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Le grand entretien

« La médiation permet de renforcer le dialogue social »

Le grand entretien | publié le : 15.04.2019 | Frédéric Brillet

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« La médiation permet de renforcer le dialogue social »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans l’ouvrage collectif Médiation et Entreprises, publié chez L’Harmattan, Gulsen Yildirim, Isabelle Sauviat et Romain Dumas réunissent une série de textes afin de proposer des regards croisés en droit et gestion sur la médiation. Ce mode alternatif de résolution des différends trouve dans l’entreprise un lieu privilégié d’application, afin d’aplanir des problèmes de relations internes ou externes. Toutefois, à la différence du droit, le concept de médiation apparaît moins familier en sciences de gestion.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de rédiger un ouvrage sur la médiation en croisant les regards de juristes et de spécialistes du management et de la gestion ?

ROMAIN DUMAS : La médiation a le vent en poupe. D’un côté, les parties à de petits litiges sont incitées, voire obligées dans certains cas, à se tourner vers ce mode amiable en vue de désencombrer les juridictions. D’un autre côté, les parties trouvent également certains avantages dans la médiation que ne leur offre pas forcément la justice étatique. Elles restent ainsi maîtresses du différend qui les oppose, prennent une part active à sa résolution, négocient là où un tribunal tranche le conflit par une décision s’imposant aux parties. Elles prennent donc une part bien plus active à la résolution de leur différend.

Ensuite, porter un regard croisé sur la médiation permet de comparer la réception de ce mode amiable par les juristes et les gestionnaires. Issu des actes d’une journée d’études, cet ouvrage met en lumière la complexité des phénomènes juridiques et sociaux et la nécessité de les aborder de différentes manières pour mieux les comprendre. En cela, il s’inscrit dans la ligne de notre centre de recherches, le CREOP, qui tend à étudier des questions liées à l’entreprise, aux organisations et au patrimoine sous l’angle bi-disciplinaire du droit et des sciences de gestion.

Comment évolue la médiation en entreprise, en particulier celle intervenant dans le cadre des relations sociales ?

R. D. : Dans le champ social, la médiation est encore peu utilisée en pratique mais elle se développe peu à peu car les managers prennent conscience de son utilité pour aplanir des différends, restaurer la confiance dans la vie professionnelle et renforcer le dialogue social. Elle se développe aussi en tant que mode de résolution des différends externes de l’entreprise, avec les fournisseurs et les clients de l’entreprise. Quelle que soit la nature du différend, la médiation s’appuie de plus en plus sur des outils numériques, pour faciliter son accès, les échanges entre le médiateur et les parties et donc démocratiser son utilisation. Toutefois, le législateur veille à ce que ces processus en ligne ne soient pas entièrement automatisés car la médiation repose avant tout sur l’intervention purement humaine du médiateur et ses qualités d’écoute bienveillante, de reformulation.

Dispose-t-on de données sur le développement des médiations dans les relations sociales ?

R. D. : Il est très délicat d’avancer des chiffres précis pour quantifier le phénomène, car la confidentialité constitue l’un des principes directeurs de ce processus. Dès lors, il n’a vocation à être connu que des parties qui s’opposent et du médiateur. Toutefois, certains entretiens menés avec des managers montrent que la médiation a pu s’avérer très efficace après de multiples procédures judiciaires ayant débouché sur une impasse entre une entreprise et l’un de ses anciens collaborateurs. Un peu en désespoir de cause, les parties ont tenté une médiation sans trop y croire avec un médiateur indépendant et, contre toute attente, elles sont parvenues rapidement à un accord, comme nous le relatons dans cet ouvrage à travers le témoignage d’un directeur juridique.

Quels avantages les salariés et les employeurs trouvent-ils à recourir à la médiation dans le champ social ?

Isabelle Sauviat : Les avantages tiennent au fait que la médiation peut s’adapter à toutes les situations conflictuelles. Elle permet de trouver un consensus au sein de l’entreprise. Elle apparaît souvent comme une solution de dernier ressort, quand le management, les RH ou les organisations professionnelles ont été mobilisés, sans qu’aucune solution n’ait été trouvée. Elle suppose un contexte de confiance. La confidentialité du processus contribue au maintien de cette confiance car le différend est réglé en « interne » sans que rien ne filtre vers l’extérieur, que le médiateur soit un collaborateur de l’entreprise ou qu’il vienne de l’extérieur.

Quelles sont les limites de la médiation appliquée aux relations sociales ?

I.S. : Les limites de la médiation tiennent au contexte du conflit et à des considérations humaines et managériales. Il est nécessaire d’avoir une réelle adhésion des parties prenantes à la démarche, y compris de la part du management. Il faut de plus que les composantes personnelles ou affectives ne soient pas trop fortes : les situations de harcèlement et de souffrance au travail ne peuvent donner lieu à une médiation. En outre, la médiation suppose de considérer le couple intérêts-risques (notamment parce qu’il passe par une reconnaissance des torts) et ne doit pas être une hypocrisie managériale.

Dans quels domaines particuliers des relations sociales la médiation intervient-elle le plus et le moins ? Pourquoi ?

R. D. : Elle intervient beaucoup dans les relations individuelles de travail, c’est-à-dire celles opposant une salariée ou un salarié en particulier à un supérieur hiérarchique, ou encore à un collègue ou à sa direction. Si le différend est collectif, il a plutôt vocation à être résolu par la voie de la négociation collective, par le biais des institutions représentatives du personnel telles que le comité social et économique.

Quel est le profil de ces médiateurs « sociaux » ?

I.S. : Il n’y a pas de profil type précis pour exercer le métier de médiateur. Le médiateur doit avoir avant tout un savoir-être relationnel. Pour appliquer la médiation dans l’entreprise, il doit faire référence à des principes méthodologiques basés sur l’impartialité et la neutralité.

R. D. : Il existe deux tendances. Un salarié de l’entreprise, notamment rattaché à la DRH, peut occuper la fonction de médiateur interne pour tous les différends opposant des collaborateurs de l’entreprise. Il peut s’agir d’un salarié qui s’est formé à la médiation. Les entreprises peuvent aussi recourir à un médiateur externe. Il s’agira alors d’un professionnel qualifié, en général un médiateur conventionnel car il sera sollicité en dehors de toute procédure judiciaire et justement pour éviter d’en arriver là. Dans ce cas, le médiateur conventionnel devra posséder la qualification requise par rapport à la nature du litige en raison de son expérience professionnelle, ou il devra avoir suivi une formation attestant de son aptitude à la pratique de la médiation.

Dans quelle mesure la médiation « sociale » se substitue-t-elle ou pas à d’autres instances de résolution des conflits ?

R. D. : Contrairement à une crainte exprimée parfois par le monde judiciaire, la médiation ne se substitue pas totalement aux magistrats. Ce ne sont donc pas forcément des modes concurrents. En effet, si les parties à une médiation débouchent sur un accord amiable par lequel elles prennent des engagements, celui-ci sera dénué de toute force contraignante. Par conséquent, son respect dépendra uniquement du bon vouloir des parties. Pour éviter cela, les parties pourront se tourner vers le juge en vue de faire homologuer leur accord amiable. La juridiction saisie opérera alors un rapide contrôle de la conformité de cet accord aux règles juridiques et, si l’accord est bien conforme, elle lui conférera la force exécutoire.

Les auteurs

Gulsen Yildirim est maître de conférences HDR, droit privé et sciences criminelles, directrice du Centre de recherches sur l’entreprise, les organisations et le patrimoine (CREOP) et responsable de la formation master 2 Gestion patrimoniale des conflits familiaux.

Romain Dumas est maître de conférences HDR, droit privé et sciences criminelles, directeur adjoint du CREOP et responsable du diplôme universitaire d’expertise judiciaire (DUEJ).

Isabelle Sauviat est maître de conférences en Sciences de gestion à l’IAE de Limoges et membre du CREOP. Elle est spécialiste en gestion des ressources humaines et management public.

Auteur

  • Frédéric Brillet