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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Chroniques | publié le : 18.03.2019 | Denis Monneuse

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Denis Monneuse : Du côté de la recherche

Crédit photo Denis Monneuse

Discriminer pour la bonne cause ?

De nombreuses études montrent qu’il existe encore aujourd’hui diverses formes de discrimination au travail. Par exemple, des enquêtes fondées sur la méthode du testing mettent en avant que perdurent des écarts significatifs de chance d’être convoqué à un entretien d’embauche suivant son sexe, son âge, sa couleur de peau, son apparence physique, son handicap, etc. En effet, quand des chercheurs envoient deux CV fictifs pour répondre à une offre d’emploi en changeant un seul élément (le sexe, l’âge, le lieu de résidence…), ils n’obtiennent pas le même retour de la part des employeurs pour ces deux CV pourtant si semblables.

Pourquoi les discriminations au travail, en particulier lors du processus de recrutement, perdurent-elles depuis si longtemps ? De nombreuses explications ont été mises en avant. D’un côté, les recruteurs peuvent discriminer volontairement en raison de leurs préjugés ou opinions ; de l’autre, ils peuvent se laisser abuser par des biais inconscients qui les poussent à préférer tel candidat par rapport à tel autre sans réaliser ce qui préside à leur préférence. Il peut aussi arriver que les recruteurs discriminent au nom d’un tiers. Les clients ont souvent bon dos. En effet, des entreprises expliquent à demi-mot que, si elles ne recrutent pas certaines catégories de personnes pour des métiers en contact direct avec la clientèle, c’est parce qu’elles feraient fuir les clients qui ont des préjugés contre ces catégories. Par exemple : je ne recrute pas de salariés noirs car une partie de ma clientèle ne voudrait pas être servie par un Noir.

Andrea Vial, Victoria Brescoll et John Dovidio, chercheurs à l’université de New York pour la première et à l’université de Yale pour les seconds, ont voulu vérifier l’ampleur de cet « effet préjugé d’un tiers »(1). Pour cela, ils ont testé à travers une série de sept études si des recruteurs pouvaient adopter des pratiques de recrutement discriminantes envers les femmes s’ils savent que leur PDG a des préjugés négatifs à l’encontre de celles-ci. L’opinion de leur patron constitue-t-elle une raison suffisante pour discriminer ?

Il semble que oui. Les résultats, publiés récemment dans la revue Journal of personality and social psychology, confirment l’existence de cet effet : les recruteurs ont tendance à prendre en compte les préjugés de leur PDG puisqu’ils tendent alors à moins recruter de femmes, en dépit du sentiment de culpabilité qu’ils peuvent ressentir. De plus, cet effet fonctionne quelles que soient les croyances personnelles des recruteurs ou bien leurs souhaits de bien s’entendre avec leur patron. Deux mécanismes les poussent à agir ainsi : éviter les problèmes de fonctionnement ainsi que les conflits relationnels. Curieusement, cet effet fut observé aussi bien pour des femmes que des hommes en situation de recrutement.

Ces dernières années, de nombreuses entreprises ont mis en place des formations pour aider les recruteurs à prendre conscience de leurs biais inconscients pour ainsi mieux s’en défaire. Mais c’est aussi aux mentalités des dirigeants qu’il faudrait s’attaquer pour lutter contre les discriminations au travail.

(1) Vial, A. C., Brescoll, V. L., & Dovidio, J. F. (2018). Third-party prejudice accommodation increases gender discrimination. Journal of personality and social psychology.

Auteur

  • Denis Monneuse