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Le grand entretien

« Il est demandé au manager plus que ce qu’il est possible de faire »

Le grand entretien | publié le : 27.05.2019 | Frédéric Brillet

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« Il est demandé au manager plus que ce qu’il est possible de faire »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans un contexte caractérisé par la complexité, l’incertitude et le changement en continu, le manager soumis à de multiples sollicitations doit repenser son rôle. Les principes récents de la psychologie positive et des neurosciences peuvent l’aider à bien aborder son rôle de psy.

Vingt ans plus tard, qu’est-ce qui vous a donné envie de publier une nouvelle version de votre ouvrage Le manager est un psy ?

E.A. et J.-L.E. : L’environnement des entreprises s’est radicalement transformé : environnement économique, technologique, sociétal, tout a été complètement bouleversé. En interne, tout ce qui concerne le management des collaborateurs est remis en cause : mode de travail, fonctionnement des organisations, évaluation de la performance, reconnaissance, travail d’équipe, modalités des promotions, intégration de la RSE. Dans cet environnement volatile, complexe et ambigu, le métier du manager est complètement différent mais le manager reste avant tout celui dont la matière de travail est l’humain. Parce que tout a changé, nous avons entièrement réécrit Le manager est un psy, pour contribuer à accompagner les managers dans cette nouvelle mutation économique et humaine.

Quels bouleversements affectant l’entreprise transforment le plus le métier du manager ?

L’essor des technologies en constante accélération remet en cause les principes d’efficacité des entreprises et entraîne la transformation de milliers de métiers. Le management devient stratégique chaque fois que, pour s’adapter, l’entreprise a besoin de s’appuyer sur l’interaction humaine et la créativité. Les nouvelles technologies démultiplient la concurrence. Des entreprises sortent de leur domaine spécifique d’activité pour s’attaquer à d’autres métiers, tandis que des sociétés nouvelles viennent s’insérer dans la chaîne de valeur des opérateurs historiques, captent leurs marges et accaparent leurs parts de marchés. Simultanément, les usages changent à toute vitesse et favorisent de nouvelles offres qui accroissent la concurrence. Enfin, jamais l’écart entre les aspirations des nouvelles générations et ce que proposent les entreprises n’a été aussi grand.

Dans quelles contradictions ces bouleversements plongent-ils le manager ?

Le manager doit décider et en même temps faire adhérer de manière participative, fixer le cap sans l’imposer, écouter et en même temps impulser, faire coopérer mais tout en faisant que chacun trouve son intérêt personnel. L’entreprise est devenue un lieu de tensions contradictoires, de contraintes opposées. La demande de transformation est pressante alors que l’exigence est d’obtenir des résultats à très court terme. Il faut développer l’innovation mais préserver la rente et limiter les coûts, développer la dynamique collective tout en valorisant la performance individuelle, donner envie et mettre la pression, favoriser l’initiative et tout contrôler, donner du sens et multiplier les changements de cap. Dans toutes les entreprises, il est demandé au manager plus que ce qu’il est possible de faire. C’est devenu une constante de l’environnement professionnel. Les sollicitations arrivent tous azimuts, elles viennent toujours d’en haut (sa hiérarchie) et d’en bas (ses collaborateurs) et surtout de tous les côtés, en interne comme en externe (clients, fournisseurs, autres départements, etc.). Le métier du manager est entièrement à repenser.

Comment peut-il jouer son rôle de psy dans ces conditions ?

Avant de s’occuper des autres, le manager doit s’occuper de lui-même pour être en capacité d’accompagner ses équipes dans un contexte caractérisé par la complexité, l’incertitude et le changement en continu. Face aux multiples sollicitations, il est urgent pour le manager de s’organiser pour penser son rôle. Cette organisation personnelle doit lui permettre d’analyser très régulièrement l’évolution des enjeux dans son environnement de travail et de clarifier ses priorités. Sans cette prise de recul indispensable, il est difficile pour le manager de préserver son espace psychique.

Comment ne pas se laisser submerger ?

Dans un environnement où tout pousse le manager à accélérer, la première habitude à développer est de ralentir pour préserver sa liberté psychique. Ralentir quelques minutes pour clarifier ce qu’il veut faire en priorité avant de passer à l’action. Ralentir pour prendre le temps de récupérer. Ralentir dans l’action quand son émotion monte, dès que des signes de dispersion de l’attention apparaissent ou que le trop-plein de sollicitations le met en débordement. Ralentir pour échanger avec des collègues de confiance et idéalement avec son responsable hiérarchique. Ralentir pour garder suffisamment d’énergie et de disponibilité mentale à consacrer à sa vie personnelle.

En quoi les changements organisationnels, technologiques, générationnels déjà évoqués rendent-ils plus indispensables que jamais que le manager joue son rôle de psy ?

Le manager est avant tout celui dont la matière de travail est l’humain. Et parce que cet humain est plus divers, moins constant, plus émotionnel, plus individualisé, le manager est plus que jamais un psy. Plus l’environnement externe est instable, plus le besoin de trouver du sens, de tenir un cap et de redéfinir des priorités s’accentue en interne. En somme, plus cela secoue à l’extérieur, plus il est nécessaire de stabiliser l’interne. Le manager, pour garder l’équilibre face à tous ces changements, comme le psy doit pouvoir faire face à toutes sortes de situations. Les surprises provoquées par l’infinité des réactions humaines l’obligent donc à maintenir une grande ouverture d’esprit et à trouver à chaque fois la bonne approche pour comprendre, puis aider, son interlocuteur.

En quoi les bouleversements dans l’entreprise affectent-ils la manière dont le manager fait le psy ? Quelles sont les nouvelles techniques et approches ?

Le manager psy ne peut pas se contenter d’être à l’écoute, de faire prendre du recul, de modérer les émotions négatives, d’accompagner un mouvement d’amélioration continue et de réguler les relations dans l’équipe. Il y a 20 ans, l’émotion était presque un gros mot dans l’entreprise. Depuis, la naissance de la psychologie positive et le développement des connaissances en neurosciences concernant la conscience ont considérablement fait évoluer les psys dans leur pratique. De même, le manager est un psy qui doit s’approprier les principes plus récents de la psychologie positive pour favoriser la motivation intrinsèque, le développement des émotions positives et l’épanouissement des membres de ses équipes. Son adaptabilité et sa performance comme celles de ses équipes reposent sur sa liberté psychique, son intelligence émotionnelle et situationnelle. Les neurosciences peuvent lui apporter les connaissances de base et des applications pratiques pour préserver les conditions de l’adaptabilité et la performance intellectuelle. La complexité inédite du monde de l’entreprise et l’élargissement des registres du psy à travers la psychologie positive et les neurosciences rendent le métier de manager plus exigeant mais aussi beaucoup plus passionnant.

Parcours

Éric Albert, psychiatre, est spécialiste de l’anxiété, coach et consultant en entreprise. Il a cofondé l’Ifas (Institut français de l’anxiété et du stress), cabinet de conseil en management spécialisé dans le bien-être au travail, les comportements et l’évolution des cultures d’entreprise, devenu Uside en 2015.

Jean-Luc Emery, psychiatre, est directeur associé d’Uside, coach de dirigeants et auteur. Ses domaines d’intervention privilégiés portent sur le coaching professionnel et l’accompagnement des dirigeants. Jean-Luc Emery est également formateur aux approches systémiques, comportementales et cognitives et membre de l’Association française de thérapies comportementale et cognitive.

Auteur

  • Frédéric Brillet