Si une trentaine d’entreprises ont indiqué leur intention de créer leur propre centre de formation d’apprentis (CFA), peu d’entre elles sont passées à l’acte. Se lancer nécessite d’avoir réfléchi sur ses besoins en amont et sur les moyens financiers et humains à mobiliser.
Le 4 mars 2019, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, se félicitait de l’annonce du lancement conjoint du CFA d’entreprise sur les métiers de la cuisine, créé par Accor, Adecco, Korian et Sodexo, pointant ces entreprises « qui prennent une longueur d’avance » en se saisissant de l’opportunité de la loi sur la liberté de choisir son avenir professionnel du 5 septembre 2018. Celle-ci facilite les démarches des candidates qui envisagent de former elles-mêmes leurs futures recrues – ou celles de leurs clients et fournisseurs – pour pallier leurs difficultés de recrutement sur des métiers en tension et réduire le chômage des jeunes. Si les quatre partenaires entendent bien tout mettre en œuvre pour signer les premiers contrats d’apprentissage le plus rapidement possible, Schneider Electric met lui aussi les bouchées doubles : l’entreprise sera sur la ligne de départ à la rentrée prochaine. Les étudiants inscrits jusqu’ici en BTS Domotique et bâtiments communicants, dans son école interne de formation aux métiers de l’énergie située à Grenoble, seront désormais accueillis par le futur CFA du groupe qui a aussi pour vocation d’assurer la montée en puissance des effectifs. Il s’agit de répondre à la demande de l’ensemble de la filière, où ce type de profil est très recherché en vue d’accélérer la transition énergétique. Les promotions de 24 diplômés par an devraient ainsi être rapidement multipliées par deux ou trois. « Cette transformation est pour nous un moyen d’assurer l’évolution de l’école et les programmes par une plus grande proximité avec l’entreprise, met en avant Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable. Nous avons ainsi la possibilité de créer des compétences dont nous allons avoir besoin. » Dans un deuxième temps, ce CFA devrait également proposer des licences professionnelles, voire, à plus long terme, des salariés de l’entreprise en formation continue.
Si l’existence de cette école interne sous contrat avec l’Éducation nationale va faciliter la tâche du groupe pour réussir cette transformation, force est de constater que peu d’entreprises sont prêtes à faire elles aussi leurs premiers pas dans les tout prochains mois… Présentées comme partantes en mars dernier, Orange ou Capgemini se donnent encore un délai de réflexion. Tout comme Arc France : « Nous nous préparons à créer éventuellement notre propre CFA en 2021, explique Daniel Vasseur, responsable de la formation et du programme apprentissage de l’entreprise qui accueille aujourd’hui entre 100 et 150 apprentis par an. Comme notre organisme de formation interne devra à cette échéance avoir une certification qualité, nous allons profiter de ces changements pour professionnaliser nos formateurs afin d’être prêts si nos besoins de recrutement le justifient. »
Une prudence justifiée par Nicole Claverie-Couchet, chargée de mission à la Direccte de Nouvelle Aquitaine, une des chefs de projet qui ont été nommés dans les régions pour accompagner les entreprises envisageant de participer à l’aventure : « Avant de lancer son CFA, mieux vaut avoir dressé un état des lieux en engageant une GPEC. » Créer un CFA, désormais financé en fonction du nombre d’alternants accueillis, a en effet un coût. Ce montant déterminé par les branches professionnelles devrait être connu sous peu et nul ne sait encore aujourd’hui si la somme sera suffisante pour couvrir les frais réels. Car les entreprises doivent ajouter aux coûts de formation proprement dits toutes les dépenses liées à la création et au fonctionnement du CFA lui-même. Et si les régions ont annoncé leur intention d’accorder une rallonge, personne ne sait de combien, d’autant que celle-ci devrait varier d’une région à l’autre. Ces informations devraient elles aussi être connues dans les prochains mois. Le nombre d’apprentis nécessaires pour respecter l’équilibre économique des CFA, inscrit dans la loi, devra alors être déterminé et comparé aux besoins. « Compte tenu de ces inconnues, nous allons devoir attendre 2021 pour savoir combien de CFA d’entreprise seront réellement créés », souligne Nicole Claverie-Couchet.
Les incertitudes sont par ailleurs de taille sur la possibilité de faire inscrire au RNCP les nouvelles certifications que souhaiteraient créer les entreprises dans leur propre CFA. Certes, le ministère du Travail a publié un guide pratique pour définir et faire homologuer les contours de ces « diplômes maison » et assuré que la démarche sera plus rapide que jusqu’à présent. Mais les précurseurs n’ont pas toujours été récompensés… à l’image d’Adecco. Pour faire fonctionner son CFA d’entreprise axé sur les nouvelles méthodes de recrutement, le géant des solutions RH a recruté en mars dernier sa première promotion dans le cadre d’un partenariat avec l’IGS. Les 15 chargés de missions RH accueillis en apprentissage vont parallèlement préparer en quinze mois le titre certifié de niveau II Responsable de la gestion des ressources humaines de l’établissement… En attendant l’inscription de la certification conçue par Adecco au RNCP qui pourrait toutefois déboucher en septembre prochain.
Une quinzaine de grandes entreprises réunies au sein de la FIPA (Fédération innovations pour les apprentissages) à l’image d’EDF, de BNP Paribas, de Veolia, de Total ou encore de La Poste, prêtes à accueillir d’autres groupes mais aussi des ETI, ont formé un groupe de travail pour réfléchir sur l’opportunité de créer des CFA d’entreprise. « Nous nous rencontrons une fois par mois, en présence d’Antoine Foucher, le directeur de cabinet de Muriel Pénicaud, et accompagnés par un cabinet de conseil, pour, forts de notre expérience et de nos échanges, élaborer un kit afin d’aider les candidates à se poser les bonnes questions avant de prendre leur décision », résume Yann Bouvier, chargé de mission. Dans l’attente des décrets définitifs dont notamment celui – crucial – sur le coût-contrat, les partenaires ont commencé à repérer quelques items clés : trois considérés comme fondamentaux, trois autres permettant de décrocher une sorte de « bonus ».
Dans la première catégorie figurent l’estimation des besoins, le type de cursus envisagé (les cursus techniques sont plus rares sur le marché mais aussi plus coûteux à mettre en place) et l’existence d’un besoin au minimum pendant trois ans pour rentabiliser la création du CFA. Dans les critères annexes se trouvent la possibilité de créer une certification maison, l’accueil des salariés en reconversion et la possibilité d’élargir ensuite le public. Ce kit devrait être disponible d’ici la fin de l’année en open source.