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Aidants : Le don de jours de repos ne va pas encore de soi

Le point sur | publié le : 11.03.2019 | Lucie Tanneau

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Aidants : Le don de jours de repos ne va pas encore de soi

Crédit photo Lucie Tanneau

Autorisé dans le cadre de la loi Mathys en 2014, le don de jours de repos entre collègues a été élargi il y a tout juste un an aux proches aidants. Si les grandes entreprises semblent s’être saisies du dispositif, il est difficile de mesurer son ampleur réelle.

Onze à treize millions de Français seraient des aidants : c’est-à-dire qu’ils accompagnent au quotidien leur mère de plus en plus dépendante pour l’assister dans ses rendez-vous médicaux ou lors de la préparation des repas (voire pour la douche et pour le coucher), qu’ils restent auprès de leur enfant, gravement malade ou handicapé, le temps de ses soins ou pendant l’intégralité de la journée, qu’ils conduisent un parent à ses séances de soins à l’hôpital… Parmi eux, 15 % sont aussi des salariés. Soit plus de deux millions de Français qui jonglent entre un travail et des heures de voiture jusqu’à l’hôpital ou la demeure du proche malade. Qui assument psychologiquement la charge (voire la culpabilité) de gérer les deux de front. Le tout dans des journées de 24 heures. Pour les aider à faire face, et à la suite de l’histoire de Mathys, un garçon de 10 ans atteint d’un cancer du foie, la loi autorise le don de jours de repos entre collègues. À l’origine, ce sont les collègues du papa de Mathys, qui lui avaient donné 170 jours de RTT pour veiller sur son fils pendant sa chimiothérapie.

La loi Mathys date de 2014, elle encadre ce don de jours aux parents d’enfants gravement malades. Il y a un an, le 18 février 2018, elle a été étendue aux aidants de personnes dépendantes (loi n° 2018-84). Une avancée nécessaire, selon Olivier Morice, président de la Journée des aidants (lire l’interview page 15). « Le chiffre des aidants ne cesse d’évoluer, parce que la population vieillit et qu’on recense de plus en plus de maladies chroniques et de cas de pathologies neurodégénératives », rappelle-t-il.

Tout jour de repos peut être légué (RTT, congés payés, jours de récupération), mais le don de jours de congés payés a été limité à ceux qui dépassent les 24 premiers jours ouvrables (soit la cinquième semaine, ou les jours supplémentaires). Il est anonyme, gratuit, et sans contrepartie. C’est au salarié de se faire connaître de son employeur.

Un statut peu connu

En pratique, les entreprises qui se sont saisies de cette opportunité ont mis en place des plateformes de don ou fait entrer le dispositif sur les logiciels de gestion du temps. Le bénéficiaire doit, de son côté, prouver par un certificat médical la gravité du mal dont souffre la personne aidée, et fournir un document qui prouve « qu’une présence soutenue et des soins contraignants sont indispensables ». Selon le texte, tout salarié s’occupant d’un proche (conjoint, ascendant, descendant, enfant, collatéral jusqu’au quatrième degré, etc.) atteint d’une perte d’autonomie d’une particulière gravité ou présentant un handicap pourra prétendre au dispositif de don de jours de repos.

Comme pour le congé de proche aidant, les degrés de handicap et de perte d’autonomie font partie des critères d’éligibilité. « Le salarié qui bénéficie du don de jours de repos conserve sa rémunération pendant son absence », prévoit la loi.

Alors que, selon les associations, le statut d’aidant reste mal connu en France, il est difficile de savoir si la possibilité offerte par la loi est vraiment utilisée en entreprise. Moins de 39 % des intéressés connaîtraient le dispositif, et seules 12 % des personnes y auraient recours, selon une étude Malakoff Médéric. Certaines entreprises, comme Danone ou L’Oréal, avaient déjà imaginé des dispositifs avant la loi. D’autres ont créé des fonds depuis. Chez Invivo, par exemple, un accord existe depuis novembre 2015. Dès juillet 2016, un collaborateur en a bénéficié afin d’être présent aux côtés de son enfant en état de paralysie temporaire. Depuis, 202 collaborateurs de tous les métiers du groupe ont donné 267 jours de repos. Un total abondé par l’entreprise à hauteur de 10 %, soit 27 jours.

Au total, les dons ont donc atteint 294 jours. Par la suite, trois collaborateurs en ont également bénéficié : un parent d’enfant polyhandicapé devant subir une intervention chirurgicale, puis le parent d’une enfant atteinte d’une leucémie et une collaboratrice pour l’aide de ses deux parents atteints de cancer. « On relancera des campagnes de souscription si besoin », réagit Sébastien Graff, le DRH. Si, dans les grands groupes, la mesure semble se démocratiser, impossible de connaître son utilisation dans les PME et dans les TPE. Les ministères ne peuvent fournir aucun chiffre, et la confidentialité des dons empêche la tenue de statistiques fiables.

Il n’empêche, le décret publié le 9 octobre au Journal officiel étend encore aux militaires et aux agents civils des armées le bénéfice du dispositif prévu par une loi du 13 février 2018. Les agents publics peuvent également en bénéficier depuis octobre. Une marque de la prise de conscience par les employeurs du besoin d’accompagnement des aidants. Il existe d’autres mesures de cette nature, comme le congé de solidarité familiale, auprès d’un proche dont le pronostic vital est engagé, le congé de présence parentale pour un enfant gravement malade, handicapé ou accidenté et, depuis le 1er janvier 2017, également le congé de proche aidant pour accompagner une personne handicapée ou en perte d’autonomie. Avec un souci : la loi ne prévoit pas de maintien de rémunération pour les salariés.

Si certaines entreprises y remédient, une solution devra sans doute être trouvée pour les deux millions de salariés qui se retrouvent sans ressources. « Il serait préférable d’indemniser le congé de proche aidant », avait ainsi réagi Bénédicte Kail, la conseillère nationale éducation-familles d’APF France handicap lors de l’élargissement de la loi Mathys aux proches aidants. « C’est de solidarité nationale dont les aidants ont besoin, pas de charité ! »

Auteur

  • Lucie Tanneau