Martin Richer Management &RSE
C’est en toute bienveillance que je me suis encore fait qualifier (traiter ?) de capital humain. Comme cela me met mal à l’aise, je plonge et vous entraîne dans une quête existentielle pour comprendre ce que nous sommes.
Nous disposons tous d’un « capital » de savoirs, de connaissances, d’aptitudes que nous avons accumulé lors de notre parcours et qui nous rend désirables vis-à-vis des employeurs. En première analyse, considérer ce bagage comme un actif est séduisant : pour une fois, le travail humain n’est pas regardé comme un coût (charge) mais comme une source de revenus futurs (définition comptable de l’actif). C’est aussi reconnaître que les actifs les plus critiques pour les entreprises sont désormais immatériels. Ils représentent 80 % de la valeur combinée des 500 plus grandes entreprises américaines cotées.
Un programme de recherche mené par les Nations unies nous donne les ordres de grandeur au plan mondial : 18 % pour le capital matériel, 28 % pour le capital naturel (terrains…) et surtout 54 % pour le capital humain. N’est-il pas étonnant que les entreprises soient encore bien souvent gérées dans l’objectif d’optimiser les actifs matériels alors que ceux-ci ne représentent même plus le cinquième de leur valeur en ignorant l’actif humain, qui en constitue l’essentiel ?
Mais nous reconnaître comme un actif serait accepter l’idée que la valeur de l’homme est déterminée par le marché, qui régule les transactions. Or l’homme n’est pas un patrimoine et n’est pas cessible ; c’est toute la différence avec l’esclave.
La notion de capital humain, théorisée par l’économiste Gary Becker, prix Nobel d’économie en 1992, est fortement imprégnée du paradigme de l’« homo economicus », individu parfaitement informé et rationnel, dirigé exclusivement par la maximisation de son utilité et la satisfaction de ses objectifs égoïstes. Selon cette théorie, chacun optimise son capital humain, arbitrant par exemple le coût de la formation avec le supplément de revenus futurs qu’elle procure. Comme dans l’Évangile (selon Matthieu), les talents, ainsi que le capital, fructifient. Outre la négation de l’irrationalité humaine et de sa possible abnégation, cette approche ignore la dimension collective de plus en plus importante (lorsque l’on travaille, on coopère), justifie les discriminations et aboutit à « réifier » (transformer en choses) les personnes.
Vaut-il mieux pour nous être considéré comme des « ressources », première lettre de l’acronyme RH ? Là encore, l’homme est asservi à une cause matérielle, réduit à l’état de stock exploitable et consommable : il est nié dans sa volonté d’émancipation. L’homme est une personne ; il ne peut donc être une simple ressource. Jean-Marie Peretti, président de l’Institut international de l’audit social, a raison d’affirmer que les gens ont des ressources mais ne sont pas des ressources.
Voilà pourquoi le terme que je privilégie est celui de « potentiel humain ». Le potentiel humain va beaucoup plus loin qu’une ressource ou un capital ; il incorpore les capacités, la réflexion, l’innovation, l’adaptabilité, le progrès. En grammaire, le potentiel désigne une forme verbale exprimant une action future, dépendant d’une condition. Cette condition, c’est la motivation : sans la motivation, le « capital humain » reste un actif inerte. La notion de potentiel exprime aussi l’évolution de la formation professionnelle, qui n’est plus seulement un transfert de compétences existantes mais aussi un mode de construction de compétences nouvelles.
L’entreprise, et c’est heureux, ne détient pas du capital humain. Elle emploie des personnes qui gouvernent leur potentiel humain. Il faut donc en finir avec le capital humain pour faire s’épanouir l’humain capital.
Pour aller plus loin : http://management-rse.com/2015/07/08/sommes-nous-tous-du-capital-humain/