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Le fait de la semaine

Négociation d’entreprise : La santé, grande absente des accords QVT

Le fait de la semaine | publié le : 04.03.2019 | Nathalie Tran

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Négociation d’entreprise : La santé, grande absente des accords QVT

Crédit photo Nathalie Tran

Une centaine d’accords relatifs à la qualité de vie au travail et à l’égalité professionnelle ont été passés au peigne fin par l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail. Ce travail met en lumière le manque d’approche globale du sujet et d’articulation entre amélioration de la performance et conditions de travail souhaitées par les signataires de l’Accord interprofessionnel du 19 juin 2013.

La santé, plus particulièrement la prévention des risques psychosociaux (RPS), n’est pas la priorité des partenaires sociaux. Cinq ans après la négociation de l’accord interprofessionnel (ANI) du 19 juin 2013 sur la qualité de vie au travail (QVT) et l’égalité professionnelle (EP), l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact) s’est penchée sur la façon dont les acteurs sociaux et les entreprises s’étaient emparés du sujet. Elle a passé au crible une centaine d’accords signés entre septembre 2017 et août 2018, soit 15 % des accords recensés par Légifrance, et a également tiré des enseignements d’expérimentations QVT menées dans des sociétés et secteurs d’activité avec l’appui de son réseau. Résultat : un bilan, ou plutôt « un point d’étape en demi-teinte », selon Julien Pelletier, responsable de l’animation scientifique à l’Anact et auteur du rapport.

Des avancées sociétales significatives

Côté positif, la démarche QVT a permis d’imaginer de nouvelles pratiques en matière d’égalité professionnelle, de diversité, d’articulation des temps, de parentalité ou encore de télétravail. Des thèmes « maintenant clairement abordés dans les accords avec des règles, des droits, des objectifs et des indicateurs de progrès », souligne le rapport. Toutefois, si des avancées significatives ont été réalisées dans le domaine sociétal, la QVT s’est parfois contentée d’actions « périphériques », comme la mise à disposition de corbeilles de fruits de saison, l’installation de crèches d’entreprise ou la création d’espaces de coworking, au détriment de son volet santé, sans doute « plus difficile à objectiver », souligne Julien Pelletier. Selon ce dernier, le faible nombre d’accords sur la prévention des risques ne signifie toutefois pas que le sujet de la santé n’est pas traité, la démarche de prévention pouvant être déployée de manière unilatérale par l’employeur via le document unique, le règlement intérieur ou encore des notes de service. Il échapperait dans ce cas à la négociation collective.

Or l’intention initiale des signataires de l’ANI de 2013, telle qu’elle est rappelée par l’Anact, était de permettre aux acteurs du dialogue social « d’agir sur le contenu de la qualité du travail », dans un contexte de transformation et de mutation. Il incitait les entreprises et les partenaires sociaux à faire progresser la prévention primaire et à « mettre l’accent » sur celle des risques psychosociaux en faisant le « lien avec les enjeux de marché ». L’objectif étant d’imaginer des organisations « à la fois efficaces et favorables à la santé au travail ». Or rares sont les accords qui prennent véritablement la mesure du sujet. Lorsqu’ils l’abordent, c’est souvent de façon « anecdotique ». Peu s’intéressent aux questions essentielles de charge des équipes et à la possibilité pour les manageurs d’agir sur la prescription du travail afin de la réguler, ni à celles d’autonomie, de variété des tâches, d’efficience, d’évolutions de la relation-client ou de rythme et de conduite des changements d’organisation. Quant à la question numérique, elle reste « circonscrite au droit à la déconnexion ». « Les rapports de causalité entre l’organisation du travail, la santé – absentéisme, RPS, tensions sociales… –, les métiers – compétences, employabilité, mobilité… – ne sont, la plupart du temps, pas évoqués dans les accords analysés », note le rapport.

Pourtant, sur les douze mois étudiés, « un salarié sur d’eux a été confronté à un changement de poste, de métier, ou à une réorganisation significative », remarque Julien Pelletier. Enfin, la grande majorité des accords analysés par l’Anact sont des accords « à tiroirs », c’est-à-dire ressemblant à une liste de sujets à traiter. On est loin de l’approche transversale et « décloisonnée » voulue par l’ANI de 2013.

Permettre l’expression des salariés

Face à ces constats, l’Anact émet des pistes d’amélioration destinées à « tenir le cap » de l’accord interprofessionnel, dont les ambitions « restent d’actualité », selon elle. L’agence estime tout d’abord nécessaire de préciser plus clairement le champ de la QVT et de l’enrichir en intégrant les enjeux liés au développement du numérique (décloisonnement des unités et des métiers, dématérialisation, réduction de la hiérarchie, autonomie des équipes, désintermédiation…). Elle préconise par ailleurs d’associer l’ensemble des parties prenantes : les responsables production, système d’information, relation client, chefs de projet… dont les décisions déterminent une partie des contraintes qui s’imposent aux organisations.

Une proposition qui va dans le sens des « espaces de discussion sur le travail » auxquels invitait l’ANI. Car « comment intégrer véritablement les enjeux d’organisation du travail, les questions d’évolution des métiers et les impacts sur la santé si l’activité de concertation préalable à la négociation ou à la définition de plans d’action QVT implique seulement les représentants salariés, la DRH et le service santé-sécurité ? Pourra-t-on réellement faire évoluer les pratiques managériales si les plans d’action et accords se focalisent sur les nouvelles missions des manageurs de proximité sans revoir les systèmes de management global (reporting, objectifs contradictoires, accent sur la gestion au détriment du travail, poids des concepteurs, etc.) ? », s’interroge l’Anact.

L’organisme suggère, par ailleurs, de développer la pratique des accords de méthode, peu répandue aujourd’hui, mais qui permettraient d’expérimenter la mise en place de nouveaux outils ou d’organisation du travail et d’en évaluer les implications sur l’emploi dans une optique d’amélioration continue. « Donner corps à une « QVT 2.0 » nécessite d’apprendre à négocier autrement mais également de soutenir des démarches participatives élargies dans la conduite continue des transformations », conclut le rapport.

600 accords EP-QVT en un an

Entre septembre 2017 et août 2018, la base Légifrance recense :

• 4 accords de branche seulement sur le sujet (conventions collectives des institutions de retraites complémentaires, des sociétés d’assurances, des entreprises de vente à distance et du secteur sanitaire, social et médico-social) ;

• 20 000 accords d’entreprise tous sujets confondus dont : 1 500 accords sur l’égalité professionnelle, 600 accords EP-QVT, 26 accords sur la prévention des risques.

Auteur

  • Nathalie Tran