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Le grand entretien

« L’approche traditionnelle de la SST repose sur un modèle bureaucratique »

Le grand entretien | publié le : 11.03.2019 | Frédéric Brillet

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« L’approche traditionnelle de la SST repose sur un modèle bureaucratique »

Crédit photo Frédéric Brillet

Toutes les entreprises affirment faire leur priorité de la prévention des risques professionnels. Toutefois, nos modèles bureaucratiques dissuadent les salariés et les organisations de se mobiliser sur les sujets de santé et de sécurité au travail (SST), affirme Mikael Mourey dans son essai « Révolutionner la santé et la sécurité au travail », publié chez Diateino. S’appuyant sur des exemples d’organisations novatrices, il propose des pistes pour remettre l’agilité et l’intelligence collective au cœur des processus.

Votre ouvrage s’ouvre sur un constat. Malgré le renforcement des systèmes de management de la HSE (Hygiène Santé Sécurité Environnement), les taux d’accidents graves au travail ne baissent plus, depuis une vingtaine d’années, dans les pays développés comme la France. Comment s’explique ce paradoxe ? Le management traditionnel de la santé et sécurité au travail a-t-il perdu en efficacité ?

Le monde professionnel a connu des transformations sans précédent durant les trente dernières années. Les entreprises contemporaines évoluent dans un écosystème beaucoup plus complexe que celui de l’ère post-révolution industrielle, mais notre approche de la santé et de la sécurité, elle, repose toujours sur les mêmes dogmes : « l’adaptation est une menace ; les comportements non conformes sont la cause principale des accidents ; pour plus de sécurité, il faut tout prévoir, ne prendre aucun risque… ». Nous avons donc répondu à la complexité grandissante de nos organisations par toujours plus de complexité, plus de règles, plus de procédures, au point d’obtenir des systèmes illisibles, contraignants, et surtout inefficaces sur le long terme. Cette approche traditionnelle de la sécurité et santé au travail repose sur un modèle bureaucratique, très « Command and Control », qui consiste à définir les bons comportements et à veiller à ce que nos collaborateurs adoptent les pratiques dites « conformes », soit par la contrainte, soit avec des incitations : la carotte et le bâton.

Vous critiquez notamment l’abus de reporting et d’indicateurs de performance…

Oui, je pense que peu d’organisations estiment correctement le temps, l’énergie et l’argent consacrés au tableau de bord HSE présenté en comité exécutif. En réalité, l’expérience a prouvé que la grande majorité des indicateurs coûtent une fortune aux entreprises et qu’ils ne donnent aucune information sur la pertinence ou sur l’efficacité de nos actions en matière de sécurité et santé au travail (SST).

Et en y regardant de plus près, il n’est pas rare que les chiffres soient faux, victimes d’approximations, de manipulations, voire de dissimulations, pour atteindre des objectifs qui n’ont pas toujours de sens.

Vous égratignez également les entreprises qui prétendent faire de la HSE la priorité numéro un. Pourquoi est-ce peu crédible ?

Lorsque vous allez skier, quelle est votre priorité ? Prendre du plaisir, manger une tartiflette en haut des pistes, faire une activité physique, partager un bon moment en famille ?

À chacun sa réponse, mais personne ne répondra « ne pas me blesser », parce que la meilleure façon de ne pas se blesser, c’est de ne pas skier ! Évidemment, pour prendre du plaisir au ski, il est important de ne pas vous casser une jambe. Dans l’entreprise c’est exactement la même chose. Derrière une question sémantique, c’est la sincérité des dirigeants qui est en jeu. Et la sincérité des dirigeants, c’est probablement la première étape pour faire de la SST une valeur de l’entreprise.

Quelles sont les conséquences sociales et économiques de cette approche HSE traditionnelle ?

Dans les entreprises qui ont une approche traditionnelle, on a oublié qui sont les clients d’un système de management de la SST. Au lieu d’apporter des solutions aux opérationnels pour travailler efficacement et de façon sûre, les systèmes de management sont principalement construits pour limiter les responsabilités : « Qu’importe s’il y a des accidents, tant que je n’en suis pas tenu responsable. » La peur d’engager sa responsabilité rend certains raisonnements absurdes dans l’entreprise.

Pour se couvrir, on préférera écrire une procédure de 100 pages que personne ne lira, plutôt que d’adopter une approche de montée en compétence des collaborateurs, en vue de favoriser leur autonomie. Les conséquences sont catastrophiques : entre lourdeurs administratives, perte de sens, désengagement et discrédit porté à l’HSE, l’organisation perd sur tous les tableaux !

Vous prônez à l’inverse une approche HSE novatrice. En quoi consiste-t-elle ?

Alors que l’approche traditionnelle voit l’homme comme un problème, une variable à contrôler, l’approche novatrice l’envisage comme la solution : celui qui permet aux opérations d’être menées en sécurité, dans un monde non prévisible et en perpétuelle évolution. Sans livrer toutes les réponses abordées dans le livre, nous pouvons dire que les entreprises qui ont adopté cette approche ont su révolutionner cinq éléments clés : la culture d’entreprise, l’engagement et la motivation autour de la HSE, les compétences individuelles, la maîtrise des risques, le reporting.

Qu’est-ce qui constitue une bonne procédure ou un bon indicateur, dans cette approche ?

Plusieurs critères me semblent indispensables, mais si je devais en nommer un seul, je dirais qu’une bonne procédure ou un bon indicateur est celle ou celui qui répond directement ou indirectement aux besoins des travailleurs, pas à ceux qui les écrivent ou qui les imaginent dans un bureau !

Quels exemples de bonnes pratiques avez-vous identifiés ?

La plupart des entreprises novatrices ont commencé leur révolution par un choc de simplification. Si vous voulez faire de la SST une valeur partagée, il faut commencer par rendre la discipline simple, compréhensible, pertinente et pragmatique. Continuez à remplir des pages et des pages de procédures avec votre jargon d’expert, et vous n’obtiendrez que des gens qui lèvent les yeux au ciel quand vous leur parlerez de sécurité. Ainsi, un leader du BTP étudié dans le livre a-t-il obtenu des performances admirables en matière de HSE ; pourtant, le manuel décrivant son système de management de la SST ne compte que six pages. Traite-t-il tous les sujets de façon exhaustive ? Certainement pas. Mais tout le monde dans l’entreprise s’en est approprié les grands principes.

Comment faire pour motiver les salariés sur la HSE ?

La carotte et le bâton, ça ne marche pas. Pas durablement, en tout cas. Pour activer les mécanismes de la motivation intrinsèque, il faut donner du sens, de l’autonomie et de la maîtrise. Il n’y a pas qu’une seule façon de faire. Les entreprises décrites dans le livre (Laing O’Rourke, Contact Energy…) ont chacune trouvé une recette qui leur est propre. Chez Alcoa, par exemple, un ancien directeur général a su donner du sens à la SST en la définissant comme la condition du succès de l’entreprise. Alors que tous les analystes financiers annonçaient la banqueroute de l’entreprise, ce dirigeant a utilisé la HSE comme un cheval de Troie pour transformer l’organisation de l’intérieur, la rendre innovante et lucrative, tout en devenant l’une des entreprises les plus sûres au monde.

Parcours

Aujourd’hui directeur santé et sécurité dans un groupe international de transports, Mikael Mourey a effectué toute sa carrière dans le domaine de la gestion des risques. Il a été auparavant manager hygiène sécurité environnement dans l’industrie pétrolière, responsable d’opérations interarmées et commandant d’opérations de secours des marins-pompiers de Marseille.

Auteur

  • Frédéric Brillet