Alors que le 1er avril, date butoir de la réforme des Fongecif, approche, de nombreuses questions subsistent sur l’avenir et les moyens de ces structures qui vont prendre en charge la reconversion professionnelle des salariés.
Sandrine D. est chanceuse. En déposant son dossier de demande de prise en charge pour un congé de bilan de compétences financé par son CPF de transition (ex-CIF) au Fongecif Grand Est à la mi-mars, cette employée de banque nancéienne en quête d’une nouvelle carrière a choisi le bon timing pour financer son projet. Quelques jours plus tôt, les partenaires sociaux qui administrent ce Fongecif se réunissaient en urgence pour acter la naissance de leur Commission paritaire interprofessionnelle régionale (CPIR) et débloquaient au passage une enveloppe de 302 000 euros censée absorber les demandes en attente faute de financement, mettant ainsi fin à une période de transition de plus de deux mois. Mais la même situation aurait pu se produire dans n’importe quelle autre région. « 3 000 dossiers de CPF de transition ont été déposés entre janvier et février 2019 et dormaient dans nos cartons », rappelle Antoine Voisin, délégué syndical CGT au Fongecif Île-de-France, « il a fallu attendre la première CPIR de mars pour examiner une première fournée de 162 dossiers… et en valider 75. Le retard pris est énorme ! » L’année précédente, à la même époque, 1 200 demandes semblables avaient été agréées par le Fongecif francilien.
La raison de ce hiatus ? La loi « Avenir professionnel » du 5 septembre 2018 qui chamboule l’écosystème du congé individuel de formation, remplaçant le CIF par le CPF de transition (rebaptisé « projet de transition professionnelle ») et les Fongecif par les CPIR (dont les prestations s’effectueront sous le label « Associations Transitions Pro » ou ATP). La mise en place des nouvelles règles du jeu a demandé du temps. Celui de la parution des décrets d’application de la loi, de l’installation de France Compétences (l’agence quadripartite recevant et ventilant les fonds de la formation professionnelle) et de la négociation expresse d’un ANI créant officiellement les CPIR. Cet accord, conclu le 15 mars, est encore ouvert à la signature des partenaires sociaux à l’heure où ces lignes sont écrites. Pas de temps à perdre : les 17 Commissions remplaçant autant de Fongecif doivent toutes être opérationnelles d’ici au 1er avril. Un tour de force ? « Malgré le timing imposé par la réforme, on peut saluer la rapidité avec laquelle les partenaires sociaux, les directions et les équipes des Fongecif ont fait en sorte que la transition soit la plus courte possible », observe-t-on dans les rangs patronaux.
Mais ce bouleversement des structures et des missions inquiète les quelque 900 salariés des ex-Fongecif. Car avec le changement de périmètre, les nouvelles CPIR (ou ATP) risquent de perdre une partie de leurs responsabilités. Sur le CEP (conseil en évolution professionnelle), notamment, cette compétence devant être transférée le 1er janvier prochain à des opérateurs privés sélectionnés sur appel d’offres lancé par France Compétences. Or, parmi les cinq opérateurs nationaux choisis par la précédente réforme de 2014 pour proposer ce service (Fongecif et Opacif, Pôle emploi, Apec, Missions locales et Cap emploi), les Fongecif étaient sans doute ceux qui s’étaient le mieux adaptés à cette nouvelle mission. Parmi eux, certains s’étaient même fait certifier selon la norme Afnor CEP pour garantir la qualité de ce conseil. « Trois années d’investissement ont été nécessaires pour coller aux exigences de la réforme de 2014. Nos salariés ont donné énormément en termes de montée en compétences sur le CEP. Le perdre entraîne un sentiment de gâchis », regrette Christine Vo Van, directrice du Fongecif occitan et chargée de la transformation RH au sein du réseau des CPIR. Un gâchis qui pourrait aussi avoir des conséquences drastiques sur l’emploi. Sans CEP à dispenser, les conseillers en évolution professionnelle ne parient pas lourd sur leur propre avenir professionnel… « Les directions le nient, mais certaines ont déjà provisionné les futurs PSE », croit savoir une source syndicale. Évoquer le sujet gêne manifestement les administrateurs des Fongecif, notamment ceux issus des organisations syndicales car ce transfert au privé est la conséquence de l’ANI du 22 février 2017 que trois d’entre elles ont signé. Michel Beaugas, secrétaire confédéral emploi-formation chez FO (non-signataire), déplore la casse sociale annoncée faute d’alternative : « Nous avions imaginé pouvoir créer des associations paritaires extérieures aux CPIR, reprenant les personnels des Fongecif mobilisés sur le CEP et capables de répondre aux appels d’offres. Mais le patronat nous a signifié que cela entraînerait une concurrence déloyale avec le marché privé », souligne-t-il.
Autre problématique induite par la réforme : les 507 millions d’euros dont France Compétences a doté les CPIR pour 2019 ne correspondent qu’à environ la moitié des ressources de l’ancien CIF, assis sur une contribution des entreprises égale à 0,2 % de leur masse salariale. « On reprochait au CIF de ne former que 40 000 salariés par an, mais devra-t-on réduire ce chiffre de moitié demain ? Acheter des formations plus courtes ? Ne plus prendre les salaires en charge ? », s’interroge Michel Beaugas. D’autres se veulent optimistes : « Cette division par deux des sommes dédiées au CPF de transition n’est que la fourchette basse des dotations de France Compétence sans oublier que selon les nouvelles règles, 5 % à 10 % du reliquat des sommes inutilisées versées à Pôle emploi pourraient se voir réaffecter au CPF », assure un connaisseur du dossier. Autre argument : les CPIR pourront demain définir des priorités en matière de recevabilité des dossiers (favoriser l’embauche par les PME, individualiser les parcours de formation, flécher provisoirement les métiers en tension…) et faire ainsi davantage de sur-mesure, même sur un volume de salariés plus restreint. « Il y aura des choses très qualitatives à réaliser avec ce nouveau CPF de transition », explique un professionnel du secteur. Reste une inconnue persistante : demain, les Fongecif géreront également les reconversions professionnelles des démissionnaires indemnisés selon les modalités d’un décret encore en cours d’écriture. De quoi ressusciter la crainte déjà exprimée par les organisations de salariés durant la négociation de 2016-2017 : celle de voir le CPF de transition ne bénéficier qu’à ceux qui auront préalablement démissionné en vue de leur reconversion… La question reste en suspens.