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Aide aux entreprises : La crise des gilets jaunes fait décoller le chômage partiel

Le point sur | publié le : 04.02.2019 | Irène Lopez

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Aide aux entreprises : La crise des gilets jaunes fait décoller le chômage partiel

Crédit photo Irène Lopez

Depuis le 17 novembre 2018, début du mouvement des gilets jaunes, la cellule de crise économique de Bercy jongle avec les chiffres : 2 milliards d’euros de chiffre d’affaires perdus, 58 000 personnes placées en chômage partiel. Blocages routiers, violences et magasins contraints de fermer… risquent d’impacter durablement l’économie française. Comment quantifier les pertes ? Quels sont les secteurs les plus touchés ?

La ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a indiqué avoir débloqué 32 millions d’euros pour payer les salaires des personnes au chômage partiel du fait de la crise des « gilets jaunes » qui « fragilise l’emploi ». Elle s’est exprimée à plusieurs reprises : « Au 4 janvier, c’est 58 000 salariés qui sont touchés […]. J’ai débloqué l’argent nécessaire il y a quelques semaines. Dans 92 % des cas, ce sont des PME dans le commerce, la construction, l’artisanat, un peu dans l’industrie aussi. Ce sont 4 millions d’heures de travail potentiellement perdues. […] C’est aussi un des effets de la violence. Cela fragilise l’emploi et nos petits commerces, cela m’inquiète beaucoup. »

Le chômage technique ou partiel, aussi appelé « activité partielle », permet de suspendre ou de réduire temporairement l’activité des salariés tout en leur assurant une rémunération financée par l’État ou l’Unédic.

25 % de baisse des ventes en moyenne

La secrétaire d’État à l’Économie et aux Finances, Agnès Pannier-Runacher, a fait le point sur les nombreux chiffres qui circulent concernant les baisses de ventes des commerçants depuis le début du mouvement, entre deux milliards d’euros de chiffre d’affaires en moins et des manques à gagner de 40 %, voire 70 %. La cellule de crise économique de Bercy a collecté des données sur le terrain : la baisse correspondrait plutôt à moins 25 %.

Cette moyenne recouvre néanmoins de très grands écarts : les commerçants qui vendent des produits périssables sont les plus touchés. La secrétaire d’État a donc incité les consommateurs à privilégier les petits commerces de quartier.

Depuis le début du mouvement, plusieurs fédérations se sont manifestées. Les données varient beaucoup selon les organismes professionnels : l’Alliance du commerce table sur plusieurs dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires envolés chaque samedi. Le Conseil national des centres commerciaux (CNCC) annonce une « perte de chiffre d’affaires de deux milliards d’euros ». La Confédération des commerçants de France (CCF) rapporte des pertes allant jusqu’à moins 50 % pour les petits commerçants. Selon Jacques Creyssel, de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD), « s’il est difficile de quantifier précisément les conséquences des mouvements sociaux sur l’activité et les résultats des retailers, il est clair que leur poursuite pourrait se traduire par l’instauration d’un cercle vicieux qui pèsera à terme sur la pérennité de certains points de vente. À noter : les deux derniers mois de l’année représentent environ 19 % du chiffre d’affaires des GMS en moyenne ».

Dans un communiqué, la FCD se désole : « Des pertes nettes d’exploitation concernent une partie des produits frais à dates limites de consommation courtes car ils ne seront pas commercialisés. Cela va augmenter le gaspillage alimentaire. » Quant à l’impact sur l’emploi, Jacques Creyssel souligne que « des mesures de chômage partiel ont été mises en place et des recrutements de contrats courts (dédiés à la période des fêtes de fin d’année) ont été annulés ».

Les consommateurs s’adaptent

Pour Emmanuel Fournet, directeur Insights Distribution chez Nielsen, « Malgré les difficultés rencontrées ces dernières semaines, les Français n’ont pas arrêté leurs achats pour s’alimenter. En revanche, ils ont adapté leur quotidien aux nouvelles contraintes logistiques. Schématiquement, ils ont évité le rituel des courses du samedi dans les grands hypermarchés, le remplaçant par des visites d’autres magasins plus accessibles comme les supérettes, et par des achats en semaine. C’est ce double report, spatial (vers d’autres circuits) et temporel (en semaine plutôt que le samedi), qui a marqué ces dernières semaines. »

Les grands hypermarchés (plus de 7 500 m2) ont été particulièrement touchés par les blocages, étant les plus dépendants également des déplacements en voiture avec notamment – 54 % de chiffre d’affaires le 17 novembre. L’ensemble des hypermarchés a perdu plus de 300,000 foyers acheteurs en novembre en comparaison avec novembre 2017. Afin de mettre en lumière les disparités locales, Nielsen a isolé les agglomérations qui ont vu leurs ventes le plus reculer. Les plus impactées ont subi des baisses très significatives les samedis avec un quart voire un tiers du chiffre d’affaires en moins. Et jusqu’à – 58 % à Rouen et – 60 % à Nancy le 17 novembre. Néanmoins, dans ces mêmes agglomérations, une grande partie du rattrapage a pu être réalisée en semaine : le recul s’établit en effet à – 5 % voire – 7 %. L’analyse confirme également que la région parisienne est relativement épargnée : – 5 % en moyenne lors des cinq premiers samedis.

Faut-il y voir une similitude avec des manifestations passées ? Rien à voir avec mai 1968 où la croissance s’était effondrée de 5,3 % au deuxième trimestre, pour rebondir violemment de 8 % au troisième. Selon l’Insee, les blocages de route et de dépôts pétroliers semblent d’une ampleur moindre que ceux qui avaient affecté l’activité économique pendant les grèves massives de décembre 1995, lesquelles avaient ôté environ 0,2 point à la croissance trimestrielle du PIB. Aux effets directs des blocages, s’ajoute le caractère anxiogène des scènes de violence qui ont marqué le mouvement, en particulier les samedis 24 novembre et, plus encore, 1er et 8 décembre 2018. Certaines se sont déroulées dans des lieux symboliques du pays et hautement touristiques. On peut donc s’attendre à ce qu’elles pénalisent les activités liées au tourisme.

Moins 0,1 point de croissance

La France a déjà connu des épisodes émeutiers, par exemple en novembre 2005. Les données disponibles suggèrent néanmoins que ces événements n’ont sans doute pas eu d’impact significatif sur l’activité touristique. Celles-ci concernaient alors la région parisienne, mais pas le cœur touristique de la capitale. « Le mouvement des gilets jaunes pourrait ôter 0,1 point à la croissance du PIB au quatrième trimestre 2018, via les secteurs d’activité sans doute principalement touchés : commerce, hébergement, restauration, transports… Cette estimation est néanmoins soumise à beaucoup d’aléas, ne serait – ce que sur la durée du mouvement », selon la dernière note de cadrage de l’Insee.

Auteur

  • Irène Lopez