que l’on appelle l’IA forte) et les lois de la robotique servent à le brider afin de protéger l’être humain. Nous n’en sommes pas là. Notre IA actuelle est très performante mais faible car incapable d’avoir conscience de ce qu’elle fait et encore moins capable de généraliser ses prouesses d’un projet à un autre de manière flexible. La source de danger n’est pas l’IA mais l’être humain qui la programme. Les lois doivent donc s’appliquer aux organisations qui utilisent l’IA. Or la réglementation de l’IA est seulement à l’étude. Il faudra donc du temps pour mettre en place des règles génériques communes à toutes les entreprises et des règles spécifiques propres à chaque secteur d’activité et à chaque métier. En attendant, les RH seront très utiles pour évaluer les mouvements probables sur les structures d’emplois et nous alerter sur d’éventuelles dérives.

Parcours

Docteur en finance et titulaire d’un master II de mathématiques appliquées, Dominique Monera a effectué une carrière de cadre dirigeant dans le secteur financier (établissement de crédit, banque et assurance). À ce titre, il a créé et dirigé plusieurs équipes d’ingénieurs et mis en place un grand nombre d’algorithmes dans les domaines du risque, du marketing et de la relation clients. Dominique Monera vient également de fonder l’IA Académie, organisme de conseil et de formation à destination des managers, sur les sujets relevant de l’intelligence artificielle.

Auteur

  • Frédéric Brillet