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Le grand entretien

« Personne n’est inemployable »

Le grand entretien | publié le : 08.04.2019 | Fréderic Brillet

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« Personne n’est inemployable »

Crédit photo Fréderic Brillet

Le chômage de longue durée entraîne dépense et manque à gagner pour la collectivité. En revanche, si l’on crée des entreprises pour employer ces chômeurs, un cercle vertueux se met en place. C’est à partir de ce constat qu’est née « Territoire zéro chômeur longue durée », l’association présidée par Laurent Grandguillaume, qui propose des CDI utiles aux territoires.

Comment est né le concept de « Territoire zéro chômeur longue durée » (TZCLD) qui a débouché sur la loi du 29 février 2016 dont vous avez été l’auteur et le rapporteur ?

L’idée est née dans la société civile. ATD Quart-Monde avait conduit une étude sur le coût de la privation d’emploi qui avait retenu mon attention. Au départ, cette idée était qualifiée d’utopiste et j’ai dû batailler contre de nombreux conservatismes pour la concrétiser sur le plan législatif. Il a fallu organiser des auditions et créer un groupe de travail qui rassemblait des parlementaires et des acteurs de la société civile pour la mettre sur l’agenda public. Puis recueillir un avis positif du Conseil d’État et du Conseil économique, social et environnemental sur ma proposition de loi. Finalement, l’Assemblée nationale et le Sénat ont voté ce texte à l’unanimité, ce qui est très rare. Avec ATD Quart-Monde et d’autres associations caritatives – Secours catholique, Emmaüs France, Pacte civique et Fédération des acteurs de la solidarité –, nous avons créé dans la foulée l’association TZCLD que je préside afin de soutenir les initiatives locales qui œuvrent en ce sens et qui concernent actuellement dix territoires.

L’association gestionnaire du Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée que préside Louis Gallois vient de présenter un bilan intermédiaire. Qu’en ressort-il ?

L’expérimentation conduite sur ces dix territoires a réussi à remettre au travail 936 des 1 711 chômeurs de plus d’un an comptabilisés comme volontaires pour entrer dans l’expérimentation, soit 54 % des sans-emploi visés. Mais quand on y regarde de plus près, un tiers de l’objectif a vraiment été atteint : car, sur ces 936 personnes, 286 ont trouvé directement un emploi sans passer par l’une des EBE (Entreprises à but d’emploi) créées pour les accompagner. Il est difficile de dire pour le moment quel est le rôle de l’action du comité local dans cette réussite. Côté recettes, ces EBE touchent du fonds d’expérimentation une subvention de 18 000 euros par personne embauchée. Cette somme correspond aux dépenses publiques et sociales que touchent ces chômeurs longue durée et permet de les rémunérer en tant que salariés. Les EBE génèrent par ailleurs un chiffre d’affaires compris entre 3 000 euros et 7 000 euros par salarié selon les territoires.

Le système est-il rentable ?

Sachant que le coût complet d’un poste dans les EBE – salaires, capital, encadrement – s’établit à environ 26 000 euros, l’équilibre du système repose encore sur les 5 000 euros par salarié versés par le ministère du Travail, les collectivités locales et le mécénat d’entreprise. Cela dit, le faible chiffre d’affaires généré par employé d’EBE s’explique aussi par le fait que ces structures n’ont parfois connu qu’une demi-année d’exercice en 2017 et qu’elles ont développé des activités peu solvables et non concurrentielles dans leur territoire. Il s’agit donc bien d’un bilan intermédiaire et non définitif : d’ici cinq ans, l’expérimentation doit prouver que la somme des aides sociales publiques dédiées aux chômeurs de longue durée, estimée autour de 18 000 euros par an, peut réduire la charge publique. Et quand bien même un déficit subsistera, une personne employée coûtera toujours moins cher à la collectivité qu’un chômeur de longue durée.

Quelles sont les activités de ces entreprises et sur quelles bases sont-elles choisies ?

Leurs activités sont très variées : commerce ambulant, recyclerie, collecte des dépôts sauvages, sécurité aux abords des écoles, désherbage écologique, nettoyage et entretien de la signalisation en campagne, conciergerie pour répondre aux multiples besoins du quotidien, livraison à domicile… Ce sont essentiellement des activités dans les domaines de l’économie circulaire, de la transition écologique, des circuits courts, de l’économie de la réparation. C’est finalement la jonction entre les solidarités, l’écologie et l’économie locale.

Le programme se fonde sur le volontariat. Quelle part de chômeurs de longue durée refuse de s’engager dans ce programme et pour quelles raisons ?

Plus que des refus, ce sont plutôt des personnes qui expriment un manque de confiance dans leurs capacités. Or, personne n’est inemployable. Les accidents de la vie, l’isolement, la précarité sociale font que des personnes ont des difficultés à croire dans un projet aussi sécurisant prenant en compte leurs besoins. Il faut du temps, de l’écoute, de la bienveillance. Ce sont finalement des médiations qu’il faut réinventer dans les territoires pour faire en sorte que les « invisibles » puissent reprendre confiance et s’inscrire dans ce projet commun avec leur propre projet de vie.

Quels sont les écueils que peuvent rencontrer les programmes « Territoire zéro chômeur » ?

Les difficultés qui peuvent être rencontrées résident dans les besoins en management des entreprises, et surtout dans l’équilibre entre la recherche de l’exhaustivité et la montée en puissance du chiffre d’affaires. Il faut du temps pour construire un modèle économique aussi innovant. Aussi, il ne faudrait pas qu’il y ait une marche accélérée vers la dégressivité des 18 000 euros versés par l’État au titre d’une recherche de la performance immédiate. J’avais d’ailleurs inscrit dans l’article 4 de la loi que la dégressivité des 18 000 euros devait prendre en compte le développement économique des EBE. Le risque serait de mettre en difficulté les EBE et de barrer la route aux plus fragiles au nom d’une logique comptable.

Le consensus que suscite cette initiative dans la classe politique et auprès des élus locaux est-il réel ?

Je le crois, car dans tous les territoires nous arrivons à construire des consensus locaux entre les différentes parties prenantes. Ce projet n’est pas clivant. Tous les acteurs des différentes sensibilités souhaitent éradiquer le chômage de longue durée. L’équilibre est justement dans cette recherche de l’exhaustivité, c’est-à-dire s’adresser à toutes les personnes privées durablement d’emploi, et le développement d’un modèle économique durable qui réponde à des besoins non satisfaits. Ce projet rassemble car il appartient d’abord à ceux qui s’en saisissent dans leur territoire. Il ne s’impose pas du « haut ».

Qu’en attendez-vous à terme ?

Il faut tout d’abord réussir dans les dix premiers territoires. Les territoires de Mauléon et de Pipriac sont déjà proches de l’exhaustivité, c’est-à-dire qu’ils emploient 100 % des chômeurs longue durée. Les huit autres territoires continuent sur leur dynamique et proposent chaque mois de nouveaux emplois grâce au développement des activités. Par la suite, j’espère que ce projet pourra s’étendre à de nombreux nouveaux territoires grâce à une seconde loi votée en 2019. Dans cette perspective, il faut une volonté politique. Nous essayons de convaincre le plus grand nombre d’élus. L’extension du projet a été inscrite dans les priorités de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté présentée par le président de la République le 13 septembre dernier. Après cette annonce, le passage à grande échelle se prépare. Dans cette perspective, l’association TZCLD va accompagner au mieux les projets émergents avec la mise en place du Centre de ressources et de développement et le soutien de l’Union européenne. 200 territoires en France ont déjà manifesté de l’intérêt pour les « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Parcours

Diplômé en sciences économiques de l’université de Bourgogne et récemment d’un master en management, organisation et ressources humaines, Laurent Grandguillaume a débuté sa carrière dans la distribution puis le crédit avant de rejoindre l’équipe de François Rebsamen, alors maire de Dijon. Élu député en 2012 sous l’étiquette socialiste, il est sollicité en tant que médiateur par le gouvernement de Jean-Marc Ayrault dans le cadre du confit entre les autoentrepreneurs et les artisans, puis par le gouvernement de Manuel Valls lors du conflit entre taxis et VTC, face aux plateformes numériques, avant de faire voter en 2016 la loi « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Retiré de la vie politique, il est devenu dirigeant d’une PME en plus de ses engagements associatifs, en tant que président de l’association nationale TZCLD.

Auteur

  • Fréderic Brillet