Le sociologue Dominique Cardon nous propose de prendre de la hauteur avec son dernier ouvrage. Si nous fabriquons le numérique, il nous fabrique aussi. Il est alors indispensable que nous nous forgions une culture numérique.
L’entrée du numérique dans nos sociétés est souvent comparée aux grandes ruptures technologiques des révolutions industrielles. En réalité, c’est avec l’invention de l’imprimerie que la comparaison s’impose, car la révolution digitale est avant tout d’ordre cognitif. Elle est venue insérer des connaissances et des informations de nos vies. Jusqu’aux machines, qu’elle est en train de rendre intelligentes. Professeur de sociologie et directeur du Médialab de Sciences Po, Dominique Cardon s’intéresse passionnément à la culture numérique. Il en décortique les deux aspects dans cet ouvrage tiré de ses cours. Le premier a trait aux valeurs contenues dans le code informatique. L’algorithme est peut-être l’outil qui préfigure le futur, ses bases reposent sur l’ancien monde, le nôtre. La visibilité des sites web recensés sur le moteur de recherche Google est le reflet de ce que nous observons d’ores et déjà sans utiliser les nouveaux outils digitaux. « Puisque les algorithmes forment leurs modèles à partir des données fournies par nos sociétés, constate-t-il, leurs prédictions tendent à reconduire automatiquement les distributions, les inégalités et les discriminations du monde social. »
Le second aspect du livre, le plus intéressant, est de donner au lecteur les clés d’une culture nécessaire pour mieux comprendre le monde numérique. Les sujets comme l’histoire de l’informatique, les « infox » ou « fake news », le fonctionnement de l’intelligence artificielle sont alors nécessaires. Si l’auteur insiste sur les idées et les concepts philosophiques qui ont émergé lors de la conception du réseau, c’est parce que les enjeux sont importants. Pour lui, l’esprit dans lequel a été créé Internet doit être préservé. « Le web se ferme par le haut, mais toute son histoire montre qu’il s’imagine par le bas. » Dominique Cardon nous alerte sur les dérives d’un Internet possédé par le marché ou les États. Le texte est clair, les notions développées sont décryptées de manière très simple et limpide, avec des exemples et des schémas. À chaque fin de chapitre, l’auteur liste des références et des ouvrages pour ceux qui souhaitent « aller plus loin ».
« Cultures numériques » fait clairement partie des livres qui rendent intelligent. Il est rare de lire un livre qui mêle l’aspiration continue des individus à augmenter leur pouvoir d’agir, l’émergence de formes nouvelles d’organisation et de participation politique et, enfin, la captation par le marché des sources de données et des algorithmes qui permettent de faire du profit en monétisant les traces de nos activités en ligne. À l’heure où le numérique est partout, il devrait être obligatoire de prendre un peu de recul pour mieux comprendre les interactions à l’œuvre.