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Formation : La VAE syndicale pour mieux reclasser les ex-mandatés

Le point sur | publié le : 11.02.2019 | Dominique Perez, Laurence Estival

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Formation : La VAE syndicale pour mieux reclasser les ex-mandatés

Crédit photo Dominique Perez, Laurence Estival

Un tiers des élus du personnel, soit environ 170 000 personnes, pourraient perdre leur mandat d’ici décembre 2019 en raison de la fusion des IRP. La question sensible de leur reclassement trouve un début de réponse avec la mise en place de la « VAE militante », ou « syndicale ».

La création du comité social et économique (CSE) et la fusion des différentes instances représentatives du personnel, introduites par les ordonnances Macron et la nouvelle loi Travail, a remis la question du repositionnement et de la reconversion des élus en haut de la pile des priorités que devront traiter rapidement les syndicats et les entreprises. « D’ici à décembre 2019, donc demain, 170 000 élus syndicaux quitteront leur mandat », estime Philippe Boutrel, délégué CFTC chez Hewlett-Packard. Mais pas leur entreprise, sauf pour ceux qui feront valoir leurs droits à la retraite. Même si le calcul de 30 % à 40 % de perte de mandats n’est que théorique, les entreprises pouvant aller au-delà de ce que prévoit la loi, le problème est de taille. Après, parfois, des dizaines d’années consacrées à la représentation syndicale, comment réintégrer pleinement ces salariés dans leur emploi ou les aider à une reconversion ? En valorisant leurs compétences, acquises au cours de leur mandat, suggère le ministère du Travail. Le dossier n’est pas nouveau et, depuis le début des années 2000, plusieurs expérimentations ont été lancées. À l’image de la reconnaissance des acquis de l’expérience militante, permise dans le cadre général de la VAE depuis 2002 et expérimentée par l’IRT de Toulouse (lire p. 15) qui revient aujourd’hui sur le devant de la scène. Les jalons avaient aussi déjà été posés par la loi du 5 mars 2014 sur la formation professionnelle qui imposait un entretien professionnel pour tout salarié ayant un mandat syndical. Cette obligation a été ensuite étendue aux IRP par la loi Rebsamen du 17 août 2015. Avec un ajout important : cet entretien « vise notamment à recenser les compétences acquises au cours du mandat et à préciser les modalités de valorisation de l’expérience acquise. »

Une logique par blocs de compétences

Concrètement, il s’agit de définir des blocs de compétences et des certifications adaptées à ces parcours. Depuis février 2017, un groupe de travail réuni et animé par la DGEFP et l’Afpa en présence des principaux syndicats de salariés… et en l’absence notable des représentants patronaux (le Medef n’a pas souhaité s’exprimer sur le sujet) planche sur le sujet. Une première étape a été franchie avec la création d’une certification structurée en six blocs de compétences transférables et inscrits à l’Inventaire, chaque bloc permettant d’obtenir au moins l’équivalence avec un bloc d’un titre professionnel délivré par le ministère du Travail.

Une expérimentation s’est déroulée, en deux temps, en 2018 dans les Pays de la Loire. Les 22 candidats sur lesquels 19 ont obtenu la certification ont été accompagnés dans la rédaction de leur dossier de VAE pendant deux mois. « L’idée était de valider les acquis des délégués syndicaux sur un ou plusieurs blocs directement liés à l’exercice de leur mandat, que ce soit par exemple en matière d’encadrement et de gestion d’équipe, de traitement de l’information, de prise en charge d’un projet ou de négociation, explicite Sophie Saulnier, chargée de la politique du titre à la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) des Pays de la Loire. Une première marche vers l’obtention du titre de responsable de petite ou de moyenne structure, d’assistant de direction, de gestionnaire de paie ou de négociateur technico-commercial. » Aujourd’hui, le dispositif VAE militante est en cours de déploiement dans toutes les régions mais combien d’élus vont-ils s’en saisir ? « Le parcours est très exigeant, et il faut avoir envie de retourner sur les bancs de l’école, modère Philippe Boutrel, délégué syndical CFTC chez Hewlett-Packard. Il y a deux catégories d’élus syndicaux. Certains se sont formés tout au long de leur carrière, et sont montés en compétences, ils n’auront pas envie de retourner à leur emploi initial, à revenir vers le passé, et vont sans doute mieux vivre la perspective d’un reclassement. Mais d’autres vont probablement très mal le prendre, ne se sentiront pas l’envie ni les capacités de changer d’activité. Là, il y a un risque de placardisation et de bore-out à grande échelle. »

Plus optimiste, Nathalie Metche Nickles, membre de la Commission exécutive de la CGT, précise que son syndicat compte valoriser la VAE auprès de ses représentants, tout en étant consciente des écueils. « Nous sommes totalement pour cette démarche. Mais la grande question est la reconnaissance par l’entreprise des certifications obtenues. Rien ne le prévoit dans les textes », s’inquiète toutefois cette responsable syndicale.

L’avenir du dialogue social en question

Derrière la question de la VAE, et donc de la reconnaissance des acquis des élus, c’est l’avenir du dialogue social qui est en question. « Les entreprises, qui pour certaines d’entre elles organisaient déjà des formations pour les élus syndicaux, pour renforcer leurs connaissances en finance par exemple, afin d’avoir affaire à des négociateurs aguerris, ont tout intérêt à valoriser ces parcours pour ne pas décourager les suivants, il faut qu’elles donnent des signaux positifs », résume Emmanuelle Chabbert, coordonnatrice de l’étude

La valorisation des acquis de l’expérience syndicale1. Côté syndical, on prend aussi la mesure de l’enjeu : « On doit conserver des délégués qui ne se coupent pas de l’entreprise, estime Nathalie Metche Nickles, en incitant également des jeunes diplômés d’une haute technicité à prendre ces fonctions, capables d’être réintégrés pleinement dans leur poste à l’issue de leur mandat. » Inscrire d’emblée le parcours syndical et le valoriser dans une carrière est un nouvel enjeu, que la VAE seule ne permettra pas de résoudre totalement…

L’accompagnement, un facteur clé

Dans l’étude qu’elle a coordonnée, Emmanuelle Chabbert souligne l’importance de l’accompagnement, qui prend une dimension d’autant plus sensible pour des élus qui, dans les grandes entreprises en particulier, ont fait carrière et évolué dans le cadre de leur mandat syndical. « Certains ont le niveau bac, ou moins, et ont développé des compétences en négociation, en droit du travail, en juridique, en finances… qui pourraient correspondre à un diplôme de niveau bac + 5, estime-t-elle. Mais quitter l’engagement qu’ils ont pris prend une dimension existentielle. Même accompagnés, ils auront un deuil à faire. »

D. P.

(1) La valorisation des acquis de l’expérience syndicale, étude réalisée dans le cadre de l’Agence d’objectifs de l’Ires pour la CFTC, coordonnée par Emmanuelle Chabbert et réalisée avec Frédéric Rey, sociologue du travail et des relations professionnelles (Lise, Cnam, CNRS).

Auteur

  • Dominique Perez, Laurence Estival