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Salaires : Des NAO 2019 sous haute pression

Le point sur | publié le : 25.02.2019 | Benjamin D’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins

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Salaires : Des NAO 2019 sous haute pression

Crédit photo Benjamin D’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins

La question du pouvoir d’achat, portée par le mouvement des gilets jaunes, trouve un écho particulier dans les NAO 2019, déjà impactées par les retards d’extension d’un certain nombre d’accords de branche 2018.

Les gilets jaunes se sont-ils – bien malgré eux – invités dans les NAO 2019 ? Le mouvement, qui bat le pavé chaque samedi depuis le mois de novembre dernier, a rappelé le caractère brûlant de la question du pouvoir d’achat et de son augmentation. Au point de contraindre le chef de l’État, lors de son allocution télévisée du 10 décembre, à inviter les employeurs à faire acte de générosité lors du versement des primes annuelles à leurs salariés. Les acteurs engagés – ou sur le point de s’engager – dans leurs négociations annuelles obligatoires vont-ils pouvoir faire l’impasse sur le contexte social de ce début d’année 2019 ? « Ces négociations s’engagent dans un environnement compliqué pour les salaires les plus bas. De fortes perturbations existent toujours sur un marché du travail marqué par la question des emplois en tension et un rapport offre-demande déséquilibré. À quoi s’ajoute, sur le plan macroéconomique, un retour non prévu de l’inflation dont la hausse de la courbe (+ 1,7 %) atteint presque celle de l’augmentation des salaires (2 %) », observe Franck Chéron, associé conseil capital humain au sein du cabinet Deloitte. Ce retour de l’inflation dans l’équation économique de ce début d’année « redonne de l’intensité aux revendications salariales », poursuit Pierre Ferracci, président du groupe Alpha. Et, dans ce contexte, la mobilisation des gilets jaunes, même diffuse, « remobilise les acteurs des NAO car le mouvement pose la question du pouvoir d’achat et des inégalités de revenus et de patrimoine. C’est un facteur plus structurant que le niveau d’inflation », poursuit le patron du groupe Alpha. Dans ces conditions, les feuilles de paie de ce début d’année – déjà impactées par le prélèvement à la source – risquent d’être scrutées avec attention. Et l’ambiance des négociations 2019 risque de s’en ressentir : « Les entreprises devront, encore davantage que l’an dernier, trouver le bon équilibre entre le lest qu’elles peuvent lâcher tout de suite (les augmentations de salaires) et le reste (intéressement, épargne salariale, abaissement du forfait social…). Les IRP sont en position de force dans ces discussions », analyse Franck Chéron.

« Une exigence de pouvoir d’achat »

Sur le terrain, cependant, c’est la règle du cas par cas qui règne. Chez Argedis (la filiale de Total en charge de la gestion des stations-service) où les syndicats ont obtenu une prime de 1 500 euros et des abondements sensibles sur les plans d’épargne-retraite, on n’a pas vu l’ombre d’un gilet jaune à la table des négociations. « Le mouvement n’a pas du tout impacté nos négociations », affirme Djamila Mehidi, déléguée syndicale CGT. Idem chez Kiloutou où son homologue CFTC, Jacques Croccel, affirme que la contestation jaune « ne pèsera pas sur les négociations à venir ». Pas d’ombre jaune non plus dans le secteur bancaire et assurantiel… sinon par le ricochet des annonces présidentielles du 10 décembre : « Il y a eu un effet de vases communicants entre l’enveloppe consacrée à la prime Macron et celle dédiée aux NAO », regrette Luc Mathieu, secrétaire général de la fédération CFDT Banques-Assurances. « En réalité, l’impact des gilets jaunes sur les négociations a été au mieux ponctuel », note Gilles Lécuelle, secrétaire national de la CFE-CGC en charge du dialogue social. Des contre-exemples existent toutefois : dans la métallurgie, par exemple, où l’accord de revalorisation des minima ingénieurs et cadres prévoit une augmentation de 2,1 %. « Nous n’avions pas dépassé le niveau de 2 % depuis 2012, indique Stéphane Destugues, de la CFDT Métallurgie. Cela tient au retour de l’inflation. »

Laurent Trombini, membre du bureau de la FTM-CGT, voit dans le mouvement des gilets jaunes « l’expression d’une exigence de pouvoir d’achat » auquel les patrons du monde des métallos « sont contraints de répondre » pour que « cette expression reste en dehors de l’entreprise ». Un avis pas forcément partagé par Frédéric Homez, de FO Métaux, pour qui les augmentations salariales générales 2019 déjà négociées (+ 1,7 % chez Arcelor, + 2,2 % chez Toyota Valenciennes…) s’inscrivent « dans la continuité des années précédentes qui sont dans une fourchette allant de 1 % à 3 % selon le contexte ».

La non-extension des accords 2018

Mais les gilets jaunes ne sont pas les seuls paramètres auxquels sont confrontés les négociateurs NAO de 2019. Un grand nombre d’accords de branche portant notamment sur les augmentations salariales, négociés et signés en 2018, n’ont été étendus par la Direction générale du travail que très tardivement (certains l’ont été fin décembre !), voire pas du tout… les rendant de facto inapplicables – et inappliqués – dans les entreprises n’adhérant pas directement à la branche. Parmi les concernées : métallurgie, grande distribution, commerce alimentaire de détail, construction ou encore commerce de détail. « La DGT a pris un énorme retard l’an dernier. Et pas seulement sur les accords salariaux : sur tous les accords », déplore Gilles Lécuelle. En cause : la surcharge de travail à laquelle les agents de cette administration sont soumis depuis deux ans du fait de l’inflation de nouveaux textes réglementaires en matière de droit et d’organisation du travail. Mais, dans les entreprises, la grogne monte : « Dans la grande distribution, les enseignes telles que Carrefour, adhérentes à la Fédération du commerce de détail (FCD), ont pu bénéficier des augmentations négociées par la branche, mais chez Leclerc – qui n’adhère pas – ce n’est pas le cas. Donc, non seulement le pouvoir d’achat de ces salariés n’augmente pas, mais les directions peuvent se servir de ces salaires bloqués pour pratiquer du dumping social entre enseignes ! », fulmine Carole Desiano, secrétaire générale de la FGTA-FO. Dans le commerce de détail alimentaire, les partenaires sociaux hésitent à s’engager de peur de voir les accords 2019 non étendus à leur tour. Aujourd’hui, seules deux fédérations ont bouclé les accords : les charcutiers-traiteurs et les boulangers. « Non seulement le pouvoir d’achat stagne, mais cela envoie un mauvais message aux candidats à nos métiers alors que la branche recherche précisément de nouveaux salariés », explique Dominique Pieux, de la fédération FO du commerce de détail. Un signe d’espoir, cependant : la sous-commission des accords de la commission nationale de la négociation collective, de l’emploi et de la formation professionnelle (CNNCEFP) compte bien prendre le sujet à bras-le-corps et étendre un maximum de textes avant le deuxième trimestre, à en croire Gilles Lécuelle, membre de la CNNCEFP. De quoi, peut-être, sauver les accords 2018 et redonner un peu de marge pour celles de 2019 ? Mais au Medef, c’est surtout l’échéance 2020 qui inquiète : « Il faudra alors composer avec les nouveaux CSE qui vont rebattre les cartes du dialogue social dans les entreprises. Ce sont plutôt ces négociations-là qui risquent d’être musclées », indique-t-on avenue Bosquet. Ambiance…

Accenture : trop d’individuel, pas de signature

Chez Accenture, les NAO se suivent et se ressemblent. Les signatures des organisations sont rares et les augmentations individuelles, la règle. « Elles peuvent représenter jusqu’à 20 % ou 25 % lors de promotions, explique la CFE-CGC. Une personne sur six seulement a une promotion synonyme d’une belle augmentation. C’est une politique à nos yeux trop austère pour attirer et retenir les meilleurs talents. » Jérôme Chemin, délégué syndical central CFDT Cadres, déplore une « trop grande disparité » dans les rémunérations : « Les 230 salariés associés, soit un peu moins de 6 % des effectifs totaux qui se montent à 4 200 personnes, perçoivent 63 % de l’enveloppe globale dédiée au variable. Ce n’est pas équitable. » Contactée, la direction n’a pas souhaité commenter l’issue des NAO.

Auteur

  • Benjamin D’Alguerre, Gilmar Sequeira Martins