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« Ce droit concerne à titre principal les salariés au forfait jours »

Le point sur | publié le : 03.06.2019 | Gilmar Sequeira Martins

Les acteurs sociaux se sont-ils emparés du droit à la déconnexion ?

Un an et demi après l’entrée en vigueur de la loi, je constate que le droit à la déconnexion a finalement peu intéressé les employeurs. À ma connaissance, la grande majorité des entreprises n’ont conclu aucun accord ni édicté de charte. Selon moi, cela tient à ce que ce droit concerne à titre principal les salariés au forfait jours. Ceux qui sont aux 35 heures sont censés ne pas être concernés par une impossibilité de se déconnecter en dehors de leurs heures de travail, puisqu’ils ne sont pas censés travailler au-delà de 35 heures.

En tout état de cause, ils ne peuvent pas être sanctionnés s’ils ne répondent pas à une sollicitation hors des heures de travail.

Le droit à la déconnexion vise en réalité une catégorie particulière de collaborateurs, celle des cadres et des salariés itinérants principalement, qui ne sont pas soumis à des horaires, mais à un forfait en jours de travail et qui peuvent être corvéables à merci.

Depuis 2011, devant la recrudescence des cas de cadres amenés à travailler de façon excessive, la Cour de cassation a adopté une attitude plus dure sur les forfaits jours et les obligations en termes de contrôle et de vérification du temps de travail et de conciliation possible entre vies professionnelle et personnelle. Ce qui englobe, pour l’essentiel, les sujets liés au droit à la déconnexion. La Cour de cassation a en effet considéré qu’une convention de forfait jours n’est valable que si certaines garanties sont apportées aux salariés pour éviter de les soumettre à un travail abusif, et notamment l’existence d’un décompte des journées et demi-journées effectivement travaillées, qui ne doivent pas dépasser le nombre de jours de travail maximum sur l’année prévu par le forfait, une charge de travail compatible avec un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle et la tenue d’un ou plusieurs entretiens annuels pour discuter de la charge de travail.

À quelles conclusions est parvenue la Cour de cassation ?

Lorsque la Cour de cassation constate qu’il n’y a pas de garanties suffisantes pour encadrer le forfait jours, cette convention est nulle et le salarié est réputé relever de la durée légale de travail, soit 35 heures. La conséquence pour l’employeur est de s’exposer à devoir payer un rappel d’heures supplémentaires qui peut très vite atteindre des sommes importantes. En outre, il peut s’exposer à des condamnations supplémentaires sur le fondement du travail dissimulé (indemnité forfaitaire de six mois de salaire) et de la violation de l’obligation de sécurité, surtout si le salarié démontre que sa surcharge de travail est à l’origine d’un burn-out. Cette sanction est suffisamment dissuasive pour englober aussi les obligations des entreprises en matière de droit à la déconnexion.

La Cour de cassation a été particulièrement habile car, par plusieurs arrêts, elle a annulé non pas la convention de forfait jours du contrat de travail du salarié concerné, mais la convention de forfait jours négociée au niveau de la branche, comme ce fut le cas pour la convention collective Syntec par exemple. Cela a eu pour effet d’invalider toutes les conventions de forfait jours conclues dans les entreprises de la branche d’activité. Les acteurs sociaux ont aussitôt entamé des négociations pour renégocier les dispositions des conventions collectives relatives aux forfaits jours, qui prévoient désormais les garanties nécessaires, selon les règles fixées par la Cour de cassation.

Cette situation peut expliquer le peu d’intérêt des syndicats et des entreprises pour le droit à la déconnexion. Lors du vote de la loi, je pensais que ce serait un outil pédagogique qui permettrait, au sein des entreprises, de combattre le fléau du « présentéisme », la prolifération des mails résultant d’une réponse globale à tous les destinataires, qui génèrent beaucoup de situations de blocage, mais la position de la Cour de cassation sur les forfaits jours a fait de la loi sur le droit à la déconnexion un texte cosmétique.

Une charte est-elle moins contraignante qu’un accord ?

Pour une entreprise, publier une charte sur le droit de la déconnexion entre dans le périmètre du pouvoir de l’employeur d’organiser le travail. Ce sont donc des instructions que les salariés sont tenus de suivre. S’ils ne le font pas, ils seront en état d’insubordination.

Le droit de la déconnexion comporte aussi un devoir de déconnexion. Si un salarié continue à enfreindre ces directives en envoyant des mails à ses collègues, il s’expose à une sanction disciplinaire. Si ce comportement est sans impact, l’employeur peut se contenter d’émettre un avertissement mais si ce salarié crée une situation proche du harcèlement, l’employeur peut le sanctionner sévèrement car il porte atteinte à son obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés. Si l’employeur ne réagit pas, les salariés se trouvent en position de victimes et peuvent se retourner contre lui.

En général, dans une telle situation, les salariés ont tendance à se protéger en ne répondant pas à une sursollicitation. Ils peuvent alors être sanctionnés, voire licenciés, et c’est en contestant cette mesure disciplinaire qu’ils font état de la violation des directives prévues dans une charte portant sur le droit à la déconnexion.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins