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Le grand entretien

« On peut faire rire sur tout en entreprise… tant que c’est utile »

Le grand entretien | publié le : 25.03.2019 | Frédéric Brillet

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« On peut faire rire sur tout en entreprise… tant que c’est utile »

Crédit photo Frédéric Brillet

Serge Grudzinski a créé une approche originale de conseil en communication, management et ressources humaines par le rire. Il la met au service des problématiques de changement, de perfectionnement du leadership, de team building et de motivation des équipes depuis presque un quart de siècle. Ses interventions s’effectuent dans des sociétés faisant face à toute sorte de situations : « révolution culturelle », développement accéléré, fusion, restructuration, crise de croissance, baisse de moral…

Pourquoi associer dans le titre de votre livre Laugh to Lead deux verbes, rire et diriger, qui semblent antinomiques puisque l’autorité, le management relèvent du registre sérieux ?

Mon parcours professionnel et mon aventure artistique se sont mêlés grâce à des dirigeants et des managers dont l’ouverture à l’innovation et l’audace tenaient clairement du « leader ». En contrepartie, l’approche que j’ai découverte, en faisant vivre à leurs collaborateurs des moments exceptionnels de communication, de cohésion et d’enthousiasme par le rire, a renforcé leur leadership. Plus j’ai fait rire les équipes, plus j’ai découvert la puissance bénéfique insoupçonnée que le rire peut avoir sur les êtres humains, et plus j’ai aidé l’entreprise à progresser.

Comment avez-vous découvert votre vocation ?

Il y a plus de vingt ans, je travaillais comme consultant en stratégie dans de prestigieux cabinets issus du Boston Consulting Group après être passé par Polytechnique et Stanford. J’avais fait des études sérieuses et un début de carrière prometteur mais, pour moi, l’essentiel des rapports humains devait être empreint du bonheur que procure le rire partagé et j’ai voulu en faire mon métier. Basile de Koch, passionné de politique et d’humour, m’a accueilli dans le groupe d’auteurs humoristes Jalons, puis j’ai participé au Festival du rire de Bobino de Philippe Bouvard. La décision n’était pas évidente dans la mesure où je ne savais pas comment j’allais faire vivre ma famille dans cette tentative artistique alors qu’il était si simple de continuer dans la voie de l’entreprise.

Comment avez-vous négocié ce virage professionnel ?

Pour m’assurer des revenus plus stables, j’ai suivi les conseils de mon entourage et ai monté une activité de communication par l’humour. Au début des années 90, l’ambiance n’était pas à la rigolade dans les sociétés : on parlait beaucoup de cash-flow, à peine de motivation et pas du tout de bien-être, le chômage remontait. Mais certaines sociétés faisaient tout de même des conventions car il fallait bien continuer à communiquer et motiver en interne. Une agence événementielle me proposa d’intervenir dans une convention McDonald’s dont le thème central était « la satisfaction-client ». J’écrivis cinq sketches que je jouai devant quatre cents responsables de restaurant. L’audience fit un accueil vibrant à ce spectacle qui contribuait selon la direction à la « gestion motivationnelle des équipes ». Ainsi s’est confirmée l’idée de mettre l’humour au service de la communication interne des entreprises et des ressources humaines.

Deux décennies et quelque 1 300 interventions en entreprise plus tard, Humour Consulting Group est toujours là. Qu’est-ce que vous apportez à vos clients ?

Humour Consulting Group n’a pas d’impact directement quantifiable sur la bottom line mais une influence déterminante sur la dynamique de l’entreprise et donc sur son résultat. Nos interventions, appelées présentations humoristiques de management, privilégient l’évaluation ou l’audit de la dynamique humaine d’une unité par des entretiens bien répartis. Nous fournissons un rapport détaillé au client, partageons avec celui-ci le retour du terrain et peaufinons des messages du management. Vient ensuite la phase d’écriture, de mise en scène et de présentation lors du séminaire ou de la convention, qui devient rapidement un spectacle. Au fil de mes présentations, j’ai pu constater combien le rire facilitait la prise de conscience, la reprise du dialogue, la libération du non-dit, la cohésion des équipes et agissait comme une purge psychologique.

Peut-on rire de tout en entreprise ?

Oui, on peut faire rire sur tout, toutes les difficultés et tous les problèmes : les métiers, les questions stratégiques, organisationnelles, de ressources humaines, de relation-client, de technologie, les problèmes opérationnels, fonctionnels, humains. C’est une question d’objectif, de sensibilité et de talent. En effet, dès qu’il y a un problème, il y a une manière d’en extraire la drôlerie. Mais il faut savoir manier l’humour pour ne pas blesser ou diviser les salariés, car nous intervenons souvent dans des contextes délicats. Des entreprises font appel à nos services à l’occasion de transformations, de fusions, de démotivations, de manque de cohésion des équipes dirigeantes, toutes les situations problématiques de l’entreprise.

Vous insistez sur la notion des « murs psychologiques » qui enferment les collaborateurs et les amènent à refuser le changement…

La vie de l’entreprise, le changement isolent petit à petit les gens derrière des murs d’émotions négatives : incompréhensions, malaises, conflits. Pour détruire ces murs, il y a plusieurs solutions. On peut les éroder progressivement, ce qui requiert de parler de la manière la plus convaincante possible. Mais cette méthode n’est pas très efficace car les salariés en difficulté peinent à écouter. L’émotion « explosive » de ce que j’appelle le Grand Rire permet de gagner du temps. En effet, l’être humain est ainsi fait que voir des dysfonctionnements, à commencer par les siens, restitués de manière comique sans qu’il y soit impliqué personnellement le rend réceptif : il regarde ces dysfonctionnements avec du recul et cela le fait rire alors qu’il s’énerve ou en souffre quand il en est acteur. Cette « prise de recul » est bénéfique car elle déclenche une « prise de conscience ».

Quel peut être l’impact d’une intervention ?

Les moments de Grand Rire provoquent des ruptures dans la vie professionnelle des gens. Le rire agit alors comme un « shaker ». Il secoue l’être humain à l’extérieur… et à l’intérieur et détruit les murs psychologiques qui font obstacle au changement. Pour que les spectateurs atteignent ce niveau d’émotion, il faut qu’ils aient été remués par ce rire très puissant pendant un temps certain – une demi-heure, une heure, une heure et demie… On n’atteint pas ce niveau d’émotion en cinq minutes.

Encore faut-il pour que la méthode fonctionne que ce Grand Rire fasse l’unanimité…

Le miroir du Grand Rire est d’autant mieux accepté qu’il ne révèle pas les « torts » des protagonistes, mais leurs logiques différentes. Les gens agissent rarement « mal » de manière délibérée. S’ils viennent à créer un dysfonctionnement ou un conflit, c’est parce que leur logique, celle de leur métier ou de leur culture d’entreprise, se heurte aux logiques des autres. Face à un miroir totalement impartial et soigneusement équilibré, tout le monde se rend compte que les ressentiments sont partagés et que les travers se trouvent de tous les côtés. Il ne faut surtout pas qu’un camp s’estime humilié. À la sortie, tous les collaborateurs de l’entreprise, quel que soit leur métier, du haut en bas de la hiérarchie, doivent se dire : « Tout le monde en a pris pour son grade. »

Parcours

Diplômé de l’École polytechnique et de Stanford University, Serge Grudzinski a d’abord été ingénieur dans l’industrie puis consultant en management (Mars & co, Booz Allen Hamilton et A.T. Kearney). En 1993, après être devenu parallèlement un artiste comique (Festival du rire de Bobino avec Philippe Bouvard, plusieurs one-man-shows au théâtre de Dix-Heures), il décide d’introduire l’humour dans le conseil aux entreprises et fonde Humour Consulting Group. Il a publié en 2019 Laugh to lead, sous-titré Quand le rire débloque, soigne, rassemble et motive les entreprises (Iggybook).

Auteur

  • Frédéric Brillet