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Le grand entretien

« L’instantanéité des outils numériques rend les nouvelles générations impatientes »

Le grand entretien | publié le : 29.04.2019 | Frédéric Brillet

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« L’instantanéité des outils numériques rend les nouvelles générations impatientes »

Crédit photo Frédéric Brillet

À quoi ressemblera l’entreprise de demain ? À quels enjeux devront faire face nos enfants ? Quel sera leur avenir dans ce nouveau monde du travail ? Et comment les y préparer ? Tels sont les enjeux qu’aborde Stéphane Biso dans l’essai Slashers, designers, gamers : quels seront les jobs de nos enfants, qu’il vient de publier chez Dunod.

Votre essai évoque l’émergence d’entreprises « disruptives » qui vont transformer les modes de management, les métiers et les façons de travailler. Quelles sont ces entreprises ?

On fait souvent référence aux GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et aux NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber), mais on peut également citer Booking, Deliveroo, Vizeat, Napster, Superprof, Stootie, ou encore les BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi), nouveaux géants chinois qui commencent à faire de l’ombre à leurs rivaux américains. Ce nouveau modèle économique, qui n’est pas le futur mais bien le présent, implique l’émergence de nouveaux métiers autour de l’analyse des données, de la communication (community manager), du marketing (digital brand manager), de la robotique, des nouvelles démarches ou méthodes (scrum master qui promeut les méthodes agiles dans la conduite de projets), du développement durable (responsable des achats durables), des ressources humaines (talent manager) et du management. Ce modèle d’entreprise de services va de plus en plus s’imposer. Le pouvoir y est transversal et non plus pyramidal. On aboutit alors à l’entreprise 3.0 dotée d’une hiérarchie plus souple où les dirigeants sont davantage présents pour encadrer et coacher que pour diriger.

En quoi l’entreprise 3.0 se différencie-t-elle de l’entreprise 2.0 ?

L’entreprise 2.0 est dite collaborative parce que des individus travaillent ensemble afin d’atteindre un objectif commun. Les salariés y échangent facilement grâce à des outils collaboratifs dans le but de réaliser une tâche, une mission. Mais au sein d’une organisation, toutes les personnes ne sont pas engagées de la même manière. En réalité, l’implication varie de manière significative d’un salarié à l’autre. Beaucoup se limitent à mener à bien les missions qui valorisent leur département, leur service. Certains travaillent avec les autres mais sans se soucier du bon fonctionnement de l’ensemble. Il s’agit alors d’un travail purement mécanique, sans que cela témoigne d’un accomplissement ou d’un épanouissement de l’employé au sein de la structure. L’entreprise 3.0 va plus loin. Elle n’est pas seulement collaborative mais aussi contributive : les salariés y travaillent ensemble pour faire avancer l’entreprise qui leur fait confiance et tient compte de leurs avis dans ses décisions. Se sentant valorisés, ils s’impliquent davantage. Cette implication et ce fonctionnement sont rendus possibles par l’optimisation des outils de communication qui permettent à tout un chacun d’être force de proposition, quel que soit son niveau hiérarchique. Autre caractéristique, l’entreprise 3.0 fonctionne sur un mode virtuel et ludique : les formations, les échanges, les présentations se transforment en « serious game ». Modélisées en 3D, les idées sont partagées et simulées sur des plateformes collaboratives, des locaux virtuels peuvent même être créés. Tout devient plus ludique. Dans ce type d’organisation, le management devient bottom-up. L’ensemble des collaborateurs et des clients décide de l’évolution et l’avenir de l’entreprise.

Quelles sont les caractéristiques et les attentes des salariés à l’ère de l’entreprise 3.0 ?

Les salariés sont flexibles, mobiles, autonomes par rapport à la hiérarchie et aiment travailler en équipe. Le type d’organisation qui satisfait leurs attentes existe déjà dans les startup mais reste compliqué à appliquer dans les entreprises classiques. En outre, l’instantanéité des outils numériques rend les nouvelles générations impatientes. Contrairement à leurs aînés, elles ne se projettent pas dans une carrière et encore moins dans une même entreprise. Ces nouvelles générations brisent les codes du travail traditionnel. Elles font passer leur qualité de vie au premier plan et sont très exigeantes sur les conditions de travail. Les valeurs et le mode de management de l’entreprise sont décisifs pour elles. Par ailleurs, l’évolution des technologies dans le monde du travail, en particulier avec la robotisation et l’intelligence artificielle, nous contraint à parier sur le capital humain, sur les soft skills, les « compétences douces » (empathie, observation, écoute active, communication…) souvent qualifiées de compétences comportementales, transversales, humaines et de savoir être, toutes ces qualités personnelles qui peuvent transformer un salarié en un collaborateur efficace, agréable et entraînant pour le reste de l’équipe.

Comment les rôles du manager et des RH évoluent-ils dans ce nouveau type d’entreprise ?

On assiste à l’émergence d’un nouveau type de manager qui doit être reconnu plus pour son leadership et son expertise que pour sa position hiérarchique. La notion d’autorité rebute les membres de la génération Y. Le « Y » au travail croit plus en lui ou en son manager qu’en un principe nommé « hiérarchie ». Les ressources humaines et les managers devront s’adapter car leur enjeu majeur est de réussir la transformation digitale en intégrant ces nouvelles générations. Une des voies possibles pour relever ce challenge est de recourir à plus de « mad skills ». Il y a ici un paradoxe : il s’agit de rechercher des collaborateurs à la fois déviants et singuliers, donc en dehors de la norme. Leur personnalité leur permet de produire des idées disruptives, de pratiquer l’intelligence connective, de cultiver des postures ou de proposer des choses atypiques, ils pensent différemment. Ils ont des parcours non conformistes car ils ont pu avoir des activités éloignées de leur business et ils savent hybrider plusieurs talents éclectiques. Enfin, le rôle des ressources humaines et du management est de propager une culture du collectif, du partage, de l’échange, du plaisir au travail (passer du savoir-faire à l’aimer faire), du respect de chacun et de sa place au travail, une culture de la transparence, de la fluidité de l’information et des rapports humains. En plus de recruter des gens positifs, les ressources humaines doivent aussi recommander et encourager une attitude positive (Positive Thinking). Car la pensée positive a du bon. Elle nous permet d’exprimer de la gratitude envers les autres et envers soi-même, elle nous encourage à voir les choses du bon côté et cela nous permet d’avancer, même dans les moments difficiles.

Pourquoi le statut de slasher correspond-il aux attentes des nouvelles générations ?

Celles-ci trouvent dans ce statut qui consiste à exercer plusieurs métiers simultanément plus de liberté qu’un freelance lambda qui n’en exerce qu’un seul. Le slasher revendique une indépendance d’esprit, une envie de se détacher de la lourdeur administrative de l’entreprise, des reportings « idiots » qui contribuent à l’infobésité, de la routine. Ce statut permet de développer des compétences très différentes dans des univers parallèles : on peut être architecte le matin et professeur de yoga l’après-midi. Certains slashers peuvent aussi juger bon d’occuper un poste alimentaire à temps partiel pour payer leurs factures et s’épanouir dans un second métier mais moins rémunérateur et plus précaire.

Parcours

Directeur des opérations et de la R & D au sein du Groupe 42, spécialiste du design thinking, expert des nouvelles technologies et de l’expérience client, Stéphane Biso conduit des ateliers de design sur des projets de transformation stratégique dans différents domaines : CRM (Customer Relationship Management), big data, IA (intelligence artificielle), RPA (Robotic Process Automation).

Auteur

  • Frédéric Brillet