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Yvan William : La chronique juridique

Chroniques | publié le : 25.02.2019 | Yvan William

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Yvan William : La chronique juridique

Crédit photo Yvan William

Barème Macron : la fronde des juges prud’homaux se poursuit

L’encadrement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse fait à nouveau parler de lui. Introduit une première fois dans la loi du 6 août 2015 sur la croissance et l’égalité des chances par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, le projet de barème avait été censuré par le Conseil constitutionnel.

Les « Sages » avaient considéré que la modulation de l’indemnité fondée uniquement sur la taille de l’entreprise était inconstitutionnelle. Ils avaient cependant confirmé que la barémisation était licite et montré la voie d’une régularisation.

Après correction et auréolé d’une nouvelle légitimité du fait de l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence, le barème prévu par l’article L. 1235-3 du Code du travail est entré en vigueur le 24 septembre 2017.

Ce barème fixe de 0,5 à 20 mois de salaire le montant maximal de la réparation du licenciement jugé abusif selon l’ancienneté du salarié (de 0 à 30 ans).

Ces dispositions bien qu’entourées de quelques garde-fous (exclusion en cas de licenciement discriminatoire, de violation d’une liberté fondamentale…) ont profondément transformé le comportement des entreprises face au licenciement.

Le risque financier encadré, les entreprises sont désormais en mesure d’évaluer les conséquences pécuniaires de la rupture du contrat de travail dans le pire des scénarios judiciaires.

Avec l’essor exponentiel des ruptures conventionnelles (437 700 en 2018, source Dares), le barème permet d’évaluer plus sereinement le risque et favorise le recours au départ amiable.

Enfin, avec des effets beaucoup plus discutables à ce jour, il permettrait de faciliter les embauches pour certaines TPE et PME paralysées par le risque du licenciement.

Un tableau présenté comme idyllique mais assombri par plusieurs décisions prud’homales rendues depuis décembre 2018. Ces dernières ont en effet jugé le barème contraire aux conventions internationales pour accorder des indemnités excédant le plafond légal.

Parti de Troyes, ce mouvement de résistance se poursuit et s’accentue (voir les décisions encore récentes du conseil de prud’hommes de Lyon, du 22 janvier 2019, RG n° 18/00458, et d’Agen, du 5 février 2019, RG 18/00049).

Les raisons de cette fronde tiennent juridiquement au principe même de la barémisation.

Auparavant, le droit du travail ne fixait qu’une indemnité minimale et laissait au juge le pouvoir d’apprécier la réparation à octroyer en fonction du préjudice réellement subi par le salarié.

Les textes internationaux invoqués par les juges prud’homaux frondeurs (l’article 10 de la convention OIT 158 et l’article 24 de la Charte sociale européenne), prévoient en des termes très proches que le salarié abusivement licencié doit recevoir une indemnité adéquate ou une réparation appropriée.

Pour répondre à ces critères, la réparation doit tenir compte du préjudice postérieur au licenciement et de l’effet dissuasif que doit recouvrir une telle condamnation pour l’employeur.

La simple référence à l’ancienneté pourrait donc être considérée comme insuffisante.

L’application de ces textes internationaux pouvant être directement invoquée devant le juge français, la plupart des avocats de salariés sollicitent désormais le rejet de l’application du barème sur ce fondement.

L’État finlandais dont la législation prévoyait une indemnité maximale de 24 mois de salaire a déjà été sanctionné sur ce fondement, car cette sanction ne constituait pas une réparation adéquate (Comité européen des droits sociaux, 8 septembre 2016, Finnish Society of Social Rights).

Quel comportement adopter dans les mois à venir ?

Le barème validé en l’état par le Conseil constitutionnel (décision 2018-761 du 21 mars 2018) et le Conseil d’État statuant en référé (Conseil d’État, 7 décembre 2017, n° 415243) reste bien entendu valable et pleinement applicable.

Certaines entreprises pourront prudemment décider de réévaluer les provisions passées dans les dossiers présentant un risque de préjudice nettement supérieur à celui indemnisé par le barème (salariés âgés, difficultés de réinsertion professionnelle avérée…) ou pour les tranches d’ancienneté pour lesquelles les cours d’appel attribuaient auparavant une réparation supérieure à celle fixée par le barème (notamment au-delà de 10 ans d’ancienneté).

Une demande d’avis de la Cour de cassation sur ce sujet dans les dossiers en cours serait plus que judicieuse.

Auteur

  • Yvan William