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Negociation collective : Le référendum en quête de reconnaissance dans les PME

Le point sur | publié le : 22.04.2019 | Gilmar Sequeira Martins

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Negociation collective : Le référendum en quête de reconnaissance dans les PME

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Les TPE s’approprient lentement le dispositif de validation d’accords par référendum. Il suscite cependant un refus clair de la part des organisations syndicales et les DRH se montrent réticents en raison de l’incertitude entourant toujours l’issue du vote.

Renforcer la négociation collective dans les petites entreprises. Tel était l’objectif annoncé de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017. De fait, elle a ouvert des possibilités inédites. Désormais, les entreprises de moins de 11 salariés sans délégué syndical ainsi que celles comprenant de 11 à 20 salariés dépourvues d’élu/e peuvent passer par la voie du référendum. Si les deux tiers des salariés approuvent l’accord proposé, il est validé.

Sans connaître un engouement débordant, ce nouveau dispositif a reçu un réel écho. Dans une note d’étape publiée en décembre 2018, le comité d’évaluation des ordonnances présidé par Sandrine Cazes fait ainsi état, entre septembre 2017 et octobre 2018, de plus de 400 textes, accords ou avenants, validés dans les entreprises de moins de 11 salariés. Pour l’essentiel (85 %), ils portent sur le temps de travail, 38 % d’entre eux traitant de son aménagement et 34 % du forfait en heures ou en jours. Dans les négociations entre partenaires sociaux, signés par des délégués syndicaux, des salariés mandatés et hors épargne salariale, la note du comité d’évaluation rappelle que « le temps de travail n’est abordé que dans 31 % des accords et le thème salarial reste le premier traité (38 % des accords) ». Par secteurs, c’est le commerce (de gros ou de détail) qui fournit le plus grand nombre d’accords approuvés par référendum (15 %), suivi par les sociétés de holding et les activités de sièges sociaux (9 %), les associations (8 %) et les activités de conseil (7 %). La note d’étape précise que les « holdings et sièges sociaux traitent quasi exclusivement du temps de travail, majoritairement du forfait en jours ou en heures pour leurs cadres ».

Les entreprises dont les effectifs se situent entre 11 et 20 salariés ont été moins sensibles à l’intérêt du dispositif. Sur la même période de référence, 125 accords ou avenants seulement ont été validés par référendum. À l’instar des TPE, le temps de travail arrive en tête des thèmes abordés dans ces textes (81 % du total). Ils traitent le plus fréquemment de l’aménagement du temps de travail et du forfait jours ou heures. Le comité d’évaluation note cependant que la « durée collective [du temps de travail] et les congés occupent proportionnellement une place plus importante que dans les unités de 1 à 10 salariés ». Tout comme dans les entreprises de moins de 11 salariés, les secteurs qui produisent le plus d’accords sont le commerce (15 %), suivi du conseil (10 %), de l’industrie (7 %), la construction (7 %) et des activités de holdings et des sièges (6 %).

Front du refus

Cette diffusion somme toute timide de ce dispositif qui devait accorder une plus grande liberté d’action aux entreprises tient sans doute pour une part au front du refus qu’ont opposé les grandes organisations syndicales, toutes obédiences confondues. « Cela délégitime les acteurs de terrain, c’est une sorte de passage en force », estime Gilles Lécuelle, secrétaire national au dialogue social de la CFE-CGC, tandis que FO y voit un moyen de « contourner » la légitimité des organisations syndicales : « Ce dispositif fait partie d’un tout, remarque Michel Beaugas, secrétaire confédéral en charge de l’emploi et de la formation professionnelle. Il vient après la loi sur la représentativité de 2008 et avec le CSE. Il s’inscrit clairement dans une logique de contournement des organisations syndicales au profit des employeurs qui n’ont plus à trouver d’accord avec une majorité de syndicats, un type de démarche qui aboutit à un compromis. Avec le référendum, il n’y a plus d’égalité entre les parties et l’employeur peut faire une proposition unilatérale qui n’engage aucune négociation et donc aucun compromis. » La CGT y voit même un déni de démocratie selon Fabrice Angéï, secrétaire confédéral : « Alors qu’il est nécessaire d’obtenir la signature des organisations syndicales représentant à minima 50 % des salariés, les conditions de réalisation de ces référendums sont négociées uniquement entre la direction et les organisations syndicales minoritaires. Les organisations non-signataires, pourtant majoritaires, n’ont pas les mêmes possibilités d’expression que celles, minoritaires, qui sont, avec l’employeur ou la direction, à l’origine du référendum. Le référendum d’entreprise ne réunit pas les conditions pour un scrutin sincère, en tout cas en appliquant les critères du Code électoral. »

Constatant que l’organisation du référendum repose sur la seule décision unilatérale de l’employeur dans les entreprises de moins de 20 salariés, la CFE-CGC déplore qu’un tel dispositif « n’incite pas du tout à mettre en place des structures pour mener des négociations ». Plus grave encore, pour Gilles Lécuelle : « Ce type de situation ne mène pas à un véritable dialogue social mais bien à l’exercice d’une “pression” sociale. Cela revient à donner un pouvoir supplémentaire à l’employeur. Ce n’est pas par hasard que 80 % des accords concernent le temps de travail. Avant ce type de procédure, ce sont les dispositions fixées par la branche qui s’appliquaient ce qui permettait d’éviter un dumping social et économique. Le référendum d’entreprise est un déni des branches. »

Une « curiosité » pour les DRH

Contre toute attente, ce nouveau dispositif ne soulève guère d’adhésion du côté des DRH. « Le référendum n’a pas sa place dans l’entreprise, c’est une curiosité, estime Jean-Paul Charlez, président de l’ANDRH. Ce n’est pas un instrument naturel de la démocratie sociale en entreprise. La voie naturelle, ce sont les élections et les négociations entre les organisations syndicales et représentants des employeurs. » Il va jusqu’à estimer que « le référendum introduit un risque de déstabilisation de la démocratie sociale en entreprise » et rappelle que « la question qui importe est d’avoir des syndicats majoritaires réellement en phase avec les intérêts des salariés, voire ceux de l’entreprise, les deux n’étant pas forcément opposés ». Le système présente un caractère foncièrement inadapté à la réalité des entreprises, conclut le président de l’ANDRH : « Réunir régulièrement tous les salariés pour les consulter sur la marche de l’entreprise n’est pas un système viable. Cela peut fonctionner sur une petite échelle, comme l’ont montré certains cantons suisses, mais à plus grande échelle, il faut des corps intermédiaires. Le point clef est donc leur représentativité. »

Un tel front du refus signe-t-il une forme de solidarité objective des acteurs du dialogue social, soucieux de préserver leur pré carré ? Rien n’est moins sûr, à écouter Pierre Ferracci. Le dirigeant du groupe Alpha se montre « favorable à un usage extrêmement modéré du référendum », à réserver à des négociations difficiles comme un accord de performance collective ou lors d’une remise en cause d’un accord structurant, ou « pour mettre en place une politique salariale innovante qui peut surprendre les salariés ». « Dans de tel cas, précise Pierre Ferracci, les parties peuvent se mettre d’accord pour prendre le pouls des salariés à travers un référendum. » À ses yeux, ce dispositif « ne doit pas être un outil de contournement des syndicats mais de dépassement des difficultés par la consultation des salariés quand le but est proche. Voilà sa vraie vertu. Mais il ne faut pour autant être prisonnier du résultat. »

Devant tant de réticences, la validation d’accords par référendum a toutes les chances de rester la plupart du temps un recours ultime. À moins que les TPE décident d’utiliser en masse ce dispositif. Pour l’heure, rien ne permet de tirer une telle conclusion.

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins