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Coopération transfrontalière : Le traité d’Aix-la-Chapelle veut doper l’emploi et la formation

Le point sur | publié le : 01.04.2019 | Pascale Braun

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Coopération transfrontalière : Le traité d’Aix-la-Chapelle veut doper l’emploi et la formation

Crédit photo Pascale Braun

Le traité franco – allemand préconise le rapprochement des formations et des diplômes, pose les jalons d’une nouvelle gouvernance et permet d’expérimenter des zones économiques binationales. Dans le Grand Est, les acteurs de la coopération transfrontalière accueillent cette évolution avec optimisme. Et perplexité.

Non, le traité d’Aix-la-Chapelle ne livrera pas l’Alsace-Lorraine à l’Allemagne ! Cette réactualisation du traité de l’Élysée, qui entre en application au 1er avril, entérine simplement une volonté accrue de coopération franco-allemande, notamment en matière de formation et d’intégration économique. Résolument vague pour ne pas cantonner les initiatives dans des domaines trop ciblés, le traité donne lieu à des interprétations divergentes. Son contenu se garde d’écorner la souveraineté des deux États, mais ouvre la voie à une coopération renforcée dans les zones frontalières du Grand Est. Dans des espaces bien déterminés, le traité d’Aix-la-Chapelle esquisse un nouveau modèle de zones économiques intégrées dotées d’une gouvernance particulière. Inscrit dans la continuité du projet de règlement du Parlement européen du 29 mai 2018, qui propose de créer un mécanisme de levée des obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier, il concerne potentiellement 150 millions d’Européens vivant aujourd’hui à moins de 100 kilomètres d’une frontière.

Aux bordures du Grand Est, les acteurs de la coopération transfrontalière voient dans le nouveau traité un signal bienvenu après des années de stagnation. Outre la promotion du bilinguisme, les deux États s’engagent à « des actions en faveur de la reconnaissance des diplômes et à la mise en place d’outils d’excellence franco-allemands pour la recherche, la formation et l’enseignement professionnel, ainsi que de doubles programmes franco-allemands intégrés relevant de l’enseignement supérieur ». Cette perspective intéresse au plus haut point l’Isfatès (Institut supérieur franco-allemand de techniques, d’économie et de sciences) basé à Metz, qui a formé 3 000 diplômés en quarante ans dans le cadre d’un cursus franco-allemand ouvert à l’international.

Enseignement supérieur et alternance

L’établissement se heurte actuellement à un verrou juridique qui empêche les élèves ingénieurs français d’effectuer une formation en alternance en Allemagne, alors même que la possibilité de stages en France est ouverte aux étudiants allemands. « L’ouverture de l’alternance au niveau de l’enseignement supérieur constituerait un atout non seulement pour les élèves ingénieurs, mais aussi pour les adultes germanophones souhaitant relancer leur carrière. La coopération industrielle franco-allemande constitue une opportunité extraordinaire, car l’industrie a besoin de ressources », estime Gabriel Michel, directeur de l’Isfatès.

L’école s’est associée au projet Interreg Bridge, piloté par la Hochschule für Technik und Wirtschaft (HTW) de Sarre, qui vise à étendre à l’ensemble de la Grande Région, qui regroupe la Sarre, la Lorraine, le Luxembourg, la Rhénanie-Palatinat et la Wallonie, un dispositif d’alternance transfrontalier n’existant jusqu’à présent qu’entre l’Alsace et le Land voisin du Bade-Wurtemberg. Treize partenaires universitaires et institutionnels ont coopéré indépendamment de l’élaboration du traité d’Aix-la-Chapelle pour déposer en avril ce projet sur lequel les fonds européens statueront en septembre prochain.

« Cette coïncidence tombe à pic, puisque les projets Interreg doivent justifier de leur cohérence avec les politiques nationales », souligne Thomas Bousonville, directeur de la HTW.

Une volonté bilatérale

Le rapprochement aux frontières passe aussi par l’élimination des obstacles qui empoisonnent au quotidien la vie des frontaliers – et notamment des quelque 50 000 Lorrains et Alsaciens travaillant en Allemagne. Des barrières se sont ainsi reconstituées à travers les autorisations d’exercer, les normes, les polices d’assurance ou même la téléphonie. Le traité d’Aix-la-Chapelle a le mérite de prendre en compte ces mille petits obstacles et de créer des instances susceptibles d’y remédier.

« Pour la première fois depuis longtemps, nous constatons une volonté de rapprochement à la fois bilatérale et transfrontalière. Cette synchronisation permet de concrétiser sur des territoires donnés des projets franco-allemands qui pourront être transposés sur d’autres frontières européennes », explique Christophe Arend, député LRM de la circonscription de Forbach, initiateur de la toute jeune Assemblée nationale franco-allemande et membre actif de l’élaboration du traité d’Aix-la-Chapelle.Pour l’heure, il n’est pas question de modifier les lois : le traité précise explicitement que « les deux États demeurent attachés à la préservation de normes strictes dans les domaines du droit du travail, de la protection sociale, de la santé, de la sécurité et de la protection de l’environnement ». Mais il crée un comité de coopération transfrontalière qui déterminera les projets prioritaires, analysera les difficultés rencontrées et émettra des propositions afin d’y remédier. « Cette instance permettra de se concerter à plusieurs et de créer une relation plus constante.

Nous nous réjouissons de voir apparaître un nouvel outil, même si nous ne connaissons pas encore son fonctionnement, puisque personne ne l’a encore utilisé », analyse Céline Laforsch, juriste à la Task Force transfrontalière, une institution spécifiquement dédiée au droit des travailleurs frontaliers.

Droits nationaux

Aux termes du traité d’Aix-la-Chapelle, les collectivités locales et les eurodistricts des territoires frontaliers, qui siégeront aux comités de coopération, seront dotés « de compétences appropriées, de ressources dédiées et de procédures accélérées pour faciliter la réalisation des projets transfrontaliers ». Là encore, l’optimisme le dispute à la perplexité. « Le traité pourrait faciliter beaucoup de choses, notamment en matière de mobilité, de transports et de reconnaissance des diplômes. Reste à savoir ce que les acteurs de la coopération en feront. Il leur reviendra de réclamer des transformations », estime Isabelle Prianon, directrice de l’Eurodistrict SaarMoselle. L’organisme, qui s’implique entre autres dans la construction d’une crèche transfrontalière, essuie les plâtres d’une législation particulièrement complexe en matière d’accueil de la petite enfance – car les qualifications des aides maternelles françaises ne sont pas suffisantes pour pouvoir exercer en Sarre.

Les « zones économiques franco-allemandes dotées de règles communes » inscrites à l’article 20 du traité résoudront-elles ce type de casse-tête ? Pour l’heure, ce sont bien les droits français ou allemands qui s’y appliqueront, à moins que les partenaires ne parviennent à instaurer des dérogations ponctuelles sur des projets précis. La perspective n’inquiète pas outre mesure Dominique Toussaint, secrétaire général Grand Est de la CFDT – elle-même membre de la plateforme syndicale de la Grande Région. « Compte tenu des différences de législation entre les deux pays, nous sommes plutôt favorables à un droit cousu-main – à condition que les partenaires sociaux aient toute leur place dans ces expérimentations », prévient le syndicaliste. La CGT Grand Est, adhérente de cette même plateforme, se montre plus circonspecte : « Si le droit social allemand peut s’appliquer à Fessenheim, il pourra en être de même du droit luxembourgeois pour des projets situés en Lorraine. Le traité d’Aix-la-Chapelle pourrait fournir l’occasion de renégocier un socle social européen, mais la conjoncture actuelle laisse craindre que l’on s’accorde surtout sur le moins-disant », estime Denis Schnabel, secrétaire régional de la CGT. Le Territoire d’avenir esquissé à Fessenheim (lire p. 14) ne lèvera sans doute pas toutes ces incertitudes. Mais il donnera à l’ensemble des partenaires une première expérience… en matière d’expérimentation.

Le Luxembourg devra indemniser les chômeurs frontaliers

L’accord informel trouvé par le Parlement européen fin mars pour indemniser les chômeurs frontaliers n’est pas du goût du Grand-Duché, qui emploie 200 000 « navetteurs » lorrains, allemands et belges, soit 45 % de sa main-d’œuvre. L’accord qui entrera en vigueur en 2021 impose au dernier État employeur de verser au frontalier privé d’emploi ses indemnités de chômage, « lorsque ce dernier a effectué une période de travail ininterrompue d’au moins six mois pour une période supérieure à six mois ». Le Luxembourg, qui indemnise aujourd’hui moins de 16 000 de ses ressortissants inscrits à l’Adem (équivalent grand-ducal de Pôle emploi), risque de voir le nombre d’allocataires doubler. Le seul Grand Est compte aujourd’hui 15 000 demandeurs d’emploi frontaliers. Au terme de six mois de bras de fer, l’État luxembourgeois a obtenu du Parlement européen un délai de cinq ans qui lui laisse jusqu’à 2026 pour se mettre en règle. P. B.

Auteur

  • Pascale Braun