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Le fait de la semaine

Contrats courts : Les branches contournent la question de la précarité

Le fait de la semaine | publié le : 28.01.2019 | Gilmar Sequeira Martins

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Contrats courts : Les branches contournent la question de la précarité

Crédit photo Gilmar Sequeira Martins

Les ordonnances Travail de septembre 2017 ont ouvert de nouveaux espaces de négociations aux branches, en particulier sur les règles applicables aux contrats courts. Sollicitées pour endiguer leur croissance exponentielle, les branches ont conclu des accords sans grande portée et en nombre très réduit.

Les négociations sur les contrats courts, lancées dans une trentaine de branches, n’ont débouché que sur six accords (métallurgie, propreté, commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, import/export, domaines skiables, industries de carrières et matériaux de construction, travaux publics…). La septième négociation, menée dans le secteur des industries du médicament, a débouché sur un texte devenu inapplicable après les retraits des signatures de la CFDT et de la CFTC. Les négociations ont souvent dépassé le cadre fixé par les ordonnances Travail qui ont ouvert à la discussion trois règles : celles relatives à la durée totale des CDD et CTT (contrat de travail temporaire), renouvellements inclus, au nombre maximal de renouvellements possibles et aux modalités de calcul des délais de carence.

Ainsi, la métallurgie, première branche à faire aboutir les négociations, a conclu deux accords dès juin. Le premier clarifie le calcul du délai de carence et le supprime pour les CDD ayant un motif d’accroissement temporaire d’activité. Le second institue, à titre expérimental, un CDI de chantier d’une durée minimale de six mois, pourvu de garanties supplémentaires. « L’objectif de ces accords est d’augmenter le maintien dans l’emploi avec des garanties supplémentaires pour les salariés comme des rémunérations ou des indemnités supérieures, explique Valentin Rodriguez, délégué fédéral FO de la métallurgie. Les négociations n’ont pas été menées dans l’idée de mettre un frein aux contrats courts. »

Dans les travaux publics, l’accord prévoit des mesures incitatives pour les CDD ou les contrats de mission d’une durée égale ou supérieure à un mois. Il porte à quatre le nombre maximal de renouvellements, assouplit les délais de carence et les supprime en cas d’augmentation de l’activité.

« Nous espérons que cela poussera les entreprises à envisager plus facilement la conclusion de contrats de plus d’un mois et permettre une installation plus durable dans l’emploi grâce, notamment, au renouvellement », indique Laurence d’Orglandes, de la direction des affaires sociales de la FNTP.

Complément d’heures

La branche propreté a signé deux accords. Le premier prévoit, dans certains cas, la suppression du délai de carence entre deux contrats courts ainsi que la possibilité d’un recours accru au complément d’heures pour les salariés à temps partiel, au-delà de la durée minimale de travail hebdomadaire désormais fixée à 16 heures (avenant du 5 mars 2014). Fait rare, cet accord fixe aussi des objectifs quantitatifs : une augmentation de 5 % du nombre de compléments d’heures sur la période 2019-2021. « Dans l’idéal, la croissance du nombre d’avenants pour complément d’heures devrait réduire en proportion le recours aux contrats courts, explique Loys Guyonnet, de la direction juridique de la Fédération des entreprises de propreté (FEP). La branche propreté est aussi une branche qui recrute, ce qui augmente le nombre de contrats courts, en espérant que leur croissance sera plus réduite. »

Parmi les organisations syndicales signataires, l’enthousiasme est modéré.

« L’augmentation du complément d’heures d’ici 2021 est un début mais pas une révolution, note Kumba Duvillier, secrétaire fédérale CFDT en charge de la branche propreté. Ce n’est pas très contraignant et le résultat est un peu maigre. Il est trop tôt pour faire un bilan mais cela ne va pas faire baisser de façon importante l’usage des CDD. » L’accord signé dans la branche commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire étend la suppression du délai de carence entre contrats, porte à 24 mois la durée maximale du cumul des CDD ou contrats de mission, avec le même salarié et sur le même poste, s’il a pour motif un surcroît d’activité.

Un avenant institue par ailleurs un CDI d’opération d’une durée minimal de six mois, à titre expérimental jusqu’en 2023.

« Cet accord crée un environnement favorable à l’allongement de la durée de l’emploi », estime Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales de la Fédération Commerce et distribution (FCD). Une vision que ne partage pas Sylvie Vachoux, secrétaire fédérale CGT, non-signataire de l’accord : « En supprimant le délai de carence entre deux contrats et en rallongeant la durée à 24 mois, cela revient à garder les gens en CDD ad vitam. Cela ne fait qu’augmenter la précarité au lieu de la réduire. »

Pour quel résultat ?

Au-delà de leur nombre réduit, ces accords suscitent la perplexité quant à leur contenu.

« Dans la distribution et la métallurgie, la fin du délai de carence supprime une durée d’indemnisation par l’assurance chômage mais le but était aussi de réduire la précarité or cela ne la réduit pas », estime ainsi Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO. Le sort réservé aux accords créant des contrats de chantiers dont la durée peut atteindre cinq ans n’est guère meilleur : « Cela reste malgré tout des emplois précaires, note le dirigeant de FO. Les personnes avec de tels contrats peuvent rencontrer des difficultés vis-à-vis de bailleurs, lorsqu’ils voudront se loger, ou vis-à-vis des banques lorsqu’elles voudront obtenir un prêt. » Pour Patricia Ferrand, responsable emploi-chômage de la CFDT, c’est l’ensemble du processus qui semble avoir dérivé vers d’autres objectifs que ceux fixés initialement : « Les accords portent essentiellement sur la réduction ou la suppression des délais de carence ou les CDI de chantier. En quoi cela va-t-il limiter le recours aux contrats courts ? Ces accords portent plutôt sur les règles entourant le contrat de travail que sur les conditions d’emploi. »

Une exception malgré tout, selon la responsable de la CFDT : « Seul l’accord dans le secteur de la propreté est dans l’esprit initial de la démarche en incitant les entreprises à avoir des plages horaires plus concentrées et des horaires moins atypiques. Il y a là une réflexion sur la ré-organisation du travail qui vise à améliorer les conditions d’emploi. »

Un résultat trop pauvre qui démontre l’impossibilité de résoudre la question des contrats courts à travers les branches, selon Jean-François Foucard, secrétaire national en charge de l’emploi et de la formation de la CFE-CGC : « Pour régler un problème d’intérêt général, il faut une obligation générale, pas un système incitatif, basé sur le volontariat. »

Un constat sans illusion puisque les branches qui utilisent le plus de contrats courts n’ont pas engagé de négociation ou conclu d’accord…

Bruno Coquet, chercheur affilié à l’OFCE et auteur de « Un avenir pour l’emploi »
Pôle emploi utilisé à contre-emploi ?

« Ce n’est pas à l’assurance chômage de payer des choix d’organisation qui ne tiennent pas aux contraintes auxquelles sont exposées les entreprises. Vu de l’assurance chômage, l’usage du contrat court est normal et son salarié éligible à l’indemnisation s’il est, par exemple, dû aux cycles d’activité, mais il ne l’est pas s’il est simplement un moyen de gagner en compétitivité en reportant une partie des coûts sur l’assurance plutôt que sur les clients. C’est un système de subventions croisées puisque les entreprises avec des CDI, qui n’engendrent que peu de dépenses d’assurance, paient et voient leur compétitivité affaiblie au profit de leurs concurrents qui s’appuient sur le régime d’assurance. »

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins