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Le grand entretien

« La Caisse des dépôts est devenue la banque du CPF »

Le grand entretien | publié le : 18.02.2019 | Benjamin d’Alguerre

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« La Caisse des dépôts est devenue la banque du CPF »

Crédit photo Benjamin d’Alguerre

33 millions de CPF d’actifs monétisés transiteront par les serveurs de la Caisse des dépôts et consignations dès que les citoyens se seront emparés de ce nouveau droit à la formation. La vénérable institution de la rue de Lille se prépare à devenir la régulatrice d’un marché estimé à deux milliards d’euros par an.

Un compte monétisé et géré par la Caisse des dépôts, c’est un nouveau chapitre dans l’histoire des droits individualisés à la formation ?

Le CPF, c’est l’histoire d’une réforme en plusieurs coups. Le premier, c’est la création du DIF en 2004 qui donnait le coup d’envoi du processus d’un droit individualisé à la formation pour les salariés avant de s’étendre aux fonctionnaires en 2007-2008. Malheureusement, son développement s’est heurté à des problèmes liés à l’absence de fongibilité de ses modes de financement. Mais c’était un début. En 2014, une nouvelle réforme de la formation professionnelle a posé les principes fondateurs d’un CPF alors crédité en heures de formation. Là où le DIF traînait une réputation injustifiée de « sucrerie pour salariés » leur permettant de s’acheter des stages de développement personnel ou de peinture sur soie, le CPF a tout de suite été ancré dans un contexte professionnalisant puisqu’il ne pouvait être mobilisé que pour accéder à des formations certifiantes compilées par les partenaires sociaux du Copanef. En 2016, le CPF, qui n’était accessible qu’aux salariés, a été étendu aux demandeurs d’emploi puis aux fonctionnaires l’année suivante, avant d’être intégré dans le compte personnel d’activité (CPA) qui permet notamment de valoriser le bénévolat en heures de formation au travers du compte d’engagement citoyen (CEC). Sa monétisation, via la loi du 5 septembre 2018, n’était que la suite logique du processus.

Où en est la Caisse des dépôts et consignations dans ses nouvelles missions relatives à la gestion du CPF ?

Aujourd’hui, près de 55 millions de comptes sont ouverts sur nos serveurs, ce qui correspond grosso modo à la population des 16-70 ans. Dès qu’un individu atteint l’âge de 16 ans, un compte est automatiquement ouvert à son nom, même s’il lui appartient de l’activer lui-même ultérieurement. Dans les faits, nous nous attendons surtout à gérer 33 millions de CPF correspondant à la population active. La Caisse était déjà chargée d’héberger les comptes sur ses serveurs depuis la réforme du 5 mars 2014 mais, avec la monétisation du CPF, ses missions ont changé de périmètre. Hier, la CDC n’était qu’un « village Potemkine » du CPF. Lorsqu’un usager la contactait pour connaître les dispositifs d’abondement, elle se contentait de le renvoyer vers les différents financeurs possibles. Aujourd’hui, la Caisse est véritablement devenue « la banque du CPF » puisqu»elle est en mesure d»informer un usager de l’État de son compte, des formations accessibles, de leur prix, des organismes qui les dispensent ou des financements complémentaires disponibles si la formation souhaitée est éligible au plan d»investissements d»avenir (PIA) ou si une branche choisit de la « charger » en abondements spécifiques parce qu’elle anticipe que ses entreprises adhérentes auront besoin d’une montée en compétences sur ce domaine dans les années à venir. Ces nouvelles missions occupent désormais 150 agents de la CDC, sans compter les téléconseillers ou les start-upeurs qui travaillent sur la problématique du CPF et de son application. Aujourd’hui, nos équipes reçoivent près de 2 000 appels et 5 000 mails chaque jour venant d’usagers demandant des informations sur leur CPF. Beaucoup ignorent encore qu’il est possible de consulter le solde de leur compte à partir de leur login d’accès Ameli (sécurité sociale) ou du site impots.gouv.fr. Côté back office, la CDC en est encore à l’analyse des données qu’elle reçoit par le biais des DSN (déclarations sociales nominatives) des entreprises. Les résultats sont encore à affiner puisqu’à l’heure actuelle, toutes les entreprises sont loin d’avoir renseigné cette base de données.

Comment allez-vous gérer la future application smartphone qui permettra à chacun d’être mis directement en relation avec un organisme de formation (OF) et de lui acheter une prestation sans passer par un intermédiaire ?

C’est le nœud gordien de la réforme. Aujourd’hui, environ 5 000 OF – parmi lesquels les leaders du marché – sont inscrits dans les bases de données de la CDC. Évidemment, la question centrale est celle des conditions générales de vente (CGV) liées à l’appli. Nous sommes en train d’en discuter avec le cabinet de la ministre du Travail en amont du futur décret qui les fixera. Pour les OF, c’est évidemment un enjeu puisque ces CGV détermineront les futurs prix du marché du CPF. Ce marché devrait peser, au total, environ 2 milliards d’euros par an.

La CDC va-t-elle devenir la régulatrice du marché du CPF ?

Étant donné que le CPF sera, en partie, alimenté à partir d’une contribution des entreprises, il n’est pas choquant que les pouvoirs publics fassent preuve d’exigence en retour, notamment en termes de qualité ou de temps d’attente de l’usager. Ne seront ainsi recensés que les OF s’engageant à donner une réponse dans les 48 heures après avoir été sollicités, par exemple. Mais évidemment, se pose également à nous la question des algorithmes et de la sélection des organismes sur la homepage de l’appli. Hors de question de faire comme Google et de permettre à des prestataires de payer pour se retrouver en tête des rankings. Lorsqu’un utilisateur fera sa sélection, la liste des OF correspondant à son choix apparaîtra de façon aléatoire sur son écran. Quant aux évaluations des organismes de formation, elles se baseront elles-mêmes sur les éléments les plus objectifs possibles. Il ne s’agira pas pour un usager de noter le confort des locaux dans lesquels se déroule la formation ou la qualité du repas de midi, mais de quantifier des éléments précis : temps de réponse de l’OF à la demande de formation, localisation géographique ou date d’entrée effective en formation, par exemple. Ce système présente un avantage : il permettra aux entreprises, aux branches et aux OF de repérer les domaines dans lesquels existe une demande mais pas d’offre de formation et de développer de nouveaux parcours de compétences correspondant aux besoins du marché. Autre innovation : l’application sera interconnectée avec un certain nombre d’autres bases de données, ce qui permettra de vérifier si tel usager dispose bien des prérequis pour accéder à certaines formations. Un exemple : le passage du CACES (permis de conduire pour certains engins de chantier) nécessite le permis B. L’interface sera en mesure d’aller vérifier dans les fichiers de la place Beauvau que celui qui demande cette formation dispose bien de ce prérequis avant de passer commande.

Faire d’une seule appli la principale plaque tournante de l’usage du CPF ne risque-t-il pas de pénaliser les publics les plus mal à l’aise avec les outils numériques… qui sont souvent les plus éloignés de la formation et de l’emploi ?

La fracture numérique est une réalité. L’illectronisme et l’illettrisme touchent une fraction non négligeable de nos contemporains, mais en tant que Caisse des dépôts, nous regardons d’abord le volume client le plus important. Ce service sera ouvert à 33 millions de personnes, nous ne pouvons pas nous focaliser sur les exceptions. Mais nous ne sommes pas l’opérateur qui remplacera tous les autres. Les personnes rencontrant des difficultés avec le numérique pourront toujours s’appuyer sur d’autres acteurs, des missions locales à Pôle emploi en passant par les opérateurs du CEP.

Parcours

Laurent Durain a débuté sa carrière au ministère de la Défense en tant que responsable de la supply chain radar, puis RRH en charge de la reconversion des personnels militaires.

En 2004, il rejoint le Gref de Bretagne pour y créer le premier observatoire de la VAE ; puis la ville d’Issy-les-Moulineaux en tant que responsable de la GPEC.

Entré à la DGEFP en 2007 comme directeur du système d’information des missions locales, il devient en 2011 directeur adjoint de l’ingénierie et des systèmes d’information (2013), puis directeur en titre (2017). Le 1er juillet 2018, il est nommé directeur de la formation de la direction des retraites et de la solidarité de la Caisse des dépôts.

Auteur

  • Benjamin d’Alguerre