logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Le grand entretien

« Il faut harmoniser les différents régimes de retraite »

Le grand entretien | publié le : 20.05.2019 | Benjamin d’Alguerre

Image

« Il faut harmoniser les différents régimes de retraite »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

Alors que la concertation sur les retraites s’achève, Démocratie vivante, think tank macroniste de gauche, vient de faire paraître l’ouvrage Réformer les retraites, c’est transformer la société1. Ses auteurs, Aude de Castet et Jacky Bontems, préconisent une fusion des 42 régimes existants et la création d’un « compte personnel retraite » adossé à l’actuel compte personnel d’activité (CPA).

Pourquoi proposer une réforme radicale du système des retraites alors que l’équilibre financier du régime semble à nouveau atteint après une dizaine d’années de déficit ?

Aude de Castet : Le régime est à nouveau à l’équilibre, au moins jusqu’à 2022, mais ne le restera qu’à condition d’une croissance constante – 1,8 % chaque année, selon le conseil d’orientation des retraites – qui n’est absolument pas garantie. De plus, notre système de retraites, créé à une époque de plein emploi, de carrières linéaires et d’une faible présence des femmes dans le monde du travail, doit faire face aux transformations de la société et de l’emploi. Le vieillissement de la population, l’entrée de plus en plus tardive dans l’emploi, la multiplication des emplois à temps partiel, l’augmentation du nombre de familles monoparentales – 84 % ont une femme à leur tête –, la mobilité professionnelle et géographique des travailleurs ou les interruptions de carrière sont autant d’éléments à prendre en compte pour rebâtir un système de retraites. Sans compter que la multiplicité des régimes – 42 aujourd’hui – contribue à rendre notre modèle illisible, complexe et inégalitaire. Un exemple : pour une carrière de 41,5 ans, avec les mêmes niveaux de rémunération – du Smic à 1,5 Smic en fin de carrière –, les retraites ne seront pas les mêmes selon le moment d’affiliation à tel ou tel régime ou en fonction des changements d’activité. Et ne parlons même pas de la catastrophe sur le plan de l’égalité hommes-femmes puisque le différentiel entre les montants des pensions est toujours de 25 % en défaveur de ces dernières ! Bref, il est essentiel que la réforme en cours aboutisse à un système plus homogène, mieux harmonisé, plus juste et porteur de progrès social, comme s’y était engagé Emmanuel Macron lors de sa campagne.

Votre projet s’inscrit dans la droite ligne du projet présidentiel d’Emmanuel Macron. Est-ce une contribution à la concertation qui se tient depuis plus d’un an autour de Jean-Paul Delevoye ?

Jacky Bontems : Nous sommes en tout cas en accord avec trois points de ce programme : la garantie d’un régime financé par la solidarité intergénérationnelle, la mise en place d’une retraite par points – modulée par des dispositifs de solidarité représentant environ 20 % de prestations de droit direct – et le maintien de l’âge du départ à 62 ans. Retarder l’âge légal du départ à la retraite n’aurait d’ailleurs aucun sens à la fois économique et social. Aujourd’hui, à 62 ans, un salarié sur deux est au chômage, un grand nombre d’entre eux sont en invalidité ou en inaptitude. Le recul de l’âge légal aurait donc mécaniquement des effets sur les comptes de l’assurance chômage et de l’assurance maladie. De plus, cette mesure est injuste socialement parce qu’elle pénalise ceux et celles qui ont commencé à travailler tôt, ceux qui ont un métier pénible ou dangereux, ceux qui terminent leur carrière sans emploi. Nous ajoutons de nouveaux principes aux engagements du président de la République : unicité du mode de calcul des droits et portabilité de ces droits.

Vous envisagez de fondre les régimes de retraite existants ?

J. B. : Oui. Réussir à se retrouver dans la multiplicité de ces régimes et de leurs prestations est devenu un véritable parcours du combattant pour les polypensionnés et ils sont nombreux ! Il faut donc tendre à les harmoniser vers le haut en les rapprochant progressivement. Il ne sera sans doute pas possible de les fondre tous dans un régime unique à cause de certaines spécificités professionnelles (indépendants, professions libérales, régimes spéciaux, etc.), mais il est nécessaire d’en rassembler le maximum. Y compris ceux de la fonction publique en préservant le statut et en engageant un nouveau pacte salarial. Nous ambitionnons une évolution vers un système de protection sociale rénové où les droits seraient attachés à la personne et non plus au statut, prenant en compte la mobilité professionnelle et les parcours de vie. Un système qui donne l’assurance aux jeunes actifs et aux seniors qu’ils ne seront pas sacrifiés.

Comment envisagez-vous de créer ce nouveau modèle ?

A. d.C. : Nous avançons l’idée de créer un « compte personnel retraite » (CPR) qui intégrerait le « panier » du compte personnel d’activité (CPA), lequel rassemble déjà les actuels comptes personnels de formation (CPF), de prévention de la pénibilité (C2P) et d’engagement citoyen (CEC). Ce compte serait alimenté durant toute la vie professionnelle de l’individu, indépendamment de son statut. Il serait également fongible : les reliquats non utilisés du CPF, par exemple, pourraient offrir des points retraite supplémentaires. Cette réforme doit cependant s’accompagner d’un effort en matière de justice sociale. Ainsi, les jeunes qui mettent davantage de temps à accéder à l’emploi ou les femmes qui cotisent moins que les hommes auraient accès à des « points gratuits » afin de rattraper leur « retard ». Nous proposons également de nouvelles règles d’indexation pour la revalorisation des points retraite et des pensions afin de les faire évoluer au même rythme que la moyenne des salaires. Il s’agira aussi d’aménager les fins de carrière en favorisant les dispositifs de retraites progressives pour les plus de 55 ans – selon un ratio 60 % travail, 40 % retraite – mais aussi en développant le mécénat de compétences, le tutorat des seniors envers les jeunes ou les temps partiels négociés. Bref, nous sommes favorables à l’idée d’une retraite choisie, par la mise en place d’un accompagnement aux fins de carrière, tant dans le secteur privé que le secteur public.

Comment entendez-vous financer ce régime ?

J. B. : Si l’on veut une réforme ambitieuse et progressiste, il faut s’en donner les moyens, notamment financiers. Les modalités du départ à la retraite s’inscrivent dans un projet de société. Consacrer 14 % ou plus du PIB aux retraites [au lieu de 13 % aujourd’hui selon l’OCDE, NDLR] est un choix de cohésion sociale. Cette réforme est consubstantielle d’un engagement à favoriser l’emploi des seniors. Une progression dans ce domaine, ne serait-ce qu’à l’identique de nos voisins européens, amène mécaniquement de nouvelles recettes par les cotisations sociales. Et puis, nous demandons à notre président de la République d’être cohérent, l’annonce du retour au plein emploi pour 2015 – et nous l’espérons – conduira aussi à une augmentation des recettes. La balle est également dans le camp du patronat pour la création d’emplois. Au slogan à la mode « travailler plus ! », nous préférons le choix « travailler plus nombreux » pour produire plus de richesses.

Certains de ces ajustements peuvent paraître rudes…

A. d.C. : Il est ici question d’intérêt national et de justice sociale. Emmanuel Macron ne doit pas seulement réformer a minima le système de retraite, mais carrément retourner la table ! Il ne s’agit pas d’envisager une réformette de plus ou des ajustements conjoncturels, mais bien d’un changement de paradigme sociétal et culturel profond. Bien entendu, il ne serait pas question de passer d’un système à un autre du jour au lendemain, mais de prévoir une période de transition permettant l’adaptation de tous les acteurs. En outre, Démocratie vivante, think tank des macronistes de gauche, estime que cette réforme audacieuse offre une sacrée opportunité politique à notre président de la République. Une réforme porteuse de progrès sociaux, telle que nous la préconisons, permettra un rééquilibrage de sa politique en marchant sur ses deux jambes, droite comme gauche.

(1) Réformer les retraites, c’est transformer la société, Les notes de l’Institut Diderot.

Les auteurs

AUDE DE CASTET est présidente du réseau des Progressistes impliqués et vice-présidente de Démocratie vivante, think tank œuvrant pour que le quinquennat d’Emmanuel Macron contribue au progrès social. Elle est auteure de nombreux ouvrages sur le travail et le dialogue social dont Le Moteur du changement : la démocratie sociale, coécrit avec Jacky Bontems et Michel Noblecourt (2015, éd. Lignes de repères-Fondation Jean-Jaurès).

JACKY BONTEMS a été secrétaire général adjoint de la CFDT de 1992 à 2009, puis membre de l’équipe de campagne de François Hollande sur les questions sociales. Il a été conseiller de Jean Pisani-Ferry au sein de France Stratégie et, depuis 2015, membre du Cese en tant que personnalité qualifiée. Il est auteur de nombreux ouvrages sur le travail, la démocratie sociale et l’Europe et vice-président de Démocratie vivante.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre