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Le grand entretien

« On ne peut appliquer partout les mêmes politiques de reconnaissance »

Le grand entretien | publié le : 25.02.2019 | Frédéric Brillet

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« On ne peut appliquer partout les mêmes politiques de reconnaissance »

Crédit photo Frédéric Brillet

Dans un ouvrage récemment paru, Jean-Pierre Brun et Christophe Laval montrent que les entreprises performantes sont celles qui mettent en œuvre des organisations, un mode de management et une gestion des ressources humaines qui favorisent la reconnaissance. Ce faisant, elles réussissent l’alchimie entre les exigences économiques et le besoin fondamental d’être considéré.

Pourquoi avoir choisi le thème de la reconnaissance au travail ?

Au début du livre, nous soulignons que la reconnaissance agit sur la santé, l’engagement, la rétention, la performance et la productivité… et qu’il existe donc peu d’outils RH qui produisent un aussi large éventail de retombées positives ! C’est pourquoi la reconnaissance peut se comparer au couteau suisse du management. Pendant trente ans, nous avons côtoyé des milliers de managers, de collaborateurs et de dirigeants, animé des sessions de formation, des conférences, des comités de direction… Nous avons eu envie de partager notre expérience des deux côtés de l’Atlantique. Nous espérons faire bouger les lignes au sein des entreprises en convainquant le plus grand nombre des bénéfices de la reconnaissance au travail. En effet, ce livre s’adresse tout autant aux managers, aux salariés et aux responsables de ressources humaines qu’aux dirigeants des entreprises. Nous avons donc souhaité rédiger un livre tourné vers l’action, avec des fiches pratiques qui proposent au lecteur des réponses et des solutions simples, mais également des retours d’expérience.

Y a-t-il un déficit de reconnaissance dans les organisations ? Qu’en est-il des salariés français ?

Les recherches sur le sujet indiquent que les salariés et les managers de nombreux pays considèrent qu’il y a un manque de reconnaissance au travail. Mais il n’est pas nécessairement exprimé de la même manière, puisque la reconnaissance au travail ne prend pas la même forme. Cela signifie qu’on ne peut pas appliquer partout les mêmes politiques de reconnaissance et qu’il faut tenir compte de la culture nationale du pays, mais également de la culture d’entreprise. En ce qui concerne les salariés français, c’est vrai qu’un long chemin reste encore à parcourir : selon une récente enquête de l’Ifop (septembre 2018), 56 % d’entre eux considèrent que leur travail n’est pas reconnu à sa juste valeur et leur niveau de motivation et de reconnaissance apparaît plus bas que dans les pays voisins.

Comment les effets bénéfiques de la reconnaissance se constatent et se mesurent-ils sur le terrain ?

Il faut d’abord souligner que si la reconnaissance est un enjeu de motivation, c’est également un enjeu de santé et de performance. Au point que le manque de reconnaissance est considéré comme le principal risque pour la santé mentale, avant même la charge de travail. Nous l’avons constaté lors de nos entretiens menés avec des salariés. Ainsi Sabine, que nous citons dans le livre et qui travaille dans le secteur de la restauration, nous a répondu : « Oui, je me sens reconnue par mon chef et mes collègues… et heureusement, parce que sinon, avec la charge de travail qu’il y a dans ce métier, ce serait l’enfer. Chaque jour, c’est exigeant, mais la reconnaissance, c’est ce qui me permet de rendre la fatigue plus supportable ! » L’impact de la reconnaissance sur la performance se mesure par ailleurs sur le turnover, l’absentéisme, la productivité, la conflictualité ou sur le service rendu au client. En 2013, une étude a été réalisée sur les liens entre la reconnaissance au travail, l’engagement et la performance*, auprès de 2 400 personnes interrogées à travers dix pays. Il en ressort que, lorsque les employés sont fortement reconnus au travail, ils se disent deux fois plus engagés, et que la qualité des relations avec les managers est aussi fortement influencée par le niveau de reconnaissance. C’est pourquoi nous pensons que les dirigeants qui sont fortement préoccupés par la performance devraient accorder plus d’attention à la reconnaissance au travail !

Comment faut-il exprimer la reconnaissance ?

Un premier mot me vient à l’esprit pour répondre à votre question : l’authenticité. S’il n’y a pas d’authenticité dans l’expression de la reconnaissance, c’est de la manipulation ! Ensuite, il est important de comprendre que, dans toute organisation, quatre formes de reconnaissance devraient coexister harmonieusement : la reconnaissance existentielle du collaborateur en tant que personne, notamment en lui accordant le droit à la parole et à l’influence sur les décisions ; la reconnaissance de la pratique, des compétences du collaborateur et de la qualité de son travail ; la reconnaissance de l’investissement, les efforts, l’énergie, la prise de risque à travers lesquels le collaborateur a contribué au processus de travail ; enfin, la reconnaissance des résultats concerne le produit du travail du collaborateur et sa contribution à la performance. L’expérience prouve malheureusement que la reconnaissance existentielle et la reconnaissance de l’investissement dans le travail sont aujourd’hui les formes les moins pratiquées. En ce qui concerne la rémunération, il faut bien sûr s’assurer de l’équité interne et externe. Mais la rémunération est rarement une source de motivation, c’est plutôt une source de satisfaction. Il faut trouver d’autres leviers organisationnels pour mobiliser collectivement les équipes. Nous estimons à ce propos qu’il faut aussi reconnaître les équipes, pas seulement les individus. Au cours des quinze dernières années, la reconnaissance au travail a surtout été abordée sous l’angle de la gratitude. Les principales pratiques que l’on retrouve en entreprise sont des remerciements, des félicitations, des remises de prix, voire des cadeaux. Or, avec la montée des besoins d’expression directe des personnes, de l’importance consacrée à la vie personnelle, avec la montée en compétences des salariés et l’arrivée des nouvelles générations, les attentes se transforment. Aujourd’hui, les salariés ne veulent plus simplement qu’on les félicite, ils veulent que l’entreprise les considère. Quand ils demandent à être plus écoutés, à participer aux décisions, à être informés, à pouvoir se développer au sein de l’entreprise ou à avoir plus d’autonomie, ils demandent qu’on les reconnaisse pour ce qu’ils sont au plan professionnel et personnel. Ils veulent être considérés à leur juste valeur et non plus uniquement remerciés.

Comment développer une culture de reconnaissance dans le management ?

Nous donnons dans notre livre plusieurs exemples d’entreprises qui ont développé cette culture de reconnaissance. Bien que différentes, leurs initiatives présentent des caractéristiques communes. D’abord, ces entreprises font preuve d’authenticité dans leur démarche, avec une réelle volonté de faire bouger les lignes de la part des dirigeants. Elles procèdent à un audit et à une cartographie des pratiques existantes. Elles mettent en place des formations à la reconnaissance au travail de l’ensemble de la ligne managériale, depuis le comité de direction jusqu’aux managers de proximité. Elles effectuent des analyses régulières de leurs pratiques, à travers des indicateurs. Enfin, elles manifestent de la persévérance, car certaines démarches visant à promouvoir la reconnaissance se déploient sur plusieurs années.

Parcours

Professeur de management au Canada, Jean-Pierre Brun est titulaire de la chaire en gestion de la santé organisationnelle et de la sécurité du travail de l’université Laval (Québec) et expert-conseil au cabinet Empreinte humaine.

Ancien DRH et directeur général dans des groupes internationaux, Christophe Laval a également dirigé Entreprise & Personnel. Il est le président fondateur de VPHR, cabinet international qui accompagne les entreprises dans le pilotage de leurs politiques de reconnaissance au travail.

Les deux auteurs ont publié en 2018 Le Pouvoir de la reconnaissance au travail, aux éditions Eyrolles.

(1) The effect of performance recognition on employee engagement, de T. Kaufman, T. Chapman, J. Allen, Cicero Group, 2013.

Auteur

  • Frédéric Brillet