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Le grand entretien

« Avec la transformation, les RH doivent être plus humaines, et elles le deviennent »

Le grand entretien | publié le : 28.01.2019 | Lys Zohin

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« Avec la transformation, les RH doivent être plus humaines, et elles le deviennent »

Crédit photo Lys Zohin

Tandis que de la transformation dépend souvent la survie d’une entreprise, une telle stratégie achoppe parfois sur les RH et les managers, qui ne répondent pas toujours à une question fondamentale pour les collaborateurs : « Qu’est-ce que la transformation va m’apporter ? »

Le mot transformation est sur toutes les lèvres, que signifie-t-il pour vous ?

Le mot transformation est devenu populaire en même temps qu’un autre, forgé par Maurice Lévy, celui d’ubérisation, en 2014. Et ce n’est pas un hasard. Les entreprises ont pris conscience à cette époque qu’elles pouvaient vite devenir des géants aux pieds d’argile si elles ne se transformaient pas. Il s’agit donc d’un mouvement plus profond que le simple « changement » – qui a d’ailleurs précédé, y compris politiquement, la transformation. Aujourd’hui, « disruptées » par des nouveaux venus dans leur secteur, en raison de la technologie et de la mondialisation, les organisations qui se transforment se retrouvent parfois loin de leur business d’origine. La transformation, c’est donc un sujet qui implique des métiers, du leadership, de la culture et des RH. Ce dernier point est essentiel : pour que la transformation réussisse, la vision ne suffit pas, il faut pouvoir la déployer dans l’organisation et, pour cela, il faut pouvoir embarquer les collaborateurs.

Vous dites que la transformation réussit rarement, pourquoi ?

Oui, c’est vrai et, si je dis cela, c’est en m’appuyant sur mon expérience chez des clients de 2Spark. En général, les leaders de l’entreprise sont de bons leaders et ils ont la vision nécessaire pour la porter vers de nouveaux horizons. Là où le bât blesse, en revanche, c’est dans la courroie de transmission. Autrement dit, au niveau des managers qui doivent concilier vision et réalité de terrain dans l’entreprise. Et si le top-manager doit lui aussi travailler surtout la vision, le middle manager doit en revanche travailler à la fois vision et accompagnement des collaborateurs, tandis qu’enfin, le manager de proximité doit, lui, comprendre la vision mais surtout accompagner les collaborateurs. Or il se trouve que tous ces managers ont parfois du mal à savoir où ils se trouvent dans ce schéma, d’autant que leur profil n’est pas forcément le bon pour le poste qu’ils occupent. Cela tient sans doute à la façon, en particulier en France, de promouvoir les salariés. Ceux qui deviennent managers, pour des raisons d’expertise ou d’ancienneté, ne sont pas tous, loin s’en faut, de bons leaders. Enfin, il n’est pas aisé d’enseigner le leadership ni de conscientiser les managers sur leur rôle. Rôle qui, de surcroît, est complexe, en particulier dans les organisations qui s’horizontalisent de plus en plus. Les managers doivent être lucides et flexibles et adapter leur style de management en fonction de la réalité de terrain. Ils ne doivent pas faire du « flicage » systématique, ni non plus déléguer de façon systématique, mais pratiquer le management situationnel, individuel – ce qui est tout un art… Autant dire que les meilleurs managers sont ceux qui sont en capacité de s’adapter en permanence. Et ils sont peu nombreux…

Quelles sont les conditions à mettre en place pour induire la transformation dans une organisation ?

Les managers, qui sont au cœur du dispositif, doivent offrir des réponses directes aux interrogations directes des collaborateurs. « L’organisation doit se transformer, certes, mais qu’est-ce que cela va m’apporter ? Quel est mon intérêt ? » Voici, en substance, les questions des collaborateurs, auxquelles les managers doivent répondre de façon claire et concrète et surtout avec du sens. Ainsi, si l’on dote un collaborateur d’un outil numérique, voire d’un robot, c’est pour qu’il puisse se concentrer sur des tâches à plus grande valeur ajoutée, laissant les actions répétitives aux machines. Il faut le lui expliquer et valoriser son propre apport. Regardez La Poste, par exemple. Alors qu’il y a de moins en moins de courrier, les postiers sont utilisés à d’autres tâches, comme celles de s’assurer du bien-être de personnes âgées, et demain, peut-être, de vérifier, pour la SNCF, l’état de certaines gares inutilisées. Il s’agit dans les deux cas de valoriser leur présence sur le territoire. Et les agents doivent se sentir valorisés…

Concrètement, comment les ressources humaines doivent-elles s’y prendre ?

Les RH doivent être très proches des collaborateurs et des métiers. Elles doivent prendre conscience, et c’est de plus en plus le cas, qu’aux extrémités de l’organisation, il y a des collaborateurs qui ont des questions. Elles doivent aussi, d’ailleurs, se demander comment ces collaborateurs voient les choses… Et si la tradition est à des RH très verticales, les choses changent petit à petit. Je le constate sur le terrain. Avec la transformation, les RH doivent être plus humaines – et elles le deviennent. Enfin, la technologie permet la circulation de l’information, et mieux encore, l’individualisation de la relation collaborateur-RH grâce aux outils disponibles.

En outre, des solutions à base d’intelligence artificielle permettent de détecter le niveau d’engagement des salariés, en constatant ce qu’ils font mais aussi ce qu’ils ne font pas. 2Spark propose ces outils à ses clients, mais je m’empresse de préciser qu’il ne s’agit en aucun cas de « contrôle » des collaborateurs, les données statistiques individuelles que nous pouvons récolter ne sont jamais fournies à l’employeur, seulement au collaborateur. D’autres outils permettent également de vérifier où en est le déploiement de la stratégie de transformation au sein de l’organisation. Mais attention aux « gimmicks » dans tous ces domaines ! Il ne s’agit pas pour les RH de se dédouaner et de ne pas agir. Ainsi, c’est bien de vérifier, à coup de Smiley sur une appli, qu’un collaborateur est content ou mécontent de la réunion à laquelle il vient d’assister, mais s’il est mécontent et que rien ne change ensuite, alors le désengagement guette !

Toujours est-il que ce que nous constatons sur le terrain, c’est que les collaborateurs n’ont pas envie d’être désengagés. De même, nombreuses sont les entreprises qui veulent sincèrement la transformation ainsi que le bien-être des collaborateurs. Un équilibre me semble d’ailleurs en passe de s’opérer dans les organisations : flux descendants et ascendants des informations, interactions de plus en plus individualisées entre RH et collaborateurs, démarches positives pour valoriser la transformation qui reposent sur un a priori de confiance. Toutes ces valeurs, induites par la transformation, sont en train d’émerger dans les organisations. Et ce n’est pas étonnant puisqu’elles le constatent tous les jours : si elles ont du mal à recruter, si elles ont du mal à fidéliser, alors il leur faut changer sur le fond…

La transformation est-elle un jour finie ou est-ce quelque chose de permanent ?

De permanent, en effet ! Cela a toujours été le cas, à part qu’aujourd’hui, le rythme s’est accéléré. Si, il y a quelques années, un PDG lançait un mouvement de transformation qui allait durer le temps moyen de son mandat, soit environ cinq ou dix ans, désormais les plans de transformation tablent sur des durées qui n’excèdent pas deux ans.

Parcours

FRANCO-AMÉRICAINE, Lara Pawlicz a travaillé de 1996 à 2010 dans diverses grandes entreprises internationales, comme 3M et Philips, à des fonctions de marketing-chef de produit (logiciels) d’abord, et managériales ensuite, aux États-Unis, au Canada, aux Pays-Bas…

EN 2010, Lara Pawlicz crée 2Spark, une start-up spécialisée dans la transformation des organisations qui propose une plateforme de solutions numériques (à base d’intelligence artificielle, d’algorithmes et de gamification) pour améliorer les connaissances des collaborateurs et mesurer et accroître leur « taux d’appropriation » de la transformation de l’organisation.

Auteur

  • Lys Zohin