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En finir avec l’engagement

Chroniques | publié le : 08.04.2019 |

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En finir avec l’engagement

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Martin Richer Management & RSE

Ne cédez pas aux sirènes de l’engagement, mantra des DRH modernes. Laissez les entreprises américaines miser sur le Chief Engagement Officer, version « corporate » du Chief Happiness Officer, qui vous a un temps séduit avant de sombrer dans les sables mouvants des modes managériales. Point révélateur, l’engagement fait partie du langage militaire : « engagez-vous », nous enjoignent les généraux qui le jour venu, n’hésiteront pas à « engager » leurs troupes. Et de retour en entreprise, lorsqu’on ne parle pas de l’engagement des salariés, c’est la mobilisation que l’on invoque : encore un terme guerrier qui nous fait entendre le tocsin.

L’injonction à l’engagement est problématique parce qu’elle réduit les personnes à un rapport au travail instrumental en leur demandant une dévotion à l’entreprise, à ses valeurs, sans les exposer à la discussion, à la controverse. Comme le trahissent ses consonances militaires, l’engagement suppose discipline et obéissance en écartant distance critique et libre arbitre. On « contracte » un engagement : c’est irrémédiable et si vous vous « engagez » dans une direction, vos possibilités de faire demi-tour s’amenuisent. En comptabilité, les engagements représentent nos obligations envers des tiers. Le risque des approches RH par l’engagement est d’enfermer les collaborateurs dans un contrat social déséquilibré (attentes réciproques, souvent implicites, entre salariés et entreprise) et de les conduire à un surinvestissement unilatéral.

J’observe d’ailleurs que la plupart des entreprises ne savent pas mesurer l’engagement. Gallup a fait sensation en montrant que les salariés français se distinguent par des taux de désengagement considérables mais un examen de ses batteries de questions montre qu’elles ne mesurent pas l’engagement mais la qualité du management.

C’est tant mieux car c’est en revigorant le management – notamment celui que l’on qualifie d’intermédiaire – que l’on sortira durablement de cette crise de l’engagement, qui interpelle tant de dirigeants. Il faut pour cela inverser la logique de l’engagement : la question n’est pas ce que les salariés doivent faire pour aider l’entreprise, mais ce que l’entreprise doit faire pour leur donner envie de s’impliquer.

L’implication consiste à permettre à chacun de trouver sa place, sa contribution au projet commun qu’est l’entreprise. Plutôt que la logique de l’engagement, qui consiste à tirer sur la tige de la plante pour la faire grandir, l’implication incite l’entreprise à jardiner : construire un environnement capacitant (inspiré des théories d’Amartya Sen), pour que les collaborateurs expriment leur potentiel, développent leur « pouvoir d’agir », prennent des initiatives dans le cadre d’une autonomie élargie. Désignée par l’école américaine de la sociologie et de la GRH par le terme « empowerment » (joliment traduit en « empuissancement » par nos cousins canadiens), cette approche inscrit les collaborateurs dans le triangle magique : Confiance – Autonomie – Responsabilité.

Elle ne nous est pas naturelle, à nous Français, dont la culture managériale est imprégnée de verticalité descendante. Mais la bonne nouvelle, diffusion des technologies et renouvellement générationnel aidant, c’est que nous n’avons plus le choix. Il est temps d’en finir avec l’injonction à l’engagement et de donner sa place à l’empowerment, ou pour utiliser un terme français, à l’intelligence collective. Voici donc mon théorème de la relation au travail : « Tu veux que je m’engage, j’enrage ; tu m’imposes, je m’oppose ; tu m’impliques, je m’applique ».

Pour aller plus loin : http://management-rse.com/2019/03/12/le-grand-renversement-de-lengagement-a-lintelligence-collective/