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Sur le terrain

Formation : TAE permet à des managers de se frotter à des publics fragiles

Sur le terrain | publié le : 08.04.2019 | Lys Zohin

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Formation : TAE permet à des managers de se frotter à des publics fragiles

Crédit photo Lys Zohin

TAE, entreprise d’ATD Quart Monde, qui mélange des personnes en très grande difficulté, des ouvriers et des diplômés de grandes écoles, propose désormais des formations au management, issues de cette expérience inédite.

Les contours du projet expérimental d’ATD Quart Monde étaient clairs : il s’agissait, dans le strict respect de la philosophie du mouvement pour la dignité de tous, de lancer une entreprise pour aider les personnes en très grande difficulté, en favorisant la plus grande mixité sociale possible et en ne recourant jamais au licenciement. Créée en 2002, l’entreprise Travailler et apprendre ensemble (TAE) est spécialisée dans trois métiers : la remise en état de matériel informatique usagé, la réalisation de chantiers de second œuvre et la prestation de nettoyage de locaux.

« L’idée n’était pas de faire une entreprise pour pauvres. Mais de voir comment, dans l’entreprise, on peut faire de la place aux plus fragiles », rappelle Didier Goubert, actuel directeur de TAE et ancien cadre dans de grandes entreprises, dont Suez. Aujourd’hui, sur la vingtaine de salariés que compte TAE, les effectifs sont constitués pour moitié de personnes en très grande difficulté, de 20 % d’ouvriers et de 30 % de diplômés. Des super diplômés, même, puisque l’École polytechnique envoie régulièrement des étudiants en stage d’un an dans l’entreprise.

« Et tout le monde est au même niveau », précise encore Didier Goubert. Résultat de cette mixité inhabituelle, les bac + 5 qui passent par TAE se forgent un savoir-faire inédit en matière de management, puisqu’il leur faut composer avec des profils difficiles, enclins à la confrontation, parfois, tandis que d’autres ont une tendance marquée à l’absentéisme ou sont sujets à de graves problèmes personnels. Autant de situations que ces futurs cadres retrouveront, à des degrés divers, dans les entreprises traditionnelles qu’ils intégreront au cours de leur parcours professionnel. Une façon, aussi, de développer « un management extrêmement humain dans des situations difficiles ».

« Et on y arrive ! », souligne Didier Goubert.

Plus intelligents

Cette richesse inédite, TAE a voulu en faire bénéficier davantage de managers que les seuls stagiaires des grandes écoles. Conséquence, depuis deux ans, l’entreprise a lancé des formations, sous la forme de stages d’une semaine sur place, au contact des salariés, pour immerger des cadres extérieurs (venant de chez Suez, Saint-Gobain, Orange…) afin de leur offrir des outils complémentaires à leur formation initiale et de nouvelles méthodes de management. Avec, souvent, une prise de conscience, ou un renforcement de leurs convictions.

Didier Goubert souligne ainsi l’évolution d’un participant au stage de management face à une absence prolongée d’un membre de son équipe. Monnaie courante chez TAE, le réflexe des autres membres de l’équipe face à une absence est de prendre des nouvelles du salarié et de se préoccuper du « pourquoi ». Une réaction que les managers, dans une organisation, n’ont pas toujours… « Après le stage, l’un des cadres participants, confronté à cette situation, a décidé de prendre personnellement des nouvelles d’un membre de son équipe, en congé longue durée, se souvient Didier Goubert. Et peu à peu, le salarié s’est ressaisi et a fini par reprendre son poste. »

Autre attitude nouvelle, celle qu’un cadre a adoptée, face à la guérilla que se livraient en permanence ses équipes, au marketing, à la vente et à l’après-vente : il a pris un stagiaire autiste. « Cela n’a l’air de rien, mais tous ont arrêté de se battre pour se concentrer sur le plus faible », relève Didier Goubert. De quoi confirmer l’argument qu’il avance depuis toujours : « Contrairement à ce que l’on croit, c’est le plus faible qui renforce le groupe. On est plus performant si l’on accueille la faiblesse. »

Un argument que défend Christophe Duval-Arnould, délégué aux mutations économiques chez Saint-Gobain Développement. « TAE part de présupposés très forts, selon lesquels les personnes en grande précarité ont une grande valeur, de même que le collectif. Des présupposés qui rendent franchement très intelligents », dit-il. Déjà convaincu des bienfaits de la relation humaine dans l’entreprise, ce cadre, qui a fait un stage chez TAE il y a quelques mois, a pris conscience des réflexes de base des organisations, comme celui de sanctionner, sous prétexte de consignes en matière d’efficacité, au lieu d’examiner la réalité d’une situation. « Il faut avant tout comprendre et mettre en place de la conciliation », dit-il.

Collectif

« Nous avons également accueilli des chasseurs de têtes dans nos stages de formation, ajoute Didier Goubert. Ils y repèrent des signaux faibles, aussi bien en termes de management que de recrutement, dit-il. Les mentalités sont bien en train de changer. » En matière de recrutement, les DRH continuent à privilégier les candidats qui leur paraissent de prime abord les plus efficaces et ont parfois du mal à envisager d’embaucher d’autres profils, notamment ceux des plus « faibles ».

Toujours est-il qu’à l’issue du stage, les bénéficiaires comme Christophe Duval-Arnould sont convaincus que les profils fragiles peuvent apporter une nouvelle richesse à l’entreprise. Mieux, ils repartent gonflés à bloc, prêts à évangéliser leurs pairs. « Je travaille déjà pour l’inclusion des handicapés et le maintien dans l’emploi, indique Christophe Duval-Arnould, mais si je pouvais amener un groupe de managers de Saint-Gobain Développement non seulement à découvrir, ensemble, d’autres formes de management mais aussi à prendre conscience que le projet économique de toute entreprise doit être articulé autour d’un projet sociétal, fondé sur des valeurs humaines, sur le vivre ensemble, sur le respect et l’intégration de tous, alors je serai satisfait. » Selon lui, la mixité sociale est « la solution pour que les entreprises soient dans le juste et trouvent leur profonde raison d’être ». Des propos qui entrent en résonance avec les débats actuels sur l’objet social de l’entreprise.

Auteur

  • Lys Zohin