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Conditions de travail : Le droit à la déconnexion reste en option

Le point sur | publié le : 03.06.2019 | Gilmar Sequeira Martins

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Conditions de travail : Le droit à la déconnexion reste en option

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Devenu depuis le 1er janvier 2017 un thème des négociations annuelles obligatoires menées par les entreprises, le droit à la déconnexion n’est cependant guère mis en œuvre alors même que près de la moitié des salariés continuent de travailler le soir et le week-end…

Des salariés trop connectés ? Après la diffusion massive de téléphones mobiles, à la fin des années 2000, la surconnexion n’a pas tardé à se manifester. Au point que le sujet a vite pris une place croissante dans les relations sociales. En 2015, le rapport « Mettling », du nom de son auteur, Bruno Mettling, à l’époque directeur des ressources humaines du groupe Orange, traçait des pistes pour tenter de juguler les débordements. Un an plus tard, la loi Travail du 8 août 2016 portée par Myriam El Khomri, faisait entrer le droit à la déconnexion dans le Code du travail (art. L. 2242-8). Depuis le 1er janvier 2017, il fait partie des « figures imposées » que doivent aborder les négociations annuelles obligatoires (NAO) dans les entreprises.

Plus de deux ans après l’institution de ce nouveau droit, force est de constater que les entreprises ne se sont guère emparées du sujet (lire encadré). Une situation que Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT, l’union générale des cadres et techniciens de la centrale de Montreuil, en pointe depuis des années sur la question du droit à la déconnexion, attribue en premier lieu à la formulation de la loi : « Les entreprises sont contraintes d’engager la négociation mais celles qui ne veulent pas conclure d’accord peuvent proposer une charte qui ne posera pas le même niveau d’obligations et elles auront rempli leurs obligations légales. L’insuffisance de la loi vient d’abord de là. » À ses yeux, cette logique favorise l’adoption de chartes, moins contraignantes, plutôt que d’accords, soupçonnés de grever la compétitivité des entreprises. L’Ugict-CGT souhaite donc « l’adoption d’accords de branches normatifs pour éviter le dumping entre entreprises, accords qui devraient stipuler que les salariés n’ont aucune obligation de répondre à un courrier électronique reçu hors des horaires de travail ». Quant aux accords déjà conclus, à de rares exceptions près, ils ont le tort de ne prendre en compte que le temps de travail : « Tant que les accords n’articuleront pas temps de travail et charge de travail, ils n’auront aucune portée réelle. »

Montée en pression

Une analyse que Benoît Serre, vice-président national délégué de l’ANDRH, ne partage pas. L’ancien DRH de la Macif ne croit pas que « les salariés soient friands de ce type d’accord qui limite leur droit de connexion », et estime qu’il s’agit d’abord d’un enjeu de management : « Le vrai sujet, ce sont les exigences de réponse hors des horaires habituels de travail. Aucun salarié ne doit être sanctionné s’il ne répond pas à un message hors de ses horaires de travail. » Le droit à la déconnexion permet, selon lui, de créer les conditions d’un rappel à l’ordre pour les managers qui n’ont pas le bon comportement : « Si un manager demande une réponse impérative durant le week-end, il se met en tort. Un salarié n’est pas professionnellement obligé de répondre et il ne peut être sanctionné sur cette seule base. » Pour autant, il reconnaît que « l’envoi d’e-mails hors des heures de travail habituelles est un des signaux d’une montée de la pression dans une entreprise ».

Selon une enquête divulguée fin 2018 par le cabinet Eleas, cette situation est encore très répandue puisque 47 % des salariés utilisent les outils numériques professionnels pour travailler le soir (68 % des managers et 66 % des 18-29 ans) mais aussi le week-end dans des proportions similaires. D’où l’intérêt d’adopter une réelle régulation dans l’entreprise, souligne Éric Goata, directeur général délégué du cabinet Eleas, spécialisé dans la qualité de vie au travail. Une telle démarche « démontre une aptitude à régler des problématiques de pics d’activité ou de charge de travail en élaborant des règles collectives de traitement de l’information en dehors du temps de travail, ou d’anticiper la continuité d’une activité et la gestion de l’urgence quand les salariés sont absents ». Sur sa lancée, il appelle à dépasser la stricte obligation légale, qu’elle prenne la forme d’un accord ou d’une charte, pour faire du droit à la déconnexion « un vecteur de prévention » : « Il existe aujourd’hui une palette de mesures possibles qui, structurées en plan d’actions, permettrait d’optimiser l’efficacité des organisations, favoriser une évolution positive des cultures managériales et induire l’acquisition de nouvelles compétences cognitives pour les salariés facilitant l’apprentissage des nouveaux usages numériques. » Jean-Luc Molins aimerait lui aussi obtenir plus de régulations mais pour une toute autre raison. Il estime en effet qu’un meilleur respect du droit à la déconnexion favorise l’égalité professionnelle femme/homme en réduisant « la discrimination fondée sur la disponibilité, habituellement plus forte chez les hommes du fait de la prise en charge plus fréquente des contraintes domestiques et familiales par les femmes ». Autant d’opportunités et d’arguments qui pourraient relancer à plus ou moins brève échéance le débat sur un droit encore bien peu effectif.

Une entreprise sur six a adopté des règles de déconnexion

Les outils numériques sont au cœur de l’activité des salariés. Selon une enquête publiée fin 2018 par le cabinet Eleas, 75 % d’entre eux les utilisent plus de trois heures par jour et 43 % plus de six heures par jour. La frontière entre la vie personnelle et la vie professionnelle s’en ressent puisque près de la moitié des salariés (47 %) déclarent les utiliser le soir après le travail, 45 % le week-end et 35 % pendant leurs congés. Un phénomène dont les entreprises ne semblent pas encore vraiment avoir pris la mesure : 16 % à peine ont élaboré des règles de déconnexion, une proportion qui monte, cependant, à 24 % dans les grandes entreprises, et un petit quart d’entre elles (23 %) ont diffusé des chartes de bonnes pratiques, tandis que 13 % se sont contentées d’instaurer des pauses dans la journée. À l’autre bout du spectre, 41 % n’ont mis en place aucune action spécifique pour réguler l’utilisation des outils numériques.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins