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Handicap : Les nouvelles obligations inquiètent les entreprises

Le point sur | publié le : 24.06.2019 | Sophie Massieu

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Handicap : Les nouvelles obligations inquiètent les entreprises

Crédit photo Sophie Massieu

Attendus mi-mars, les décrets d’application de l’article 67 de la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel qui renforcent les obligations pour les employeurs en matière d’emploi des personnes en situation de handicap, ont finalement été publiés le 27 mai. L’enjeu est de réduire le taux de chômage de cette population, qui culmine à 19 %. Un pari ambitieux.

« Cette loi est plus une punition qu’un encouragement pour les entreprises, alors qu’elles ont besoin d’être motivées ». Dominique Du Paty, présidente de la commission handicap de la CPME, n’y va pas par quatre chemins. « Les décrets nous montrent que nous avions raison d’avoir des craintes », affirme, de son côté, Laurence Breton-Kueny, vice-présidente de l’ANDRH. Au premier rang de leurs inquiétudes : le fait que, à compter du 1er janvier 2020, seuls les emplois directs seront comptabilisés dans le quota de 6 % d’emploi de travailleurs handicapés, qui reste obligatoire pour les seules entreprises d’au moins 20 salariés. Dominique Du Paty regrette que cette mesure ne tienne pas compte des contraintes des sociétés et Laurence Breton-Kueny, qu’aucune étude d’impact n’ait été réalisée.

Confirmée par la parution, fin mai, des décrets d’application de la loi du 5 septembre 2018, cette mesure aura un double effet pour les entreprises. Une diminution mécanique, parfois drastique, du taux d’emploi qu’elles pourront afficher ; et, logiquement, une augmentation de leur contribution à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph), qui devrait ainsi récupérer 149 millions d’euros, selon plusieurs estimations. En outre, les calculs se feront désormais par entreprise, et non plus établissement par établissement. Ainsi, des entreprises qui possédaient de petites structures de moins de 20 salariés pourront se voir assujetties alors qu’elles ne l’étaient pas précédemment. Résultat ? Même si des ajustements sont prévus jusqu’en 2024 pour atténuer le choc, les employeurs ne décolèrent pas. Même lorsque, comme Dominique Du Paty, ils soutiennent l’idée qu’il convient de développer l’emploi direct. Directeur des actions associatives de Ladapt (l’association organisatrice de la semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées), Dominique Le Douce, lui, salue ce « message politique fort » et fait observer que désormais, le recours aux stagiaires et intérimaires sera comptabilisé, et qu’il n’y aura plus de durée minimale de contrat pour intégrer une personne à la déclaration obligatoire d’emploi des travailleurs handicapés (DOETH).

Point de crispation

Autre point de crispation : les accords agréés, triennaux, ne pourront être renouvelés qu’une fois. « Cela va nous priver de fonds qui étaient dédiés aux missions handicap, regrette Laurence Breton-Kueny. Dans les accords négociés avec les organisations syndicales, sept axes figuraient avec des objectifs et des indicateurs suivis, les fonds étaient bien utilisés qu’il s’agisse de la sensibilisation des collaborateurs, du maintien en emploi des “RQTH”, voire du financement de bilans de santé dans le cadre de la prévention primaire. » Les référents handicap, rendus obligatoires dans les entreprises à compter de 250 salariés, lui semblent aussi un moins-disant par rapport aux missions handicap, dont elle souligne le rôle en matière d’achats responsables au secteur protégé et adapté. La réduction à trois (contre treize auparavant) des dépenses déductibles de la contribution Agefiph satisfait certains acteurs.

À l’image de Christophe Roth, délégué confédéral CGC au handicap : « Nous devons franchir un nouveau cap. Il est bien que les sensibilisations ne soient plus déductibles. »

La réalisation de diagnostics et la mise en accessibilité des locaux, le maintien dans l’emploi et des prestations d’accompagnement sont les trois dépenses qui restent déductibles de cette contribution Agefiph.

Un bilan en demi-teinte

Certaines mesures sont mieux accueillies, à l’instar de l’intégration de la DOETH à la déclaration sociale nominative (DSN), devenue obligatoire pour tous, y compris pour les entreprises de moins de 20 salariés non assujetties à l’obligation d’emploi. « Même si elles ne recrutent pas, cela leur met la puce à l’oreille », se félicite Dominique Du Paty. Pour beaucoup, le bilan de la réforme reste néanmoins en demi-teinte. Pour la CFE-CGC, Christophe Roth y voit une « occasion manquée », regrettant notamment que rien de spécifique n’ait été pensé pour les cadres et pour le handicap psychique. Dominique Le Douce, lui, voit dans ce texte une réforme « qui va dans le bon sens » mais ajoute : « Je ne suis pas convaincu que ça résolve le problème de l’emploi ». Pour lui, la résorption du taux de chômage à 19 % et à plus de 500 000 demandeurs d’emploi passera par la formation. Il imaginerait volontiers un dispositif de formation accompagnée, à l’image de l’emploi accompagné, encore sous-dimensionné à ses yeux. Dominique Du Paty souligne, elle aussi, l’importance de la formation et se réjouit qu’elle soit davantage connectée aux besoins des entreprises. À noter que la réforme entend promouvoir l’apprentissage, rendant obligatoire la présence d’un référent handicap dans chaque centre de formation des apprentis. Une dernière réforme est annoncée pour l’automne, celle des Emplois nécessitant des aptitudes particulières (Ecap). Les discussions sont en cours et il est à prévoir que la liste sera largement réduite. Certaines branches, jusque-là plutôt exonérées de l’obligation d’emploi, pourront se voir davantage concernées… « Je sens la volonté de les voir tous disparaître, observe Dominique Du Paty. En remettre en question, comme les vendeurs polyvalents, pourquoi pas. Mais tous, non ! » Encore une mesure qui a peu de chances de rassembler les suffrages…

Sous-traitance : de nouvelles modalités de valorisation

Le recours aux établissements et services d’aide par le travail (Ésat, secteur protégé) et au secteur adapté (entreprises adaptées et travailleurs indépendants handicapés) demeure déductible de la contribution des entreprises à l’Agefiph. Mais les modes de calcul ont changé, et génèrent quelques inquiétudes de part et d’autre. Fini le temps où le recours aux 120 000 travailleurs en Ésat, 40 000 salariés d’entreprises adaptées ou 75 000 travailleurs indépendants pouvait être comptabilisé dans le quota d’embauche de 6 % de personnes handicapées dans les entreprises d’au moins 20 salariés. Jadis, ils pouvaient représenter jusqu’à 3 % des effectifs en situation de handicap déclarés. À compter du 1er janvier 2020, la sous-traitance sera uniquement déductible de la contribution Agefiph. Pour le calcul, seul le coût de la main-d’œuvre est pris en compte, soit le prix hors taxe moins le prix des matières premières notamment. 30 % du coût de cette main-d’œuvre peut être valorisé. Et les sommes déductibles de la contribution due à l’Agefiph sont soumises à des plafonds : 50 % pour les entreprises qui affichent un taux d’emploi direct de moins de 3 %, 75 % pour les autres. Mécaniquement, nombre d’entreprises devraient voir leur taux d’emploi affiché baisser et leur contribution augmenter. Mais de nouvelles modalités de coopération avec le secteur protégé et adapté se développent, comme la cotraitance (lire Entreprise &Carrières n° 1436, page 17) ou, bientôt, la possibilité de recruter des intérimaires auprès d’entreprises adaptées de travail temporaire (EATT). Malgré ces nouvelles pistes de coopération possible, des inquiétudes pointent. Puisque la sous-traitance ne sera plus intégrée au quota de 6 %, les entreprises pourraient y renoncer en partie, faute de pouvoir la valoriser dans leur communication… « Cette réforme nous fragilise », estimait ainsi Serge Widawski, directeur d’APF Entreprises, lors de la récente visite d’une entreprise adaptée organisée par l’Association des journalistes de l’information sociale. S. M.

Auteur

  • Sophie Massieu